Alors que l’on craignait une pénurie et des blackouts… l’inverse pourrait bien être en train de se produire. Comment est-ce possible ?
L’information est presque incroyable dans le contexte actuel. Elle n’a d’ailleurs été que peu relayée dans les médias tant elle est contre-intuitive. Mais c’est la réalité : depuis peu, la France est en surproduction électrique.
EDF a admis, la semaine dernière, avoir été contrainte d’arrêter en décembre le réacteur n°4 de la centrale du Tricastin, dans la Drôme. Cette fois-ci, pas de fuite, de maintenance, ou de travaux à prévoir… l’électricien était tout simplement gêné par la trop forte quantité d’électricité disponible sur le réseau français, et Tricastin a été priée de limiter sa production.
Si cette tranche est la seule à avoir été arrêtée, près d’une dizaine de centrales ont, durant les fêtes, réduit volontairement leur production sur de courtes périodes.
Un comble alors que les pouvoirs publics nous serinent, depuis des mois, quant à la nécessité de limiter notre consommation d’électricité !
Si étonnante que ce soit cette nouvelle, elle est toutefois logique lorsque l’on connaît le fonctionnement de notre réseau électrique. Elle prouve la difficulté de maintenir un approvisionnement 24h/24 en électricité, et les difficultés colossales qui nous attendent avec l’essor des énergies renouvelables.
Car si nous pouvons encore absorber pics et creux de demande en électricité en modulant la production de nos centrales nucléaires, une opération loin d’être triviale mais maîtrisée par EDF, il n’en sera pas de même lorsque la moitié de notre électricité proviendra de sources intermittentes.
Pourquoi couper des centrales en pleine pénurie
La fragilité du réseau électrique tient dans le fait qu’il est obligatoire d’équilibrer à tout instant la production et la consommation. Contrairement au pétrole qui peut rester sagement au fond de sa cuve, ou même au gaz naturel qu’il est possible de stocker dans des réservoirs, les électrons doivent « venir de quelque part » et « aller quelque part » à chaque instant.
Il est donc obligatoire pour les énergéticiens de faire correspondre la production à la demande instantanée.
Lorsqu’ils ne sont pas capables d’injecter suffisamment d’électricité, le réseau s’effondre et l’électricité est coupée – ce sont les fameux blackouts.
En revanche, une production excédentaire est encore plus dangereuse puisqu’elle conduit à une augmentation de la tension sur le réseau, qui peut endommager les appareils et causer destructions et incendies. C’est donc un scénario noir à éviter à tout prix.
Le problème est que la consommation est à la fois cyclique et non-pilotable. A part quelques ajustements à la marge (comme nous l’avons fait avec les appels à la sobriété), les consommateurs utilisent l’électricité lorsqu’ils en ont besoin.
Les industries tournent durant la journée. Les particuliers chauffent et éclairent leurs logements le matin et le soir. Et lorsque les températures sont douces, comme cette année, la consommation hivernale chute.
Il se trouve que les variations journalières, et d’une année sur l’autre, sont du même ordre de grandeur que la pénurie énergétique causée par l’absence de gaz russe.
Un pic moins haut
Regardez par exemple la courbe de consommation électrique du premier lundi de janvier 2023 :
Au petit matin, le creux de consommation instantanée était de 50 GW. En fin d’après-midi, la consommation hexagonale a dépassé les 62 GW, soit 24% d’écart entre les plus-bas et les plus-hauts journaliers.
Voici le même graphique pour le premier lundi de janvier 2022, un an auparavant :
Ce jour-là, l’écart jour/nuit s’est monté, de manière très classique, à 29%… mais le pic de consommation était de 71 GW, soit 15% de plus que lors du pic de 2023 !
Autrement dit, chaque jour, les énergéticiens doivent gérer une différence de production jour/nuit équivalente à la part du gaz russe dans notre mix énergétique. Les variations annuelles sont du même ordre de grandeur.
Et le tout se cumule.
Avec la remise en service de plusieurs réacteurs cet hiver, nous sommes donc dans une situation complexe : à court terme, nous sommes en surproduction d’électricité – EDF est même redevenue exportatrice nette depuis le 1er janvier… tout en étant incapable de garantir une production suffisante en cas de reprise de la demande, par exemple en cas de retour à la normale des températures.
En d’autres termes, en plus d’avoir une capacité brute disponible trop faible (d’où le risque de pénurie cet hiver et l’année prochaine), nos marges de manœuvre le sont tout autant, y compris à la baisse.
Car si nous pouvons nous féliciter d’exporter notre courant excédentaire, n’oublions pas que cette option peut disparaître dans le futur. Dans les prochaines années, il serait tout à fait possible de nous retrouver dans une situation de surproduction à l’échelle européenne, notamment en cas de surproduction éolienne ou photovoltaïque. A ce moment-là, le risque de surchauffe toucherait tout le continent, et le prix spot de l’électricité pourrait s’enfoncer violemment en territoire négatif.
Nécessité absolue des systèmes de stockage
En plus de devoir augmenter de manière faramineuse les capacités-crête de production pour répondre à la demande et à l’intermittence croissantes, nous allons devoir nous équiper de nouveaux moyens de lisser la consommation.
Au vu des feuilles de routes gouvernementales, éteindre les centrales à gaz et couper les réacteurs nucléaires ne suffira bientôt plus à équilibrer la production renouvelable.
Il y aura tout simplement trop de GW intermittents et non pilotables branchés sur le réseau.
La seule solution sera de multiplier les puits de consommations. Et certaines entreprises sont déjà bien positionnées dans le secteur.