La Chronique Agora

Quel futur pour le couple franco-allemand ?

Les profondes fractures européennes sont aussi franco-allemandes.

La guerre qui a éclaté le 7 octobre entre Israël et le Hamas (beaucoup jugent que cela s’est transformé en opération d’occupation, voire d’anéantissement de la bande de Gaza) divise les populations bien au-delà des terres situées entre le Liban, la Syrie, la Jordanie et l’Egypte.

Les pays européens ne sont plus alignés comme pour le soutien à l’Ukraine.

L’Espagne exhorte Israël à stopper des opérations qui tuent des milliers de Palestiniens. L’Allemagne soutient à 100% l’armée israélienne (c’est l’un de ses gros fournisseurs d’armes) et contrairement à Emmanuel Macron, Olaf Scholz s’oppose à un cessez-le-feu qui « permettrait au Hamas de se réarmer » (on voit mal comment, la bande de Gaza est sous blocus complet).

En France, l’Elysée semble tantôt plus en phase avec l’opinion publique, qui se préoccupe du sort de la population palestinienne, puis retourne sa veste pour s’aligner sur une classe politique qui reprend à son compte la rhétorique de Benjamin Netanyhou et appelle à lutter contre l’antisémitisme (que de nombreux « influenceurs » et élus proches d’Israël ou bi-nationaux veulent assimiler abusivement à l’anti-sionisme).

Cette séquence géopolitique permet à l’extrême droite française – par solidarité avec l’extrême droite israélienne – d’intégrer pleinement « l’arc républicain », alors qu’une partie de la gauche jugée clientéliste et pro-islam s’en trouve exclue, et certains de ses membres (accusés d’être pro-Hamas) diabolisés.

Cela aura un retentissement majeur sur l’échiquier politique français, puisqu’il est désormais tout à fait exclu de voir LFI et le Rassemblement National unir leurs voix pour faire aboutir une motion de censure : une excommunication réciproque définitive est actée.

En revanche, l’extrême droite devient non seulement « respectable », mais pourrait servir de force d’appoint à la minorité présidentielle pour faire passer des lois « sécuritaires » ou anti-immigration, sans avoir à recourir à de nouveaux 49.3.

La fin du second mandat d’Emmanuel Macron s’annonce confortable (plus aucun risque de voir le gouvernement mis en minorité à l’assemblée) et l’extrême droite devrait échapper progressivement au boycott séculaire d’une partie des médias (le groupe Bolloré et Valeurs Actuelles faisaient exception) qui salueront son soutien manifeste envers Israël, lequel s’ajoute au renoncement à quitter l’Europe, à dénoncer l’euro… et à la rupture avec la Russie, en prenant fait et cause pour Kiev et Zelenski.

Mais la majorité de la population française et allemande n’approuve pas la ligne politique officielle pro-guerre, ni sur l’Ukraine, ni sur Israël : c’est à peu près sans conséquence en France, où aucune élection ne viendra sanctionner la rupture de la classe politique avec les Français.

Cela devient beaucoup plus compliqué pour la coalition « feu tricolore » (hétéroclite, sans ligne directrice) d’Olaf Scholz, dont sa formation d’origine est en perte de vitesse dans tous les scrutins régionaux depuis plusieurs trimestres.

Mais il se préoccupe peu de son avenir politique et s’obstine dans son alignement sans faille sur les positions de Washington… et ses commandes massives de systèmes d’armes et d’avions de chasse américains, systématiquement au détriment des alternatives françaises, à tel point que cela en devient une véritable humiliation.

Nos deux pays divergent à peu près sur tout : la défense, les affaires étrangères, la sécurité et l’énergie.

De façon pathétique, pour sauver les apparences, nos patrons de banques centrales François Villeroy de Galhau et Joachim Nagel sont obligés de se féliciter du « compromis trouvé sur la réforme du marché de l’électricité », alors que tout le monde sait que la France reste la grande perdante, et que cela lamine le pouvoir d’achat des Français… comme celui des Allemands.

Seul le Fisc y trouve son compte dans les deux pays : une électricité plus chère fait exploser les recettes de TVA et cela tombe bien, car nos finances publiques sont au plus mal.

La France croule sous les déficits jumeaux, budgétaires et commerce extérieur, du fait de notre désindustrialisation au profit de l’Allemagne et de notre incapacité à trouver un relai de croissance comme l’intelligence artificielle, la finance… Et ne parlons pas de l’immobilier, avec une chute de 40% des achats de logements neufs au troisième trimestre 2023.

L’Allemagne rencontre d’autres problèmes : sans le gaz russe, sa compétitivité est au plus mal, son principal partenaire et client – la Chine – connaît également un ralentissement (cela se traduit par une baisse de 30% des échanges bilatéraux en douze mois) et le PIB germanique devrait reculer de 0,3% cette année.

Pour résumer, la France et l’Allemagne n’ont pas la même approche diplomatique du conflit au Proche-Orient, ni en l’état, ni en cas d’extension à d’autre pays de la zone ; pas les mêmes intérêts économiques vis à vis des pays du Golfe ; pas la même exposition à la Chine ; pas le même degré d’implication dans le conflit en Ukraine ; pas la même politique énergétique ; pas la même approche du nucléaire et du « renouvelable » ; pas les mêmes déséquilibres budgétaires ; quasiment plus aucun projet industriel en commun ; et en situation de divorce total sur les questions de défense et de choix de matériel.

Comment parler encore de couple franco-allemand et imaginer qu’en cas de récession, les deux Etats coopéreront ?

L’Allemagne peut imposer – et ne s’en prive pas depuis des années – ses vues à la France via le chantage à la dette (la France creuse ses déficits, l’Allemagne ferme les yeux pourvu que nous adoptions des mesures qui sont favorables à l’industrie germanique).

La question qui se pose désormais est la suivante : l’entrée en récession de l’Europe, puis l’égocentrisme économique et diplomatique germanique ne vont-ils pas faire éclater définitivement le couple – bien mal assorti – franco-allemand et provoquer par ricochet le début d’une vraie crise de confiance dans l’euro.

Là se situe le « sujet » du moment… et le vrai enjeu pour l’avenir d’une Europe déjà largement dysfonctionnelle à bien des égards !

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