La Chronique Agora

Guerre et paix (et dollar)

guerre des devises, Ukraine, dollar

Quel impact pourrait avoir la fin de la guerre en Ukraine sur le marché des devises ?

Le marché des devises est actuellement le théâtre d’une histoire de guerre et de paix. Autour de l’intrigue principale, de nombreuses intrigues secondaires se sont développées. Jusqu’à maintenant, cette histoire paraît sans fin. Mais la fin pourrait arriver bien plus rapidement que la plupart des gens s’y attendent.

La tâche du narrateur aujourd’hui est encore plus complexe que s’il avait à conter l’histoire monétaire des empires du centre de l’Europe et de la Triple-Entente lors de la Première Guerre mondiale […].

La guerre actuelle avec la Russie (qu’il s’agisse du conflit militaire en Ukraine ou de la guerre économique qui oppose la Russie à l’UE et aux Etats-Unis) n’est pas aussi prédominante qu’il n’y paraît dans les affaires économiques et monétaires internationales, bien qu’elle soit sans aucun doute importante. L’environnement monétaire dans lequel se déroule l’histoire d’aujourd’hui est beaucoup plus subtile que lors de la Première Guerre mondiale, lorsque l’on s’attendait à ce qu’après l’armistice les principales devises reviennent progressivement à un système d’étalon-or et à leur parité d’avant-guerre.

L’impact diplomatique

Au cours de la guerre de 14-18, toute nouvelle permettant d’espérer une fin prochaine du conflit, comme par exemple l’appel à un cessez-le-feu par le président Woodrow Wilson en décembre 1916, entraînait une chute brutale des monnaies des pays neutres (le franc suisse, le florin néerlandais et la peseta espagnole), une forte appréciation du mark allemand et de la couronne austro-hongroise, ainsi que des rebonds moindres de la livre sterling et du franc français.

Aujourd’hui, en théorie, l’émergence soudaine d’actions diplomatiques afin de négocier une fin pacifique au conflit ferait très vraisemblablement grimper l’euro ainsi que la livre sterling d’une part, et baisser le dollar canadien ainsi que le dollar américain et le franc suisse d’autre part.

La combinaison d’une situation d’impasse militaire et d’épuisement bilatéral peut donner naissance à des initiatives diplomatiques inattendues permettant de mettre fin à la guerre. C’est le type de circonstance que l’on peut observer aujourd’hui.

L’Ukraine est en train de sombrer dans un véritable gouffre économique, une grande partie de ses infrastructures sont détruites et son gouvernement a recours à la planche à billets pour payer ses soldats […]. L’aide économique occidentale (par opposition à l’aide militaire) est loin de tenir ses promesses. Toutes les images qui circulent de stocks de munitions russes en feu ont peut-être enthousiasmé certains donateurs potentiels, mais elles n’ont permis aucune véritable percée.

Les pertes humaines, à la fois du côté des civils et du côté militaire, alimentent la propagande de Moscou selon laquelle les Etats-Unis et le Royaume-Uni seraient prêts à poursuivre cette guerre par procuration jusqu’à ce qu’ils aient sacrifié la vie des derniers soldats ukrainiens.

En parallèle, le Washington Post a publié des articles selon lesquels le président Volodymyr Zelensky aurait trahi le peuple ukrainien en ne partageant pas avec lui à la fin de l’année 2021 et au début de l’année 2022 les alertes des services de renseignement américains concernant le risque d’une invasion imminente. D’après les témoignages divulgués dans le Washington Post, de nombreux Ukrainiens sont indignés de ne pas avoir été avertis par leur gouvernement et refusent ses excuses qu’ils jugent choquantes (arguant par exemple qu’il voulait simplement empêcher une fuite des capitaux hors du pays).

Tout cela vise-t-il à préparer le terrain pour un éventuel changement du pouvoir à Kiev qui pourrait favoriser une solution diplomatique rapide ? […]

Rechute et rebond

Le but ici n’est pas nécessairement de prédire l’issue de cette guerre, mais de décrire un scénario de paix réaliste et de déterminer comment la probabilité croissante de réalisation de ce scénario influencerait le marché des devises.

Le marché des devises sera principalement influencé par le déroulement de la guerre économique qui oppose la Russie à l’UE et aux Etats-Unis. Un cessez-le-feu susciterait l’espoir d’une résolution rapide du problème de la pénurie de gaz naturel en Europe occidentale.

Les prix du gaz naturel chuteraient, ce qui permettrait de redonner espoir aux consommateurs et aux entreprises, qui redoutent actuellement de devoir payer des factures de gaz astronomiques et même de faire face à un rationnement du gaz cet hiver. Les programmes coûteux de lutte contre la précarité énergétique, financés par l’inflation monétaire, s’arrêteraient net. La Banque centrale européenne (BCE) pourrait agir avec plus de fermeté pour resserrer sa politique monétaire à mesure que les craintes de récession s’estomperaient.

Nous pourrions aisément imaginer qu’un tel scénario de paix permette aux économies européennes de rebondir en 2023 après un ralentissement hivernal. Cela coïnciderait avec une plongée de l’économie américaine en récession en raison de la « désinflation Powell » et de la poursuite de l’éclatement de la bulle dans les secteurs technologiques et de la construction immobilière. Nous pourrions même assister à un effondrement du secteur du capital-investissement.

Une forte appréciation de l’euro dans le cadre d’un scénario de retour à la paix, bien que probable, n’est pas pour autant certaine. La Russie pourrait par exemple décider de retarder la remise en service des gazoducs jusqu’à ce qu’elle ait l’assurance que sa banque centrale pourra récupérer ses dépôts qui ont été gelés par l’UE. Il y a eu des discussions au sommet de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour que ces fonds soient mis sous séquestre par une commission spéciale en charge des réparations de guerre.

Problèmes persistants

Plus généralement, il se pourrait que la plupart des ménages européens ne réduisent pas leurs dépenses de façon aussi importantes qu’envisagé par la plupart des prévisionnistes économiques. De nombreux ménages n’ont peut-être jamais vraiment cru que les prix élevés du gaz naturel allaient persister au-delà de cet hiver. Ils estiment donc devoir faire face, en fait, à une surtaxe transitoire plutôt que permanente. Or, la théorie économique suggère qu’une surtaxe transitoire, payée en l’occurrence aux producteurs nord-américains de gaz naturel, a beaucoup moins d’impact sur les dépenses des consommateurs qu’une surtaxe permanente.

L’euro souffre encore de faiblesses structurelles profondes. Comment la BCE pourrait-elle parvenir un jour à normaliser sa politique monétaire alors qu’une part si importante de la masse monétaire est adossée à des obligations d’Etats en difficulté et au système bancaire ?

En principe, le dollar américain, et plus encore le dollar canadien, devraient se déprécier en cas de retour de la paix, de la même manière qu’ils se sont appréciés à partir du moment où la guerre a été déclarée. Ces deux devises ont puisé leur force dans le boom du secteur énergétique américain et canadien. Aucun de ces deux pays n’a souffert d’une réduction des revenus réels en raison de la guerre économique. En fait, en ce qui concerne le Canada, les revenus ont même augmenté. Un autre facteur positif pour le dollar américain a été le boom du secteur de l’armement, et cela devrait se poursuivre même après un cessez-le-feu.

Le retour de la paix ne dissuadera pas l’Europe de chercher à réduire sa dépendance vis-à-vis de la Russie en diversifiant ses sources d’approvisionnements énergétiques, au profit notamment du gaz nord-américain et des énergies renouvelables. Mais à long terme, on peut imaginer que l’Allemagne parviendra à développer un avantage comparatif dans le secteur des énergies renouvelables et que l’Amérique du Nord perdra des parts de marché en dehors de l’Europe au profit du gaz russe proposé à prix réduits. Il est d’ailleurs généralement admis que la Russie va donner la priorité au développement de son programme de construction de terminaux GNL (gaz naturel liquéfié). Ces terminaux lui permettront d’exporter son gaz naturel à l’échelle internationale.

En somme, la paix aura probablement un impact négatif sur le dollar américain. Mais, au-delà de cette influence du contexte géopolitique, la question centrale reste quand et comment l’inflation monétaire américaine repartira de plus belle.


Article traduit avec l’autorisation du Mises Institute. Original en anglais ici

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile