La Chronique Agora

Géopolitique du système des banques centrales (1/2)

Nous vivons actuellement dans un ordre bancaire oligarchique – fruit du système des banques centrales et des institutions financières internationales

La notion de banque centrale suppose une centralisation des questions monétaires entre les mains de banquiers centraux contrôlés par des banquiers privés. Le règlement des questions monétaires est donc, par construction, dévouée à la satisfaction des intérêts bien compris des propriétaires majoritaires des principales banques privées[1].

L’existence d’une banque centralisée aux mains d’acteurs financiers privés, qui régit la monnaie dite d’Etat et qui règlemente plus ou moins directement le secteur des banques privées, est le cœur nucléaire de la question monétaire. Les banques centrales[2] sont le centre névralgique de l’organisation du système financier actuel.

Ce concept dit de « banque centrale » s’est volontiers paré des vertus de l’orthodoxie financière pour s’imposer de façon définitive aux yeux du public. Ainsi, s’est répandue l’idée générale selon laquelle le concept de banque centrale indépendante est justifié par la nécessité de lutter contre un excès d’utilisation, par les hommes politiques, de ce qu’il est convenu d’appeler la « planche à billet ». Deux constats factuels s’opposent de façon rédhibitoire à l’adoption d’une telle justification.

Le premier constat est que le concept même de banque centrale véhicule une illusion d’indépendance développée et entretenue par des acteurs bancaires.

Les banques centrales ont en effet toujours été indépendantes des élus politiques mais elles n’ont jamais été indépendantes des banquiers qui les contrôlent. Dit autrement, le système actuel des « banques centrales » est, par construction, indépendant de tout contrôle populaire de type politique, mais au contraire sous la totale dépendance du contrôle capitalistique initial.

D’un point de vue conceptuel logique, la recherche d’une orthodoxie financière de l’Etat peut passer par bien d’autres moyens que celui de remettre les « clefs du coffre » à un groupe homogène de personnes.

La recherche de l’orthodoxie budgétaire serait, par exemple, bien mieux atteinte par l’organisation de contrepouvoirs assortie d’une indépendance statutaire réelle des contrôleurs. Les « gardiens du coffre public », qui manient l’argent du public, devraient ainsi rendre régulièrement des comptes sur l’impact de leur politique sur la masse des individus constituant l’Etat.

Cet organisme de contrôle pourrait être composé de représentants de la société civile, hors banquiers. Il aurait les pouvoirs juridiques et politiques de sanctionner les « gardiens du coffre » lorsque les effets des politiques monétaires suivies seraient durablement et/ou diamétralement contraires aux intérêts économiques des individus auxquels elles s’imposent et à la fluidité du commerce bien compris – c’est-à-dire dans le sens ou le commerce profite à tous les acteurs, et non aux seuls propriétaires des plus grands cartels.

Le second constat sur lequel il convient de s’attarder est que les hommes politiques, « élus du peuple », qu’ils appartiennent au pouvoir exécutif ou au pouvoir législatif, sont, dans leur très grande majorité, ignorants des questions monétaires. Ils n’étaient pas meilleurs connaisseurs de ces questions hier qu’ils ne le sont aujourd’hui.

Les décisions monétaires, y compris celle consistant à recourir à la planche à billets, leurs étaient soufflées par des « hommes de l’art » issus du milieu bancaire. Il faut d’ailleurs convenir que, d’un point de vue strictement conceptuel, la différence entre l’ancienne planche à billets et l’actuel quantitative easing (QE) est assez ténue.

Il est à la vérité très tentant de considérer que le QE actuellement en cours est une version sophistiquée, améliorée, de l’ancienne planche à billets ; ces deux techniques permettant in fine d’orienter la masse monétaire en circulation dans un sens ou dans un autre.

Ces mouvements de masse monétaires sont aujourd’hui opérés de façon coordonnée dans la plus grande indépendance des intérêts du public bien compris ; ils répondent à l’intérêt financier supérieur, pris à un moment donné, de la petite population des grands banquiers – non pas apatrides, car ils ne sont pas dépourvus de patrie, mais transnationaux, car tous les Etats, via les banques, sont leur patrie.

En réalité, la justification selon laquelle « l’indépendance » des banques centrales est liée à la nécessité du contrôle d’hommes politiques trop enclin à « faire marcher la planche à billets » est le prétexte cachant une prise du pouvoir politique par les acteurs économiques dominants – les propriétaires des plus grandes banques.

Avec l’avènement des banques centrales, l’Etat en tant qu’entité politique perd le contrôle de sa monnaie, qui est l’une de ses prérogatives régaliennes, au profit des intérêts particuliers du groupe économique dominant. Cette amputation porte atteinte à l’intégrité de la nature politique de la notion d’Etat.

Rappelons à cet égard la prophétie auto-réalisatrice de Mayer Amschel Bauer, fondateur de la dynastie Rothschild, qui dès le XVIIIème siècle affirmait :

« Donnez-moi le contrôle de la monnaie d’une nation, et je n’aurai pas à m’occuper de ceux qui font les lois. »

Cet article propose de revenir sur la genèse de l’ordre oligarchique bancaire actuellement en vigueur en précisant les différentes étapes de l’avènement du système des banques centrales.

I) La création de banques centrales unitaires

La très puissante banque d’Amsterdam[3], créée en 1609, est la première institution financière des temps modernes car elle a inauguré le concept de « monnaie de banque » comme instrument de paiement.

La banque d’Amsterdam n’émettait pas à strictement parler de billets mais ses récépissés circulaient dans le commerce comme une monnaie fictive. Par le contrôle qu’elle avait de la monnaie papier-fiduciaire, la banque d’Amsterdam fut l’instigatrice de ce qui deviendra la banque centrale.

Toutefois, la véritable naissance de ce qui deviendra « le système des banques centrales » remonte, dans une forme archaïque, unicellulaire, à la création de la Banque d’Angleterre (27 juillet 1694) suivie, un siècle plus tard, de celle de la Banque de France par Napoléon (18 janvier 1800).

Suite à ces créations de type expérimental, les grands argentiers européens – principaux détenteurs de capitaux – ont, dès la fin du XIXème siècle et au début du XXème, entrepris de développer à une échelle bien supérieure le système dit de « banque centrale » en créant la Federal Reserve américaine.

II) La création d’un système de banque centrale : le système Fed

Une fois le concept de banque centrale acquis – sur le territoire européen –aux mains d’acteurs bancaires privés, la longue marche pour la prise du pouvoir monétaire et financier a conduit en 1913 à l’apparition du « système Fed » sur le territoire américain[4].

Ce système, de type fédéral, est composé de 12 banques centrales régionales ; la plus importante d’entre elles est la banque centrale de New York[5].

Il s’agit d’une organisation bancaire privée, de type hiérarchique et pyramidal, qui contrôle et gère en toute liberté les flux monétaires et financiers à l’intérieur du système politique étatique mais en toute indépendance vis-à-vis de ce dernier.

Notons que les initiateurs de la Fed auront dû pratiquer, après sa création technique en 1910, trois longues années d’intense lobbying politique pour imposer la Fed, titan financier, au pouvoir politique américain – lequel fit à cette occasion la démonstration de sa faiblesse.

Prétendument nationale, la Réserve fédérale américaine n’a de national que le nom ; elle a en réalité été créée par quelques banquiers privés européens, soutenus par quelques nouveaux capitalistes américains à l’ambition bien affirmée[6]. Quant à son fédéralisme, il existe mais de façon autonome par rapport au fédéralisme politique auquel il se superpose.

La création politique de la Fed en 1913 a inauguré aux USA l’avènement d’une ère nouvelle dans laquelle l’Etat fédéral a perdu sa justification politique pour désormais essentiellement se vouer à la défense des intérêts du groupe économique dominant.

Après la Federal Reserve et toujours au XXème siècle, la création de la Banque des règlements internationaux (BRI) en 1930 correspond à une nouvelle substantielle avancée de ce qui deviendra l’ordre mondial bancaire oligarchique.

III) La création de la BRI

L’année 1930 a vu, à l’occasion du plan Young[7], la création du joyau de la couronne du système bancaire international : la Banque des règlements internationaux (BRI en français, BIS en anglais)[8].

Son siège est situé à Bâle en Suisse. Cette institution particulière bénéficie de tous les privilèges d’immunité possibles et détient la capacité diplomatique, ce qui en fait un Etat dans l’Etat. Aujourd’hui, la BRI/BIS agit comme « la banque centrale des banques centrales » ; elle fédère les différents banquiers centraux – occidentaux et des pays affiliés – au moyen de réunions régulières et organise et supervise les politiques monétaires qui seront mises en œuvre par les différentes banques centrales.

La BRI est la pierre angulaire de la domination bancaire

Cette institution financière, très peu connue du public, est au cœur du miracle économique nazi de l’entre-deux guerres puisqu’elle a permis une bonne partie du financement de la reconstruction ainsi que de la remilitarisation allemande (alors sous domination nazie).

Historiquement, les banquiers anglo-saxons ont été invités aux festivités par le grand argentier allemand Hjalmar Schacht[9] à l’occasion du plan Dawes[10], bientôt remplacé par le plan Young qui a institué la BRI[11].

Très concrètement, ce sont notamment les prêts octroyés par la BRI qui ont permis à Hitler (qui en a remboursé les intérêts jusque fin 44) de mettre en œuvre ses préparatifs de guerre, tout en faisant peser l’effort de financement – qui assurait dans le même temps l’enrichissement des créanciers –sur le citoyen allemand, dans un premier temps, et sur les habitants des pays conquis par la suite.

La BRI a eu pour objectif premier, comme cela a été parfaitement décrit par l’historienne Annie Lacroix-Riz, de liquider les réparations de guerre dues à la France par l’Allemagne au moyen d’un tour de passe-passe.

La ploutocratie française à la manœuvre lors de la négociation du traité de Versailles a accepté, dès le début des années 20, de se plier aux vues anglo-saxonnes et de renoncer à ses réparations de guerre au profit des intérêts qu’elle tirerait avec d’autres acteurs financiers oligarques – en particulier anglo-saxons – des prêts que la BRI accorderait à l’Allemagne.

Il faut comprendre que les citoyens allemands ont été les premiers grands perdants – tant sur les plans politique qu’économique – de ces petits arrangements entre les élites oligarchiques aux commandes des différents pays.

Aujourd’hui, loin d’avoir disparu – et bien que son abolition eut été un temps réclamée –, la BRI remplit le rôle de « banque centrale des banques centrales ». Elle réalise une coordination informelle mais réelle des politiques monétaires des pays occidentaux – et affiliés – actuellement sous domination oligarchique.

Cette coordination donne un poids considérable au système bancaire occidental, lui permettant dès lors de peser de façon géopolitique sur tous les Etats du monde, y compris et surtout sur ceux qui ne sont pas affiliés à l’ordre oligarchique occidental.

En résumé, la BRI est la pierre angulaire du dispositif actuel de domination monétaire à l’anglo-saxonne, à savoir l’enrichissement des oligarchies par les intérêts financiers et non plus directement, comme ce fut le cas auparavant sur le continent européen, par la mise sous tutelle directe des biens et matières premières.

La BRI, Etat dans l’Etat, œuvre au rabaissement du concept d’Etat

La BRI/BIS bénéficie de tous les privilèges d’immunité possibles et détient la capacité diplomatique.

D’un point de vue juridique, donner à une institution bancaire tous les privilèges et immunités possibles signifie que cette institution est structurellement élevée au même rang qu’un Etat.

La fonction essentielle d’un Etat est d’être un organisme politique qui s’occupe de réguler la vie en société sur un territoire donné. Un organisme bancaire dont le rôle, purement économique, se limite à imposer les intérêts particuliers de ses principaux propriétaires ne répond à aucun intérêt public entendu au sens politique et organisationnel du terme, il ne répond qu’à l’intérêt de groupe – collectivement homogène – de ses principaux propriétaires.

La mise sur un pied d’égalité, au moyen d’un statut international, d’un Etat et d’un organisme financier réalise en conséquence l’abaissement structurel du rôle de l’Etat dont la dimension politique est purement et simplement niée.

Avec la BRI, c’est la première fois dans l’histoire du monde qu’une institution financière internationale acquiert un statut politique similaire à celui d’un Etat. Cette expérience, réussie, a eu une suite : l’avènement du système monétaire européen (SME). Ce dernier s’inscrit dans le cadre de la construction monétaire européenne passant, en premier lieu, par la création du système européen de banques centrales (SEBC).

La suite dès demain

[NDLR : Pour en savoir plus – et approfondir vos connaissances sur le système bancaire et financier actuel, lisez Les Raisons cachées du désordre mondial, le livre de Valérie Bugault – disponible ici.]

Géopolitique du système des banques centrales (2/2)


1. Sur les bénéficiaires de la politique suivie par les banques centrales, voir par exemple l’article suivant : http://www.eric-verhaeghe.fr/leurope-est-elle-sous-la-tutelle-de-ses-banques/
2. Cf. à ce propos Martin Armstrong : https://www.youtube.com/watch?v=qldD9m0dAPA
3. Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Banque_d’Amsterdam#D.C3.A9clin_et_fermeture
4. Cf. La Guerre des monnaies de Hongbing Song, éditions Le retour aux sources.
5. Sur l’organisation américaine du système « banque centrale », voir https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9serve_f%C3%A9d%C3%A9rale_des_%C3%89tats-Unis
6. Cf. Eustace Mullins, Les Secrets de la Réserve Fédérale aux éditions Le Retour aux Sources (paru en français en octobre 2010) ; voir également Antony C. Sutton « Le complot de la Réserve Fédérale », aux éditions Nouvelle Terre (paru en France en 2009).
7. Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Plan_Young
8. Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Banque_des_r%C3%A8glements_internationaux
9. Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Hjalmar_Schacht ; voir également la thèse de Frédéric Clavert, Hjalmar Schacht, financier et diplomate (1930-1950), HAL archives ouvertes.fr ; en particulier pp. 49 et 50.
10. Cf. http://les-yeux-du-monde.fr/histoires/5281-le-plan-dawes-1924-1929
11. Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Plan_Young#Les_trois_critiques_adress.C3.A9es_.C3.A0_la_Banque_des_r.C3.A8glements_internationaux

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile