La Chronique Agora

Le « Grand effritement » de l’Irlande

Dublin

Tout comme il y a des accords gagnant-perdant, il y a des droits gagnant-perdant – et l’immobilier irlandais en est une parfaite illustration.

La seule chose agréable de notre triste profession, c’est que nous ne sommes jamais à court de cibles.

Nous visons les sottises : partout où nous allons, nous jetons une canette de bière par la fenêtre – nous sommes ainsi certains d’en atteindre.
En Irlande aussi…

Une manifestation le week-end dernier a prouvé que les Irlandais sont au moins aussi idiots que les Américains.

Nous avons (quasiment) terminé de poser le toit de notre cottage. L’endroit était si minuscule et si délabré que la plupart des gens pensaient qu’il ne valait pas la peine d’être sauvé.

Il était abandonné comme des milliers d’autres maisons en Irlande. Rien que sur notre petite ferme, on trouve trois de ces ruines cachées dans les bois – juste des murs de pierre couverts de lierre et de ronces.

Grandes ou petites, tout s’effrite

On appelait cela « le Grand effritement ».

Il y a un demi-siècle, les Irlandais croulaient sous les bâtiments délabrés – humbles ou majestueux. C’était à tel point que le ministre du Développement de l’époque disait en plaisantant que les gens faisaient pression sur le gouvernement « en menaçant de nous laisser leurs maisons ».

Les petites maisons s’étaient effritées tandis que leurs propriétaires mouraient de faim au XIXème siècle… ou partaient pour les Etats-Unis, l’Australie ou le Canada. Les grandes maisons, quant à elles, avaient succombé aux impôts, à la dette ou aux bombes de l’IRA.

Ensuite, lorsque la prospérité est enfin arrivée en Irlande, rares étaient ceux qui voulaient s’embarrasser des vieilles bicoques. Pour la première fois de son histoire, l’Irlande avait une classe moyenne exigeant des logements de classe moyenne.

Hitler, π et le marché de l’immobilier

Les sottises prennent de nombreux masques et aspects. Parfois, elles sont basées sur une erreur sans conséquences. Parfois, elles témoignent simplement d’un mauvais jugement.

Certains pensent que Hitler habite sous le Pôle Nord. D’autres pensent qu’il faudrait arrondir pi (π) à 3… pour que ce soit plus simple à retenir.

Beaucoup pensent que leur gouvernement peut améliorer leurs vies en stimulant l’économie, en interdisant les drogues ou en bloquant le commerce étranger.

Souvent, les sottises n’affectent que la personne qui les pratique – attirant simplement des sourires narquois du reste d’entre nous. En revanche, quasiment toutes les politiques publiques sont elles aussi basées sur des sottises – ce qui, invariablement, rend la vie moins plaisante pour tout le monde.

« Oh, c’est dingue, en Irlande », nous a expliqué un ami. « La dernière fois, c’était une bulle de l’offre. Là, on a une bulle de la demande ».

Notre ami suit les tendances immobilières. Il est également propriétaire, investissant dans des biens qu’il loue ensuite.

« Quand je publie une annonce pour un appartement à louer, des dizaines de gens me contactent. Maintenant, ils me proposent de payer plus que ce que je demande.

« Il y a tellement de gens qui viennent travailler dans la high tech en Irlande – chez Google, Facebook, toutes ces entreprises qui ont installé leur siège européen dans le pays.

« Les constructeurs n’arrivent pas à suivre la demande. La maison moyenne, à Dublin, se vend désormais plus de 600 000$. Evidemment, il y a tellement de restrictions sur la construction qu’il n’est pas facile d’obtenir un permis ».

Qu’est-ce qu’un droit ?

Ce phénomène – un boom de la demande et un engorgement de l’offre – a mené à ce que les journaux appellent « une crise de l’immobilier ». Le secteur privé a ses propres saisons de boom et de krach ; si l’on veut un authentique désastre, il faut faire intervenir les autorités.

« Les expulsions désormais interdites pour les locataires de longue date », titrait un article de l’Irish Independent samedi. « De nouvelles lois empêcheront les propriétaires d’expulser les locataires de longue date sans raison claire »… commence l’article.

Plus tard dans la journée, tandis que nous travaillions à notre toit, les Dublinois sont descendus la rue ; les masses étaient en marche… et en colère.

« Le logement est un droit humain », proclamaient les pancartes. Sinn Fein, parti politique nationaliste, propose que « le droit au logement soit inscrit à la Constitution [irlandaise] ».

L’idée d’un « droit » au logement révèle la tuyauterie défectueuse d’un esprit qui prend l’eau. Pour que quelqu’un ait droit à une maison, il faut que quelqu’un d’autre ait le devoir de la lui fournir.

Qui est cette autre personne enchaînée au marteau et à la truelle pour que les douces mains d’un activiste de Dublin puissent profiter de la tiédeur d’une jolie demeure sans avoir à la payer ?

Car oui, c’est bien là la signification d’un « droit » – c’est une chose pour laquelle on n’a pas à marchander.

Droits factices

Il y a des droits gagnant-gagnant… comme le droit à la vie, la liberté et la propriété – des choses dont nous pouvons tous profiter.

Et il y a des droits factices, gagnant-perdant, comme le droit à une nouvelle Tesla. Vous obtenez une nouvelle voiture, mais quelqu’un doit la payer. De même, quelqu’un doit grimper sur le toit sans quoi vous n’aurez pas de maison.

Le lecteur sera peut-être aussi curieux que nous. Comment se fait-il que l’Irlande connaisse une crise de l’immobilier ? N’ont-ils pas de plombiers, d’électriciens, de charpentiers ? N’ont-ils pas de pierres, de ciment, de bois ? N’ont-ils pas de promoteurs motivés, prêts à construire des maisons pour répondre à la demande des consommateurs et gagner un peu d’argent ?

Bien sûr qu’ils ont tout cela – par milliers. Mais alors pourquoi ne construisent-ils pas assez de maisons ? Où est le point d’engorgement ?

Le zonage ? La planification ? Les règles d’urbanisme ? La réglementation du secteur des prêts immobiliers ? Pourquoi ne pas convoquer les coupables probables et leur poser quelques questions ?

Au lieu de cela, les politiciens véreux passent à l’action, imposant droits factices et accords gagnant-perdant.

Et nous y voilà… en page 30. Eoghan Murphy est ministre du Logement, de la planification et du gouvernement local :

« Ce gouvernement n’attend pas que le marché résolve le problème. Le marché ne l’a jamais fait. Ce n’est pas un gouvernement limité par l’idéologie.

Nous sommes en pleine expansion massive des logements sociaux, avec 50 000 logements ajoutés au stock entre 2016 et 2021″.

Eh bien ! Contrôle des loyers plus logements sociaux, voilà qui devrait tout régler…

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