▪ Wall Street s’est montré plus que circonspect durant la journée très technique des « Quatre sorcières » qui clôturait le premier semestre 2011. Ce dernier a été un semestre pour rien, en quelque sorte, après une entame d’année en fanfare. L’enthousiasme initial lié à un espoir de résolution rapide de la crise grecque a vite laissé la place au scepticisme.
Les marchés américains ont clôturé à l’équilibre vendredi alors qu’ils avaient pris un excellent départ, avec des gains avoisinant les 1% sur l’ensemble des indices US. Au final, le repli de 0,28% du Nasdaq Composite compense le gain de 0,3% du S&P. Le Dow Jones (+0,36%) a refranchi les 12 000 points à l’arrachée et sans convaincre. Il grappille laborieusement 0,45% d’un vendredi sur l’autre et ne s’épargne l’inscription d’une septième semaine de repli consécutif que par l’écart le plus symbolique.
Le Nasdaq 100 (-0,32%), en revanche, n’échappe pas à ce singulier scénario sans précédent depuis 2002 et l’éclatement de la bulle internet. L’indice des valeurs technologiques chute de 1,3% en hebdomadaire. Cela porte à -7,5% son repli cumulé depuis le 1er juin, soit la pire performance mensuelle depuis mai 2010 et même novembre 2008.
▪ La même mésaventure a bien failli survenir sur les places européennes : quelques heures auparavant, Paris avait dévissé de 1,3%, avec à la clé un nouveau plancher mensuel inscrit à 3 742 (un plus bas depuis le 16 mars).
Mais alors que tout semblait partir en vrille, un communiqué franco-allemand en provenance de Berlin a permis d’inverser la vapeur dès le milieu de la matinée de vendredi. Le CAC 40 reprenait alors 100 points sur ses plus bas du jour ; il marquait un plus haut à 3 843,5 points, l’indice affichant +0,8% à 3 823,7 points au final.
Nicolas Sarkozy a réussi à rallier Angela Merkel à la position de la France (participation au sauvetage d’Athènes sur la base du volontariat pour les créanciers du secteur privé). Cependant, rien ne permet d’être certain que le Parlement grec votera la confiance au nouveau gouvernement formé par M. Papandreou vendredi.
Il sera difficile pour les députés de voter un plan d’austérité massivement rejeté par la population… sauf à faire fi des règles de la démocratie et faire peu de cas de l’avis des électeurs.
Approbation ou rejet du plan d’austérité, tel sera l’enjeu de la « question de confiance » qui servira de préliminaire à la ratification des mesures d’économies budgétaires et de privatisations : une large majorité de l’opinion publique grecque est farouchement contre.
Les députés peuvent-ils passer outre l’europhobie de leurs électeurs en estimant qu’ils votent des mesures douloureuses et impopulaires, au nom d’intérêts supérieurs qui dépassent de très loin les enjeux locaux ? Et quelle stratégie poursuit donc l’Allemagne dans le dossier grec depuis fin avril ? Cela ressemble beaucoup à celle du pompier instructeur pyromane…
▪ C’est exactement ce à quoi faisait allusion Jean-Claude Juncker (le Premier ministre luxembourgeois) samedi dans un entretien accordé au quotidien allemand Süddeutsche Zeitung.
Il a rappelé que la position allemande — exiger des bailleurs de fonds privés qu’ils contribuent au deuxième plan de sauvetage financier de la Grèce — conduira les agences de notation à diagnostiquer un défaut de paiement (ce dont elles ont clairement averti les marché). Cela « aurait des conséquences très graves pour l’Europe tout entière », avec un effet de contagion garanti à l’Irlande ou au Portugal.
Muettes sur les émissions de subprime jusqu’à ce que leur notation soit abaissée d’un coup de AAA à CCC en 2008, les agences Moody’s et Standard and Poor’s se montrent beaucoup plus proactives envers les dettes souveraines des pays de la Zone euro.
Les Etats-Unis et l’Angleterre sont étrangement épargnés — alors que selon Bill Gross, le patron de PIMCO, l’Amérique présente les mêmes caractéristiques de surendettement et d’insolvabilité que la Grèce… avec pour seul cache-misère (mais qui fait pour l’instant toute la différence) la planche à billets de la Fed.
Moody’s a averti vendredi en milieu d’après-midi qu’elle pourrait dégrader de stable à négative la note de la dette italienne (encore classée AAA) en raison des mêmes incertitudes qui pesaient sur la Grèce dès le mois de décembre 2009 : déficit public supérieur à 130%, croissance en berne et incapacité à réduire sa dette.
Cette annonce n’a cependant pas eu beaucoup d’impact sur l’euro. La monnaie unique s’est redressée au-dessus des 1,43 $ alors qu’elle tutoyait les 1,4075 $ la veille ; l’euro a culminé à 1,434 $ avant l’annonce de Moody’s sur la dette italienne.
Nombre d’opérateurs prennent maintenant conscience — tout du moins publiquement — que les dettes souveraines n’ont souvent pas grand-chose à envier aux subprime de 2008. Ce sont ces mêmes créances pourries qui plombent désormais le bilan du Trésor des Etats-Unis, de l’Angleterre, de l’Irlande… et plus sournoisement de l’Espagne. Cette dernière se garde bien d’effectuer une revalorisation de type « mark to market » du gigantesque stock d’emprunts hypothécaires et déshérence porté par les Cajas (les Caisses d’épargne régionales).
▪ Dans un tel contexte, les derniers indicateurs économiques publiés vendredi ont et relégués au second plan. Toutefois, Wall Street a réagi négativement à la publication d’une baisse de l’indice de confiance du consommateur de l’Université du Michigan. Il s’est dégradé à 71,8 au mois de juin en estimation préliminaire, alors que les économistes anticipaient un maintien de l’indice près des 74,3 de mai.
En revanche, l’indice composite des indicateurs avancés du Conference Board a rebondi de 0,8%, soit une progression deux fois plus forte qu’anticipé après un recul surprise de 0,4% le mois précédent.
Pas de quoi s’emballer : ces variations qui ont déjoué les pronostics deux mois de suite sont en grande partie liées aux effets du séisme du 11 mars au Japon et au ralentissement de l’activité industrielle qui s’en est suivi. Rappelons que la moitié des centrales nucléaires sont encore à l’arrêt et qu’il y a une indiscutable pénurie de courant dans le centre de l’Archipel.
La dernière astuce pour réduire la consommation d’électricité aux heures de pointe serait d’offrir des heures de sieste aux salariés nippons : ils commenceraient en contrepartie à travailler plus tôt et termineraient leur service au peu plus tard.
Cela fera donc trois points communs entre le Japon et l’Espagne : ce sont deux pays montagneux en leur centre et bordés par la mer sur la majorité de leur pourtour… ils sont tous deux victimes de l’éclatement d’une gigantesque bulle immobilière… et la sieste aux heures les plus chaudes s’inscrira dans la tradition, avec la bénédiction des plus grandes entreprises et du gouvernement.
Il ne reste plus qu’à envoyer les boeufs de Kobé affronter des samouraïs armés de sabres en bambou (pas question de découper au katana ces pacifiques animaux en public, comme des thons rouges dans un bar à sushi)… et le jumelage entre Séville et Kyoto apparaîtra comme le prolongement naturel de la grande migration des retraités japonais vers l’Espagne.
Et si la Grèce décidait à son tour de régler sa crise par une bonne sieste ?