La Chronique Agora

Grande dépression 2020 : focus sur l’emploi (2/2)

Avec la crise du coronavirus, le marché et la structure même de l’emploi ont été affectés : les répercussions sont profondes – et dureront encore des années.

Nous avons vu hier les catégories de travailleurs les plus affectées, en termes d’emploi, par la récession liée au coronavirus. Aujourd’hui, nous passons aux entreprises elles-mêmes…

Les petites et moyennes entreprises (PME) contribuent au PIB US à plus de 40% et offrent près de 50% de la totalité des emplois aux Etats-Unis. En détruisant ces emplois, nous avons détruit l’économie américaine d’une telle manière qu’il faudra 10 ans pour la rétablir.

Le graphique ci-dessous exige quelques explications techniques mais révèle une tendance peut-être encore plus perturbante que les données du chômage.

Lorsque le taux de chômage est annoncé, chaque mois, que ce soit un plus bas presque record de 3,4% avant la pandémie, ou ce plus haut record de 26% qui devrait être publié début juin, le taux est calculé d’une façon très précise.

Mais que se passe-t-il si vous êtes sans emploi et pas en recherche active ?

Le gouvernement ne vous compte pas : vous n’êtes pas « au chômage » (même si vous n’avez pas d’emploi) parce que vous n’êtes pas en recherche active. D’ailleurs, vous n’êtes même pas compté dans la « main-d’œuvre » pour les mêmes raisons. C’est comme si vous n’existiez pas.

Pourtant, vous existez bien, et vous n’avez pas d’emploi. Une personne qui n’a pas d’emploi mais qui ne déclare pas qu’elle est en recherche est comptée dans une catégorie statistique différente appelée « taux de participation à la main-d’œuvre ».

La nette hausse de la participation à la main-d’œuvre – de 60% dans les années 1970 à 67% à la fin des années 1990 – reflète l’augmentation de la présence des femmes sur le marché du travail et la participation en hausse de la génération du baby-boom.

D’ailleurs, cette participation n’est jamais proche des 90% ni, à plus forte raison, des 100%. Il y a toujours ceux qui ne recherchent pas des « emplois » traditionnels, pour d’innombrables raisons parfaitement valables.

Ces personnes peuvent être des étudiants, des parents au foyer, de jeunes retraités, des convalescents ou des bricoleurs, payés en espèces et qui ne déclarent pas leurs revenus. Une participation à la main-d’œuvre supérieure à 67% est considérée comme relativement élevée, dans une économie développée. Et c’est un signe de vigueur économique. C’est là que se situaient les Etats-Unis en 2000, à la fin des années d’expansion Clinton.

Le rendement économique sera altéré pendant des décennies

Ensuite, la participation à la main-d’œuvre a commencé à baisser. On l’attribue à la fois à la récession de 2001 et à la crise financière mondiale de 2008. Des facteurs démographiques sont aussi entrés en jeu, dans la mesure où les baby-boomers ont commencé à partir à la retraite. La dégradation de la santé (due à l’obésité, au diabète, aux addictions à la drogue, etc.) et un taux d’incarcération en hausse, ont exclu de plus en plus de travailleurs.

Dès 2015, le taux de participation à la main-d’œuvre avait chuté aux alentours des 62,4%. Au cours des cinq années suivantes, il a évolué au sein d’une étroite fourchette variant de 62,4% à 63,5%, avec un léger biais à la hausse.

Quasiment du jour au lendemain, la Grande Dépression de 2020 a fait chuter la participation à la main-d’œuvre à 60%, soit à peu près à ses niveaux de 1970. Là encore, c’est comme si l’économie américaine avait remonté le temps pour revenir là où elle se situait il y a 50 ans.

Cinquante ans de hausse de la participation des femmes, des minorités et des défavorisés ont été effacés en un clin d’œil. Et ces chiffres vont s’aggraver. L’U.S. Bureau of Labor Statistics (BLS – Bureau des statistiques du travail), qui calcule à la fois le taux de chômage et le taux de participation à la main-d’œuvre, a reconnu qu’il ne pouvait suivre le flot soudain des inscriptions au chômage, ni ses propres enquêtes auprès des ménages, afin de calculer les taux de base.

Au moins, il est honnête. Il a averti les analystes qu’il fallait s’attendre à une révision majeure des données en juin et juillet, lorsqu’il aura commencé à rattraper son retard. Nous savons déjà que ces révisions impliqueront des taux de chômage encore plus élevés et un taux de participation à la main-d’œuvre encore plus bas.

Ce sont deux mauvaises nouvelles pour la croissance économique américaine.

Comment cela va-t-il affecter le PIB ?

Voici une manière simple de l’envisager : prenez simplement le nombre de personnes qui travaillent et mesurez la productivité moyenne des travailleurs. C’est tout. Combien de personnes travaillent-elles, et quelle est leur productivité ? C’est tout ce qu’il faut savoir, en réalité.

La productivité ne varie pas beaucoup dans une économie arrivée à maturité, mais elle peut changer. Ces derniers temps, la productivité a baissé légèrement pour des raisons que les économistes ne comprennent pas totalement.

C’est peut-être lié au vieillissement de la population ou au fait que nous utilisons énormément de technologies qui font perdre du temps au lieu d’aider réellement le travail. C’est l’une des raisons pour lesquelles la croissance a été lente, au cours des 10 ans précédant la pandémie.

Par conséquent, le véritable moteur de croissance (s’il y en a un) est la dimension de la main-d’œuvre. Voilà ce que mesure la participation à la main-d’œuvre. Une fois que vous quittez la main-d’œuvre (peu importe le motif), votre productivité tombe à zéro car vous ne travaillez pas.

La baisse brutale de la participation à la main-d’œuvre, de 2007 à 2010, coïncide avec la perte de rendement provoquée par la crise financière mondiale et la récession. Le taux de participation à la main-d’œuvre a légèrement rebondi de 2010 à 2019, ce qui est cohérent avec une croissance régulière, même si elle a été peu spectaculaire.

A présent, la participation à la main-d’œuvre s’est effondrée. Les données publiées sont en décalage avec la réalité. Le taux de participation à la main-d’œuvre va probablement encore chuter à 55%, voire plus bas. C’est en partie parce que certains de ces « chômeurs » décideront qu’ils sont à la retraite ou ne pourront décrocher un emploi, ou quitteront simplement la main-d’œuvre.

Ces pertes ne seront pas temporaires, contrairement au chômage qui peut l’être parfois. Elles seront permanentes, à mesure que les compétences, les réseaux sociaux et les références se tariront. C’est catastrophique.

Cela signifie que même lorsque les entreprises rouvriront, et que certains chômeurs retrouveront leur emploi, beaucoup d’autres ne reviendront jamais au sein de la main-d’œuvre. Le rendement sera définitivement altéré, même si la productivité augmente un peu.

La chute du taux de participation à la main-d’œuvre a été vertigineuse. Par conséquent, l’économie est « sous l’eau », et le rendement pourrait rester submergé pendant des décennies.

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