▪ Les marchés ont beau jeu de s’extasier devant la spectaculaire décrue des écarts de taux entre l’Allemagne et les pays du sud de l’Europe la semaine dernière. Cet apparent regain de confiance s’explique aisément par le doublement des rachats de dettes souveraines par la BCE, pour un montant plus que substantiel de 124 milliards d’euros.
Qu’elle mette juste 1 000 milliards d’euros de plus sur la table et la dette de l’Italie reviendra gentiment à parité avec les OAT françaises, autour de 3% !
En ce qui concerne la Grèce, cela fait des semaines que le marché se contrefiche des échecs à répétition des pourparlers avec les créanciers privés (banques) d’un côté et publics de l’autre (Bruxelles et FMI).
▪ Grèce : un futur pacte avec le Diable
Personne n’est dupe. Si la Grèce signe un document où elle s’engage à réduire de 20% le SMIC (et l’ensemble des salaires dans le privé pourrait connaître un repli du même ordre), soit elle ne le respectera pas « à la lettre », soit elle ne le pourra pas… parce que le pays aura basculé dans l’explosion sociale, voire l’insurrection contre son gouvernement et par extension l’Allemagne.
Les bailleurs de fonds de la Grèce ne jurent que par la réduction des dépenses publiques. Mais en réalité, le vrai problème, c’est que les citoyens les plus fortunés ne payent pas d’impôts, et ce de façon parfaitement légale, comme les agriculteurs (ce sont les « gros » qui en profitent sans vergogne, tout comme des aides européennes) ; n’oublions pas non plus les fameux armateurs milliardaires.
Ces derniers exercent un chantage à la délocalisation de leur activité vers Londres ou Singapour. Les professions libérales fraudent de façon notoire en sous-estimant leurs revenus et en ne déclarant pas leur patrimoine immobilier (il n’y a pas de cadastre en Grèce) ; et de toute façon, les bâtiments inachevés ne sont soumis à aucune taxe. C’est pourquoi il existe tant de toitures qui se résument à une simple bâche à Athènes ou dans sa banlieue.
Construction pas terminée = pas taxée.
▪ Dieu devra-t-il passer à la caisse ?
Mais le plus gros propriétaire foncier du pays, c’est-à-dire l’Eglise orthodoxe, reste en grande partie exonéré d’impôt. Elle ne paie pas de taxe sur les propriétés dont elle déclare ne tirer aucun revenu locatif, à savoir les monastères, les lieux de culte et les fondations religieuses.
Le détail des véritables revenus immobiliers de ses innombrables propriétés est un mystère plus profond que la Sainte-Trinité. Le lobby religieux dispose apparemment de moyens de pression suffisamment puissants sur le gouvernement pour garantir la pérennité du statut d’exception dont bénéficient les églises (au sens large) en Grèce.
Certains observateurs se sont laissé dire que de tenter d’imposer l’Eglise orthodoxe serait un véritable suicide électoral. En cas de succès, elle se verrait contrainte de réduire certaines dépenses, ce qui nuirait gravement au tissu économique local : personne ne veut courir un tel risque !
Mais le plus sensationnel — et le plus étourdissant vu les circonstances actuelles — c’est que les transferts massifs de capitaux de banques grecques vers des banques étrangères est parfaitement légal. Athènes voulait à tout prix éviter qu’on puisse la comparer à l’Argentine d’avant sa faillite… et que la population incendie le Parlement.
Autrement dit, la Grèce peut bien signer tous les engagements que lui réclament Nicolas Sarkozy ou Angela Merkel « de toute urgence », parce que le peuple en fera des papillotes.
▪ Les banques grecques sont exsangues
De toute façon, un programme de réduction de 15 ou 20% du SMIC et des salaires dans le secteur privé se traduirait mécaniquement par une chute abyssale des recettes fiscales liées aux revenus et surtout du montant des dépôts en liquide auprès des banques.
Ces dernières sont déjà exsangues et n’ont plus de fonds propres pour accorder des prêts — à moins d’une recapitalisation massive dont nous voyons mal d’où elle pourrait provenir !
Autrement dit, la Grèce (et son système bancaire à l’agonie) fera faillite avant le 20 mars. Soit de façon officielle et ordonnée, ou alors à la sournoise, après la signature de pseudo-accords instituant une hyper-austérité.
Les Grecs n’ont plus rien à perdre. La jeunesse n’a aucun avenir… les vieux n’ont plus de quoi se soigner… le commerce de détail connaît une hémorragie historique alors que la consommation s’effondre… les étrangers annulent leurs vacances pour cause de grève générale à répétition — et il ne fait pas bon parler allemand dans le Péloponnèse ou à Kos et Mykonos depuis l’été dernier.
▪ Les indices restent sereins
Pendant que la Grèce entretenait le suspense au sujet de sa survie, la Bourse de Francfort s’est offert un nouveau record annuel peu avant la clôture à 6 781 points avant d’en terminer à l’équilibre (-0,03%),
S’inspirant de ce bel exemple de sérénité, Wall Street s’est efforcé de ne pas reperdre un pouce du terrain conquis ces cinq dernières semaines. Cela nous donne donc +11% pour le Nasdaq, +7% pour le S&P.
Les indices américains ont maintenu le contact avec leur zénith annuel malgré des circonstances beaucoup moins porteuses que vendredi. L’indice Dow Jones ne s’est effrité que de 0,13%. Le S&P 500 finit quasi inchangé (-0,04) et le Nasdaq parfaitement stable à 2 528 points.
Tout comme la veille, les indices ont évolué au sein de marges singulièrement étroites durant la seconde partie de la séance, ce qui a contribué à ramener le VIX sous le seuil des 18.
Encore une fois, le recul du VIX n’est pas la conséquence d’un climat de confiance mais bien l’instrument par lequel ceux qui manipulent les indices tentent de convaincre des gérants de l’absence de tout danger imminent.
▪ Magie : les baissiers sont devenus haussiers
Et ça marche puisque les 70% de baissiers de la fin décembre se sont transformés en 70% de haussiers début février. Cela se traduit également par un rapport call/put complètement déséquilibré en faveur d’un scénario haussier.
Chaque jour qui passe sans que les marchés consolident cristallise la certitude que le tapis volant n’est pas près de retoucher le sol.
Beaucoup d’acheteurs sont convaincus que c’est leur énergie mentale positive qui maintient la carpette dans les airs. Mais en réalité, il ne s’agit que d’un numéro d’illusionniste qui repose sur une machinerie complexe combinant une série d’algorithmes et d’injections de liquidités.
Toute l’habileté du magicien consiste à masquer le bras hydraulique qui soutient les indices boursiers aux yeux du public… en lui demandant de souffler de toutes ses forces en direction du graphique du VIX qui clignote de l’autre côté de la scène.
Pour faire s’envoler les problèmes de la Grèce, il va falloir également que Nicolas et Angela soufflent très fort !