La Chronique Agora

Géopolitique du système des banques centrales (2/2)

Quel est le rôle joué par les banques centrales – mais aussi le FMI ou la Banque mondiale – dans le nouvel ordre mondial actuellement en train de se mettre en place ? 

Nous avons parlé hier de la naissance de la Fed et de la BRI ; aujourd’hui, nous abordons le cas européen.

La centralisation européenne des banques centrales : le SEBC et le MES

L’expérience américaine de la Fed s’étant avérée un grand succès – et selon le principe de bonne politique qui impose de pérenniser une méthode qui a fait ses preuves –, les grands argentiers occidentaux ont décidé de dupliquer ce modèle pour l’imposer au niveau européen.

C’est ainsi que le système dit de « banques centrales » a eu de récents rebondissements dans l’ordre juridique international par le biais de l’Union européenne, avec la création du fameux Système européen de banques centrales (SEBC), chapeauté par la Banque centrale européenne (BCE), suivi et complété par le Mécanisme européen de stabilité (MES).

La création politique d’une Europe unifiée – grâce au pays dominant[1] que sont les USA – par le mariage de la carpe et du lapin, a vu apparaître, à côté d’institutions politiques dévouées aux intérêts privés des multinationales[2], l’avènement d’un système de banques centrales indépendant du pouvoir politique, calqué sur le modèle de la Réserve fédérale américaine.

Toutefois, le change avait été donné aux populations en conservant une pseudo-organisation démocratique[3]. Cette organisation démocratique purement formelle, de type parlementaire, était néanmoins susceptible de gêner ou retarder la mise en place des intérêts du groupe économique dominant.

C’est pourquoi, à titre de garantie, ce groupe a estimé préférable de maintenir un contrôle direct sur le fonctionnement de l’organigramme juridique en organisant le système des banques centrales sur le modèle de la Réserve fédérale américaine.

Ce SEBC, voulu structurellement indépendant des gouvernements politiques des Etats[4], obéit néanmoins au contrôle capitalistique bancaire.

Officieusement le SEBC est dominé par la Bundesbank (Buba), la banque centrale allemande, elle-même représentant dans une large mesure les mêmes intérêts que ceux de la Fed.

Dans le système SEBC, la Buba sert d’intermédiaire aux volontés oligarchiques en matière financière au même titre que le gouvernement allemand sert, en Union européenne, de courroie de transmission pour les directives oligarchiques lorsque celles-ci nécessitent la mise en œuvre d’un processus législatif.

Le rôle fondamental joué par l’Allemagne dans le processus oligarchique s’explique par le poids de l’histoire et les imbrications capitalistiques germano-anglo-saxonnes du début du XXème siècle.

Ce rôle fondamental de l’Allemagne s’explique également – depuis et après la Deuxième guerre mondiale – tant par la récupération des élites militaires nazies par le système financiaro-politique américain (CIA, NASA, etc.)[5] que par la domination militaire du territoire allemand par les armées américaines.

Pour avoir une vue européenne d’ensemble – et exhaustive – du tableau de la domination bancaire par la monnaie, il faut rappeler que les statuts de la BRI ont servi de modèle à la création du Mécanisme européen de stabilité, apparu en 2012[6].

Le MES, en tant que nouvelle institution financière, est l’héritier direct de la BRI dans son rôle de négation de l’aspect politique et organisationnel du rôle de l’Etat.

La suprématie oligarchique en matière monétaire a été consolidée au niveau mondial par les accords de Bretton Woods[7], qui ont accordé à l’oligarchie de type américano-anglaise la suprématie définitive sur les oligarchies classiques de type occidentales[8]. 

Les institutions financières issues des accords de Bretton Woods

A l’occasion des accords de Bretton Woods[9], la ploutocratie occidentale a imposé au monde entier, par l’intermédiaire du gouvernement des Etats-Unis – vainqueur financier de deux guerres mondiales –, les institutions financières internationales majeures dites « régulatrices » que sont le FMI et la Banque mondiale. Ce faisant, Bretton Woods a finalisé l’ordre monétaro-financier à l’anglo-saxonne sous le joug duquel nous vivons actuellement.

Le FMI

Le FMI[10], grand ennemi des peuples, pratique un peu à la façon de la BRI. Il octroie, moyennant intérêts, des prêts à des Etats en grandes difficultés financières – difficultés souvent pilotées par des établissements financiers spéculatifs du type hedge funds[11].

La nouveauté par rapport à la BRI est que ces prêts sont accordés en échange d’une double contrepartie : d’une part un taux d’intérêt, et d’autre part l’exigence de cessions d’actifs étatiques ou publics à des multinationales afin de permettre le désendettement.

Derrière les grandes et belles prétendues volontés ouvertement affichées, la structure même du FMI laisse entrevoir que ses objectifs réels sont à l’opposé de ceux qui sont proclamés : il s’agit tout simplement d’organiser, au moyen d’un pas de danse rhétorique consistant à imposer un endettement tout en exigeant d’en sortir, l’appauvrissement à la fois des Etats et des populations.

Ce vice de construction est tout à fait délibéré ; il s’agit tout simplement de la mise en œuvre légale et internationale d’une pure prédation du système politique par les tenants du système économique au moyen de l’affaiblissement structurel de l’assise économique et financière des Etats.

Une fois de plus, on assiste à un dévoiement de la nature politique des Etats, lesquels sont rabaissés, par une institution internationale, au rang de simples organisations de type privé, faisant fi des intérêts collectifs qui sous-tendent la notion même d’Etat.

La Banque mondiale

La Banque mondiale[12] est, comme son nom l’indique, la première pierre au futur édifice du gouvernement mondial.

La Banque mondiale est au cœur du système de protection des investissements des entreprises multinationales […].

Cet organisme qui prétend officiellement éradiquer la pauvreté dans le monde est officieusement, mais aussi structurellement – notamment par sa prise de position en faveur des investissements –, responsable de son aggravation.

Début 2015, un consortium de journalistes a révélé que la Banque mondiale finançait des projets non seulement inefficaces mais encore en totale contradiction avec ses missions officielles, forçant des millions de personnes à quitter leurs terres ou leurs logements[13].

La Banque mondiale, dominée par la finance anglo-saxonne, a notamment été dirigée entre 2005 et 2007 par un proche de la famille Bush, Paul Wolfowitz[14] ; ce dernier, baigné à la fois dans le trotskisme et le néo-conservatisme de l’école de Chicago, fut également très impliqué dans les affaires du Pentagone[15]. Paul Wolfowitz a dû démissionner de ses fonctions suite à un scandale sur fond de népotisme.

Début 2015, un nouveau scandale[16] surgit alors que la Banque mondiale prétend retourner à l’équilibre financier en diminuant ses coûts et augmentant ses ressources par le renchérissement du coût de ses prêts et par l’augmentation de ses placements sur les marchés.

Outre que le renchérissement du coût de ses prêts est en totale opposition avec l’objectif officiel d’éradication de la pauvreté affiché par la Banque mondiale, une recherche d’économie ne s’accorde en effet logiquement pas avec la distribution de primes et de bonus à certains de ses hauts dirigeants.

Conclusions

Les organisations financières internationales issues des accords de Bretton Woods paraissent en réalité être des paravents chargés de légitimer l’affaiblissement des ressources financières des Etats.

Avec la création de ces institutions, nous assistons à l’avènement mondial du « fait économique » en lieu et place du « fait politique ».

Mais, tandis que la conception politique du monde, par essence variée en fonction des histoires propres à chaque nation, avait pour mission de régir tous les intérêts en présence sur un territoire donné, la conception strictement économique et financière du monde ne remplit que la satisfaction des intérêts bien compris d’un tout petit groupe d’individus qui domine la vie économique ; la notion de territoire n’étant dès lors plus pertinente.

La domination financière des Etats s’accompagne en outre d’une homogénéisation préoccupante des intérêts des différents gouvernants du monde ; elle ouvre la voie à l’organisation d’un gouvernement mondial de type oligarchique, le fameux « nouvel ordre mondial ».

Pour terminer…

Le contrôle des flux financiers du monde par un groupe économiquement dominant nécessite un contrôle des monnaies. Ce contrôle est réalisé au moyen de l’organisation d’un système sophistiqué de banques centrales.

Le contrôle des monnaies est un instrument privilégié, pour les grands détenteurs de capitaux occidentaux, afin d’agir politiquement sur l’économie de tous les pays du monde.

La finance internationale dominée par les propriétaires des grandes banques privées fonctionne, via l’organisation des banques centrales, en système fermé, dans le sens des intérêts d’un très petit nombre d’individus qui ont accaparé les fonctions monétaires et par voie de conséquence économique et politique des Etats-nations voués à disparaître.

Cette domination mondiale par la finance a été parachevée par l’avènement des institutions financières internationales telles que la BRI, ainsi que par les institutions financières issues des accords de Bretton Woods.

La domination politique actuelle par les acteurs financiers est irrémédiablement liée à la disparition des Etats-nations. Le type de domination occidentale classique – celle de l’Ancien régime – fondé sur la propriété foncière représentait une conception politique et juridique continentale du monde qui tournait autour du concept d’Etat-nation.

Cette conception a, depuis la Révolution française et avec une nette accélération au XXème siècle, définitivement cédé la place à une domination financière fondée sur une conception du monde de type anglo-saxonne entièrement tournée vers le « fait économique ».

Nous assistons aujourd’hui aux dernières scènes d’une vaste entreprise de dépréciation de la notion politique d’Etat au bénéfice de l’intérêt privé d’un petit nombre de personnes qui se sont rendues maîtresses du système monétaire mondial. En Occident, le « fait politique » a cédé la place au « fait économique ».

Ce n’est pas un hasard si la méthode de domination d’outre-Atlantique, fondée sur l’argent et la finance, l’a finalement emporté sur la méthode traditionnelle de domination continentale fondée sur l’accaparement de la propriété foncière.

Cette évolution est largement due au fait qu’une appropriation ouverte et directe des biens est moins efficace – car soulève bien plus d’hostilité et de résistance – qu’une appropriation sournoise liée à l’anonymat des propriétaires de cartels d’entreprises. L’anonymat permis par le modèle d’entreprise capitalistique joue un rôle essentiel dans l’entreprise de domination mondiale actuelle par les élites financières.

[NDLR : Pour en savoir plus – et approfondir vos connaissances sur le système bancaire et financier actuel, lisez Les Raisons cachées du désordre mondial, le livre de Valérie Bugault – disponible ici.]


1. A ce propos, lire Annie Lacroix-Riz, L’Intégration européenne de la France. La tutelle de l’Allemagne et des Etats-Unis, Le Temps des Cerises, 2004.
2. Sur l’intérêt structurellement dominant des multinationales en UE, voir par exemple : https://www.youtube.com/watch?v=0LJdUtJ__IM
3. Sur les limites institutionnelles de la démocratie européenne, voir par exemple : https://www.youtube.com/watch?v=H8qpT9DASUY
4. Cf. articles 127 et s. du TFUE, voir en particulier l’article 130 : « Dans l’exercice des pouvoirs et dans l’accomplissement des missions et des devoirs qui leur ont été conférés par les traités et les statuts du SEBC et de la BCE, ni la Banque centrale européenne, ni une banque centrale nationale, ni un membre quelconque de leurs organes de décision ne peuvent solliciter ni accepter des instructions des institutions, organes ou organismes de l’Union, des gouvernements des États membres ou de tout autre organisme. Les institutions, organes ou organismes de l’Union ainsi que les gouvernements des États membres s’engagent à respecter ce principe et à ne pas chercher à influencer les membres des organes de décision de la Banque centrale européenne ou des banques centrales nationales dans l’accomplissement de leurs missions. »
5. Cf. l’opération « Paperclip » : http://www.voltairenet.org/article14657.html ; également http://rr0.org/org/us/dod/Paperclip.html
6. Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9canisme_europ%C3%A9en_de_stabilit%C3%A9
7. Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Accords_de_Bretton_Woods
8. Voir sur ce sujet la conférence d’Annie Lacroix-Riz sur l’intégration européenne après la Deuxième guerre mondiale : https://vimeo.com/18006526, ainsi que L’Intégration européenne de la France. La tutelle de l’Allemagne et des Etats-Unis, Le Temps des Cerises, 2004
9. Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Accords_de_Bretton_Woods
10. Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Fonds_mon%C3%A9taire_international
11. Sur le rôle des hedge funds dans le déclenchement de la « crise grecque », cf. Myret Zaki : https://www.youtube.com/watch?v=TLjq25_ayWM
12. Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Banque_mondiale
13. Cf. http://www.courrierinternational.com/article/international-comment-la-banque-mondiale-echoue-proteger-les-pauvres
14. Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Paul_Wolfowitz
15. Cf. http://www.voltairenet.org/article15033.html
16. Cf. http://www.latribune.fr/actualites/economie/international/20141004trib0daa5a1f0/quand-le-scandale-des-bonus-de-ses-hauts-dirigeants-secoue-la-banque-mondiale.html

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