La Chronique Agora

Le futur du commerce en Afrique sera-t-il vraiment libre ? (1/2)

Afrique, commerce, libre-échange

Pour réussir, l’accord entre tous les pays du continent doit garantir un véritable libre-échange, et non un « libre-échange » en réalité contrôlé par les Etats.

La zone de libre-échange continentale africaine, ou AfCFTA (pour « African Continental Free Trade Area ») constitue la plus grande zone de libre-échange du monde sur la base du nombre de pays qui la composent. Il s’agit du projet de zone de libre-échange le plus ambitieux et, compte tenu des tendances démographiques, le plus prometteur à travers le monde. L’AfCFTA revêt ainsi une grande importance pour les économies africaines prises séparément ainsi que pour le développement économique intégré et collaboratif du continent dans son ensemble.

S’il est couronné de succès, il aura également des répercussions significatives sur l’économie mondiale. En tant que tel, l’AfCFTA est donc d’une importance fondamentale. Pas seulement pour les peuples africains, mais pour nous tous.

Ratifié et lancé, mais pas utilisé…

L’AfCFTA a été ratifiée en 2018 et sa mise en application effective a débuté officiellement au 1er janvier 2021. Je précise officiellement car, étrangement, aucune opération commerciale n’a encore été réalisée dans le cadre de l’accord à ce jour, après plus d’un an.

Bien que nous soyons habitués avec les gouvernements à ce que tout prenne plus de temps et coûte plus cher que nécessaire, il est déroutant, troublant et peut-être aussi embarrassant que, seize mois après le début de l’ouverture des échanges, aucune opération commerciale n’ait eu lieu dans le cadre de l’AfCFTA.

En particulier, si l’on considère que pour sortir des millions de personnes de la pauvreté et accélérer le développement économique du continent, les Africains doivent avoir la possibilité de commercer librement les uns avec les autres à plus grande échelle.

Alors pourquoi les échanges commerciaux n’ont-ils toujours pas décollé dans le cadre de l’AfCFTA ?

Non, ce n’est pas seulement dû aux restrictions sanitaires, à la guerre en Ukraine ou à d’autres facteurs exogènes. La raison principale pour laquelle les sociétés africaines postcoloniales commercent aussi peu entre elles est d’ordre philosophique. Au moment de leur indépendance, au lieu de démanteler les barrières mercantilistes coloniales afin de rétablir un commerce libre et affranchi des frontières entre les peuples d’Afrique, les dirigeants africains, influencés par la pensée socialiste, ont au contraire renforcé les structures étatistes et protectionnistes héritées de la période coloniale et, dans la plupart des cas, les ont rendus encore plus bureaucratiques et répressives. C’est la raison essentielle pour laquelle le commerce intra-africain est resté au point mort.

L’Afrique souffre de systèmes économiques lourdement étatisés

Contrairement aux idées reçues, les systèmes économiques actuels, aussi bien des pays développés ou des pays pauvres, ne sont pas des économies capitalistes de marché libre. Même les Etats-Unis, bastion du capitalisme, ne sont pas véritablement une économie de marché libre. Au contraire, nous, humains, vivons sous des systèmes économiques étatistes à des degrés de sévérité variables.

Certains des systèmes les plus étatistes au monde (et donc cruels et oppressifs) se trouvent en Afrique. La grande majorité des pays africains sont classés année après année dans l’indice de liberté économique de la Fondation Heritage dans la catégorie des pays essentiellement non libres, voire réprimés. Les deux seules exceptions sont l’île Maurice, qui se classe parmi les pays les plus libres au monde, et le Botswana, qui se distingue d’ailleurs par un degré développement économique relativement élevé pour la région.

Dans ce contexte de systèmes économiques étatistes et répressifs, il ne faut pas s’étonner que, seize mois plus tard l’entrée en application de l’accord, aucune opération commerciale n’ait eu lieu dans le cadre de l’AfCFTA. En d’autres termes, les échanges commerciaux n’ont toujours pas décollé en raison du degré suffocant de répression économique et monétaire imposé aux peuples africains par leurs gouvernements.

Les politiciens et les bureaucrates africains, qui pour la plupart partagent des opinions étatistes et socialistes, hésitent encore à démanteler les nombreuses barrières artificielles qui bloquent les échanges commerciaux entre pays africains. Paradoxalement, les mêmes politiciens qui ont ratifié l’accord visant à établir un marché unique africain hésitent à démanteler les barrières artificielles héritées de la période coloniale et postcoloniale qui empêchent les africains de commercer librement.

Il faudra beaucoup d’audace et un changement profond dans la pensée économique pour que le commerce intra-africain décolle et que l’AfCFTA réussisse : les responsables politiques africains devront en effet accepter de supprimer les nombreuses contraintes économiques et monétaires en place.

Oui, l’existence de l’AfCFTA est une preuve indubitable et même remarquable de la détermination des dirigeants africains à créer un marché africain unique. Mais jusqu’à quel point ce marché sera-t-il être libéralisé, ou au contraire maintenu sous contrôle ? Je soutiens qu’il doit être laissé totalement libre.

Bien que l’AfCFTA constitue un pas décisif vers le libre-échange en Afrique, son succès n’est pas garanti en raison de la pensée économique étatiste et socialiste dominante parmi les décideurs africains et de la prévalence des croyances anti marché-libre, anti libre-échange et anti libre-entreprise au sein du grand public.

Le secrétariat de l’AfCFTA pourrait engager une société de conseil sérieuse afin d’analyser les raisons pour lesquelles les échanges commerciaux n’ont toujours pas décollé. Ce cabinet de conseil présenterait, bien entendu, une longue série de graphiques et de statistiques expliquant les nombreuses raisons à l’origine de de cette situation. Cependant, la raison fondamentale est en réalité d’ordre philosophique et se cache à la vue de tous.

L’AfCFTA peut être abordé de deux manières différentes

Les dirigeants politiques africains peuvent aborder l’AfCFTA de deux façons différentes : l’approche étatiste ou l’approche basée sur le marché.

D’après la vision étatiste, le gouvernement doit jouer un rôle prépondérant en régulant et en contrôlant de manière centralisée l’activité économique (donc la vie des gens). C’est l’approche adoptée en Afrique depuis l’indépendance, qui, de toute évidence, a échoué à donner naissance à des sociétés africaines libres et prospères.

Le marché constitue le système économique naturel. Les individus existaient bien avant l’émergence du gouvernement ou de l’Etat. La vie humaine, l’action humaine (rationnelle et délibérée), la coopération humaine, la propriété et, par conséquent, les marchés libres, le libre-échange et la libre entreprise sont apparus bien avant l’Etat ou tout autre forme de gouvernement. Avec l’approche basée sur le marché, les dirigeants africains laisseraient enfin les Africains vivre, se déplacer, produire, innover et commercer librement au sein de l’AfCFTA.

A l’inverse, l’approche étatiste conduirait à freiner les échanges commerciaux et compromettrait donc gravement le développement de l’AfCFTA. Les politiciens et les bureaucrates continueraient à détenir un pouvoir démesuré sur l’économie (et donc sur la vie des gens). Par conséquent, la corruption, le copinage, l’injustice, la tyrannie, la recherche de rentes, le détournement de fonds, le favoritisme, le chômage de masse, l’inflation galopante, l’endettement incontrôlé, la fiscalité écrasante et la pauvreté généralisée, pour ne citer que quelques problèmes, se poursuivraient comme au cours des cinquante dernières années.

Plus grave encore, le dividende démographique sans précédent dont pourrait bénéficier l’Afrique et l’énergie entrepreneuriale de sa jeunesse resteraient largement inexploités et gaspillés, comme c’est déjà le cas aujourd’hui.

A suivre…


Article traduit avec l’autorisation du Mises Institute. Original en anglais ici.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile