La Chronique Agora

C’est la guerre… des devises !

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Déclarée en 2010, elle a pour l’instant surtout consisté en de petites escarmouches. Le déroulement des précédentes guerres de ce genre fait cependant penser qu’elle pourrait vite s’aggraver.

Les guerres des devises représentent l’une des dynamiques les plus importantes au sein du système financier mondial d’aujourd’hui.

A quoi se résume une guerre des devises ? Elle se produit en général lorsqu’il n’y pas assez de croissance dans le monde pour honorer toutes les obligations liées aux dettes. Autrement dit, lorsque la croissance est trop faible par rapport au poids des dettes. Et c’est bien le cas, aujourd’hui.

Lorsqu’il y a assez de croissance pour tout le monde, est-ce que les Etats-Unis se soucient vraiment qu’un pays, quelque part dans le monde, tente de faire baisser son taux de change pour donner un petit coup de pouce aux investissements étrangers ? Pas vraiment. C’est presque trop insignifiant pour s’en préoccuper, tout bien considéré.

De longues guerres

Mais, quand il n’y a pas assez de croissance pour tout le monde, soudain, c’est comme si des gens affamés se battaient pour récupérer des miettes.

Personne ne gagne et personne ne perd. Les guerres des devises ne créent pas de croissance, elles dérobent simplement et temporairement de la croissance à des partenaires commerciaux, jusqu’à ce que ces derniers en dérobent à leur tour via leurs propres dévaluations.

Au mieux, les guerres des devises offrent le spectacle désolant de pays qui volent de la croissance à leurs partenaires commerciaux. Au pire, elles dégénèrent en un enchainement d’inflation, de récession, de ripostes et de violence réelle alors que la foire d’empoigne autour des ressources mène à l’invasion et à la guerre.

La guerre mondiale des devises actuelle a débuté en 2010. Mon livre, Currency Wars, est paru juste après. J’y soulignais notamment que le monde n’est pas toujours au beau milieu d’une guerre des devises. Les guerres des devises n’impliquent pas des combats permanents. A certains moments, d’intenses batailles ont lieu, suivies d’accalmies auxquelles succèdent des batailles encore plus intenses.

Mais lorsqu’elles éclatent, ces guerres peuvent durer très longtemps. Elles peuvent durer cinq, dix, quinze, voire même vingt ans. Cela veut dire que la guerre des devises actuelle pourrait durer encore plusieurs années.

Mais il est important d’identifier dans quelle phase de cette guerre des devises nous nous situons.

Quand la guerre a éclaté

Nous avons connu trois guerres des devises, au cours des cent dernières années. La première guerre des devises a duré de 1921 à 1936. Elle a réellement commencé avec l’hyperinflation de Weimar, suivie d’une période de dévaluations monétaires successives.

En 1921, l’Allemagne a détruit sa monnaie. En 1925, la France, la Belgique et d’autres pays ont fait de même. Avant la Première Guerre mondiale, le monde fonctionnait avec ce que l’on a appelé « l’étalon-or classique ». Si votre balance commerciale était déficitaire, vous deviez régler ce déficit en or. Si en revanche elle était excédentaire, vous achetiez de l’or.

L’or était ainsi un régulateur d’expansion et de contraction des économies nationales. Il fallait être productif. Chaque pays devait profiter de ses avantages relatifs et disposer d’un bon environnement commercial afin de pouvoir réellement injecter de l’or dans son système, ou du moins éviter de perdre l’or qu’il détenait. C’était un système très stable qui favorisait énormément la croissance ainsi qu’un faible taux d’inflation.

Ce système a été mis de côté en 1914, car les pays belligérants ont eu besoin d’imprimer de l’argent pour combattre pendant la Première Guerre mondiale. Lorsque cette dernière s’est achevée et que le monde a abordé les années 1920, les Etats concernés ont voulu revenir à l’étalon-or sans trop savoir comment s’y prendre. En 1922, une conférence fut organisée à Gênes, en Italie, afin de débattre de ce problème.

Avant la Première Guerre mondiale, le monde avait initialement fonctionné avec la parité, c’est-à-dire qu’il existait une certaine quantité d’or et une certaine quantité de monnaie-papier adossée à l’or. Mais, durant la guerre, la masse de monnaie-papier a doublé. Si les Etats souhaitaient revenir à l’étalon-or, il ne leur restait que deux solutions.

Les deux revenaient au même : doubler le cours de l’or. Mais ils pouvaient, en gros, soit diviser par deux la valeur de leur monnaie, soit diviser par deux leur masse monétaire. Ils pouvaient faire l’un ou l’autre mais il fallait fixer une parité selon le niveau d’avant-guerre ou celui d’après-guerre.

Deux voies et deux résultats

Le gouvernement français a ainsi, tout simplement, décidé de diviser par deux la valeur du franc.

Si vous avez vu le film de Woody Allen Minuit à Paris, il dépeint des expatriés américains menant grand train dans le Paris du milieu des années 1920. C’est vraiment ce qu’il s’est passé, à cause de l’hyperinflation qui sévissait en France et qui fut assez désastreuse, sans toutefois l’être autant que l’hyperinflation de Weimar. Avec une relativement petite somme en dollars, vous pouviez alors vivre comme un roi, en France.

Le Royaume-Uni a dû prendre la même décision, mais le pays a procédé différemment de la France : au lieu de doubler le cours de l’or, il a divisé par deux sa masse monétaire. Il est revenu à la parité d’avant-guerre.

Cette décision qui a été prise par Winston Churchill, alors Chancelier de l’échiquier, s’est avérée extrêmement déflationniste. Ce qu’il faut retenir de ces deux exemples, c’est que, lorsque l’on double la masse monétaire, ce n’est peut-être pas de gaîté de cœur, mais une fois que c’est fait, il faut bien le reconnaître, la monnaie est détruite. Churchill, lui, pensait qu’il était de son devoir de revenir à l’ancienne valeur de la livre.

Il a divisé par deux la masse monétaire et cela a précipité le Royaume-Uni dans une dépression trois ans avant le reste du monde. Lorsque le reste du monde a sombré dans la dépression, en 1929, le Royaume-Uni s’y trouvait déjà depuis 1926.

Si je cite cette histoire, c’est qu’il aurait été préférable de revenir à l’étalon-or à un cours bien plus élevé en livres sterling. Le fait d’avoir choisi le mauvais cours a favorisé la grande dépression.

Le danger d’un étalon-or

Les économistes d’aujourd’hui affirment que nous ne pourrions jamais avoir un étalon-or, parce que, selon eux, c’est l’étalon-or qui a causé la grande dépression.

Oui, il a contribué à la Grande Dépression, mais celle-ci n’a pas été causée par l’or. C’était à cause du cours de l’or. Churchill a choisi le mauvais cours, et cela a produit un effet déflationniste.

La leçon à tirer des années 1920, ce n’est pas qu’un étalon-or est impossible, c’est qu’un pays doit fixer un cours correct. Le Royaume-Uni a persisté dans cette voie jusqu’au moment où, finalement, ce n’était plus tenable, et il a procédé à une dévaluation en 1931.

Très rapidement, les Etats-Unis ont procédé à une dévaluation en 1933. Ensuite la France et le Royaume-Uni ont à nouveau dévalué en 1936. Ce fut une période où les dévaluations monétaires se succédèrent, ainsi que les politiques « du chacun pour soi ».

Par conséquent, ce fut évidemment l’une des pires dépressions de toute l’Histoire. Le chômage s’envola et détruisit la production industrielle, ce qui créa une longue période de croissance extrêmement faible, voire négative.

La première guerre des devises ne s’est pas résolue avant la Seconde Guerre mondiale et, au bout du compte, la conférence de Bretton Woods.

C’est alors que le monde a mis en place un nouvel étalon monétaire. La deuxième guerre des devises a fait rage de 1967 à 1987. L’évènement déterminant, au beau milieu de cette guerre, est le 15 août 1971, date à laquelle Nixon a fait sortir les États-Unis de l’étalon-or et, en fin de compte, le monde entier.

Il l’a fait pour créer des emplois et favoriser les exportations pour donner un coup de pouce à l’économie américaine. Et que s’est-il réellement passé, à la place ? Nous avons vécu trois récessions successives : en 1974, en 1979 et en 1980.

Notre marché actions s’est effondré en 1974. Le chômage a flambé, l’inflation s’est emballée entre 1977 et 1981 (aux Etats-Unis, sur cette période de cinq ans, elle a atteint 50%) et la valeur du dollar a baissé de moitié.

L’ère du roi dollar

Une fois encore, la leçon tirée des guerres des devises est la suivante : elles ne produisent pas les résultats escomptés, à savoir augmenter les exportations et l’emploi et produire de la croissance. Ce qu’elles produisent, ce sont des déflations et des inflations extrêmes, des récessions, des dépressions ou des catastrophes économiques. Cela nous amène à la troisième guerre des devises, celle qui a commencé en 2010.

Vous remarquerez que j’ai sauté toute la période de 1985 à 2010, qui couvre 25 ans. Que s’est-il passé pendant cette période ?

Ce fut ce que l’on a appelé l’ère du « roi dollar » ou de la politique du « dollar fort », une période de très bonne croissance, avec une bonne stabilité des prix et de bonnes performances économiques un peu partout dans le monde. Il ne s’agissait pas d’un système basé sur l’étalon-or ou sur des règles similaires.

La Fed observait bien le cours de l’or, mais comme un baromètre lui permettant de voir comment se passaient les choses. En gros, les Etats-Unis disaient au monde : « Nous ne fonctionnons pas avec un étalon-or, nous fonctionnons avec un étalon-dollar. »

« Nous, les États-Unis, nous sommes d’accord pour maintenir le pouvoir d’achat du dollar et, vous, nos partenaires commerciaux, vous pouvez vous arrimer au dollar ou planifier vos économies autour d’un peg (arrimage) avec l’étalon-dollar. Cela nous permettra d’avoir un système stable ». Cela a réellement fonctionné jusqu’en 2010, date à laquelle les Etats-Unis ont « déchiré cet accord » et, en gros, déclaré la troisième guerre des devises.

Si les précédents historiques donnent à réfléchir, aujourd’hui les dangers sont encore plus grands, accrus de manière exponentielle par l’échelle et la complexité des connexions financières à travers le monde.

Nous sommes en 2023, et les guerres des devises perdurent. Dans un contexte où rode une potentielle monnaie des BRICS adossée à l’or, elles sont sur le point de s’emballer.

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