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Guerre des monnaies : nivellement par le bas

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Après une trêve de quelques années, le monde a désormais relancé une guerre des monnaies sans merci, vouée à durer.

Quels avantages confère une monnaie faible à un pays par rapport aux monnaies de ses principaux partenaires commerciaux ? La réponse diffère selon que l’on parle d’avantages politiques ou d’avantages économiques.

Les avantages politiques sont évidents et expliquent pourquoi des guerres des monnaies (le fait de dévaluer sa monnaie) ont eu lieu périodiquement, au cours des 100 dernières années.  Une devise plus faible rend vos exportations moins chères pour les acheteurs étrangers.

Acheter en euros ou en dollars ?

Si l’Indonésie envisage d’acheter des avions à fuselage large pour sa flotte nationale, ils peuvent notamment choisir entre le Boeing 787 ou l’Airbus A350. Les coûts de production de Boeing sont principalement en dollars, tandis que les coûts de production d’Airbus sont principalement en euros (quand bien même les deux constructeurs s’approvisionnent en composants aux quatre coins du monde).

Si l’euro est faible face au dollar, cela signifie que l’Indonésie recevra sûrement une meilleure offre de la part d’Airbus. Une vente par Airbus se répercute sur l’ensemble de la chaîne de production : cela permet de créer des emplois liés aux exportations et cela a des répercussions économiques exogènes favorables à l’entreprise et aux pays qui l’accueillent (principalement l’Allemagne et la France).

Les avantages perceptibles d’une monnaie faible ne se limitent pas à l’augmentation des exportations et à la création d’emplois liés aux exportations. Une monnaie faible est également un moyen d’importer de l’inflation. Les citoyens d’un pays dont la monnaie est faible ont besoin d’une quantité plus grande de monnaie pour importer des biens et services en provenance de leurs partenaires commerciaux.

Par exemple, si un ordinateur américain coûte 1 500 $ et que l’euro vaut 1,20 $, il faut alors 1 250 € pour acheter l’ordinateur en question. Si l’euro se replie à 1,05 $ (soit peu ou prou son cours actuel), il faut 1 430 € pour acheter le même ordinateur, soit une hausse du prix de 14% par rapport à l’euro plus fort.

Bien sûr, les chaînes d’approvisionnement des fabricants mondiaux sont plus complexes que cet exemple simpliste. Les fabricants fixent souvent un prix ferme dans les deux monnaies qui leur permet soit d’empocher un bénéfice ou d’absorber une perte sur leurs marges ou se protègent contre les fluctuations du taux de change sur le marché des contrats à terme. Il n’en demeure pas moins que la dynamique reste la même à chaque fois.

Les problèmes d’une monnaie faible

Cela peut sembler étrange qu’un pays veuille importer de l’inflation, à une époque où l’inflation flambe dans de nombreux pays. Mais la vague d’inflation est relativement récente. De 2008 à 2021, la désinflation et la déflation pure et simple étaient de véritables problèmes dans de nombreux pays développés.

La déflation reste un problème au Japon et pourrait devenir un problème mondial si la remontée des taux d’intérêt opérée pour lutter contre l’inflation actuelle engendre une récession mondiale. Quoi qu’il en soit, la stratégie consistant à lutter contre la déflation en dévaluant sa monnaie est éprouvée.

Les avantages politiques d’une monnaie faible sont évidents. Les responsables politiques peuvent déclarer que les exportations augmentent, que les importations baissent (ce qui permet d’équilibrer la balance commerciale et le PIB), des emplois liés aux exportations sont créés et le risque de déflation diminue. C’est un bilan dont n’importe quel politicien aimerait se prévaloir.

Mais tout cela est-il vrai ? Les assertions sont claires mais qu’en est-il de la réalité économique ?

Il s’avère que la plupart des assertions sur une monnaie faible sont illusoires, temporaires, voire les deux. On pourrait croire que les prix définitifs des exportations sont bas pour un acheteur étranger lorsque la monnaie du vendeur est faible. Mais c’est méconnaître la nature des chaînes de production mondiales.

Le coût du travail et le coût de la recherche et du développement sont en euros pour Airbus, mais l’aluminium utilisé pour le fuselage de l’avion provient de Russie (ou provenait…), des sous-composants peuvent provenir d’Asie du Sud-Est, l’avionique des États-Unis, etc.

Une monnaie plus faible signifie que les coûts de ces intrants augmentent, puisqu’il faut une plus grande quantité de la monnaie locale pour acheter la même quantité de composants. Il est essentiel de comprendre cela. Il existe très peu d’exportations coûteuses qui sont fabriquées de A à Z dans un seul et même pays. Une monnaie faible rend les intrants étrangers plus chers et ces coûts annulent les avantages que confère une monnaie faible concernant le coût du travail et des intrants produits localement.

L’équivalent d’une taxe de plus

Par ailleurs, bon nombre de matières premières se négocient sur les marchés mondiaux et sont cotées en dollars. Dans la mesure où la demande locale est inélastique (comme c’est le cas pour les produits alimentaires et l’énergie), un pays avec une monnaie faible doit tout simplement payer plus cher pour ces produits.

Une monnaie faible s’apparente à une taxe dissimulée (c’est exactement ce qu’est l’inflation) que l’on doit payer pour les importations libellées en dollars. Cela provoque une destruction de la demande dans d’autres catégories de bien et de services et peut même entraîner des suppressions d’emplois dans certaines industries locales puisque les consommateurs dépensent plus pour acheter des importations essentielles.

Au final, même quand une monnaie faible offre des avantages, elle ne le fait qu’à très court terme.

Car vos partenaires commerciaux ne resteront pas les bras croisés pendant que vous dévaluez votre monnaie. Ils réagiront en dévaluant leurs monnaies à leur tour. C’est la nature des guerres monétaires et c’est l’une des principales raisons pour lesquelles la Grande dépression a duré aussi longtemps, au lieu de durer juste un an ou deux.

Les pays peuvent répliquer à leurs partenaires commerciaux et dévaluer leur monnaie en intervenant sur les marchés des changes, en abaissant leurs taux d’intérêt (pour dissuader les afflux de capitaux), en imposant un contrôle des capitaux et en utilisant d’autres formes de manipulation.

Comme je l’expliquais plus tôt, le monde est désormais entré dans une guerre des monnaies sans merci vouée à durer.

Le dollar monte… ou toutes les autres devises baissent

Le yen s’effondre car la Banque du Japon a besoin de doper les exportations pour éviter une nouvelle récession. L’euro a dévissé car la BCE souhaite maintenir les taux d’intérêt à de bas niveaux et soutenir les exportations pour aider les Etats membres de la zone euro.

Le yuan recule à vitesse grand V car l’économie chinoise pâtit de la politique « zéro Covid » inepte du gouvernement, de la contraction de la demande en provenance des Etats-Unis, de l’Union européenne et du Japon. Cela vaut également pour la livre sterling car le Royaume-Uni est sur le point d’entrer en récession.

Dans les faits, les deuxième, troisième, quatrième, sixième et septième puissances économiques mondiales (Chine, Japon, Allemagne, Royaume-Uni et France), et d’autres représentant plus de 40% du PIB mondial, profitent de la vigueur du dollar pour dévaluer leurs monnaies.

La question est de savoir combien de temps les Etats-Unis tolèreront cela. Pour l’instant, la vigueur du dollar n’est pas un motif de préoccupation pour les Etats-Unis. La remontée des taux d’intérêt de la Fed et le resserrement quantitatif présagent une nouvelle hausse du dollar.

Tant que la croissance américaine sera solide, les Etats-Unis ne verront aucun problème à laisser leurs partenaires dévaluer leurs monnaies, si cela peut permettre de protéger l’économie mondiale. Cela pourrait aussi aider à combattre l’inflation aux Etats-Unis en rendant les importations moins chères lorsque payées en dollars.

L’histoire nous montre que cela ne durera pas. La politique de la Fed va faire plonger l’économie américaine en récession fin 2022 ou début 2023. Cela permettra peut-être d’annihiler l’inflation, mais c’est un cauchemar pour les politiciens qui brigueront un nouveau mandat en 2024. Il se pourrait alors que, sans crier gare, la Fed mette brutalement un terme à la remontée des taux, voire qu’elle abaisse ses taux comme elle l’a fait fin 2018 puis en 2019.

Si cela se produit, le dollar s’effondrera et le prix de l’or en dollars s’envolera. Les guerres des monnaies ne s’arrêtent pas du jour au lendemain. Ce sont des guerres d’usure. Les Etats-Unis soutiennent actuellement l’économie mondiale avec un dollar fort car les dirigeants politiques pensent que nous en avons les moyens.

Lorsque les Etats-Unis entreront en récession, ils changeront rapidement leur fusil d’épaule. C’est toujours le cas.

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