La Chronique Agora

Fous de joie… ou fous à lier ?

L’argent gratuit a transformé le système financier en marigot infesté de crocodiles : la phase d’assainissement sera difficile.

Aujourd’hui, nous faisons nos bagages, nous fermons les volets, nous rangeons les chaises de jardin et le jeu de croquet.

Tout doit être mis à l’abri – sans quoi tout cela subira les ravages de la pluie, du vent et du soleil. Le bois se fendille ; le métal rouille ; les rideaux se décolorent…

… C’est ainsi que va la nature. Quoi que nous fassions, rien ne résiste au temps.

En préparation de notre départ, nous avons sorti notre bicyclette hier et avons écumé la campagne pour dire au revoir à nos connaissances.

La dernière étape concernait un ami qui a travaillé sur notre ferme jusqu’à sa retraite, il y a 10 ans environ.

Il est remarquablement en forme. A 79 ans, il travaille tous les jours dans son jardin et coupe son propre bois.

Mais son fils aîné a été tué lors d’un accident de voiture l’an dernier – c’est le deuxième de ses trois enfants qu’il perd. Depuis, il semble brisé.

« Comment vas-tu, François ? » avons-nous demandé.

« Ca va », nous a-t-il répondu – mais son regard démentait ses paroles. Il souffrait.

Après une brève conversation et un verre de jus de pomme fraîchement pressé, nous nous sommes remis en selle.

Quelques kilomètres plus loin se trouvait la maison d’un autre couple de retraités.

Tous deux ont plus de 70 ans. La femme est petite, vive, énergique et très amicale. Son mari est atteint de sclérose en plaque. Il ne quitte plus la maison, sinon pour aller à l’hôpital.

Il a l’esprit toujours alerte, ceci dit, et s’intéresse de près à la Chine.

Nous lui avons ramené un livre de notre bibliothèque dont nous savions que nous ne le lirions jamais. Il a été écrit en chinois il y a longtemps, et est désormais traduit en français.

« En chinois, il n’y pas de séparation claire entre l’écriture et l’idée qu’elle transmet », nous a expliqué notre ami. « Toutes deux doivent être vraies, belles et éternelles. Pour l’œil… et pour l’esprit ».

« Euh… d’accord », avons-nous répondu.

La vérité est rare

Revenons à notre principal sujet, l’argent. Dans le monde de l’argent actuel, la vérité est rare ; la beauté ne peut se trouver que dans l’ironie et la moquerie.

La semaine dernière, par exemple, le président des Etats-Unis a sorti ceci :

« Notre Réserve fédérale n’arrive pas à suivre ‘mentalement’ la concurrence – les autres pays. Au G7 en France, tous les autres Dirigeants étaient fous de joie de voir leurs Coûts d’Intérêts aussi bas. L’Allemagne est en fait ‘payée’ pour emprunter de l’argent – TAUX ZERO ET PLUS ! La Fed est Nulle ! »

Le président est perturbé parce que la Fed ne dévalue pas assez rapidement la masse monétaire américaine.

« Tous les autres le font », semble-t-il dire. « Pourquoi pas nous ? »

Evidemment, « nous » le faisons. La Fed prête de l’argent factice à ses membres à un taux à peu près équivalent à l’inflation des prix à la consommation.

Cet argent « gratuit » a le même effet sur le système financier US qu’un ouragan sur une piscine en Floride ; il se transforme en marigot poisseux abritant un alligator.

Nous sommes d’avis que les autres dirigeants n’étaient pas « fous de joie » quant à la tempête – mais perplexes. Pourquoi les investisseurs s’abriteraient-ils dans un bon italien à 10 ans avec un rendement de moins de 1% ?

Fou à lier

Il y a l’argent intelligent. Et il y a l’argent bête. Mais cet argent-ci doit être fou à lier.

L’économie italienne est dans l’ornière depuis plus de 10 ans. Sa population native devrait être divisée par deux d’ici la fin du siècle. Elle doit plus de 130% de son PIB.

Et son gouvernement trébuche d’une coalition instable à une autre… tout juste capable de gouverner.

Il faudrait être cinglé pour prêter de l’argent à l’Italie…

… Ou bien être persuadé que la partie est truquée.

C’est-à-dire qu’acheter des obligations italiennes – ou allemandes, ou françaises… ou américaines, d’ailleurs – n’a de sens que si l’on cherche à anticiper les décisions des banques centrales, en comptant sur elles pour faire une chose encore plus cinglée que celle que vous avez commise, et racheter vos obligations surévaluées à des prix encore plus élevés.

Voilà ce que Donald Trump voudrait que la Fed fasse – bidouiller le marché du crédit plus encore qu’actuellement.

La Fed devrait imprimer plus d’argent factice, pense-t-il, et prêter à son gouvernement à des taux d’intérêts encore plus bas. L’idée est que l’économie soit chauffée à blanc à temps pour l’élection de 2020.

Abandonnés par les dieux

Nous sommes d’avis que cette gigantesque bulle de dette marque un changement majeur au sein de la puissance économique mondiale. Les Américains ont abandonné leurs dieux – l’argent honnête, un gouvernement limité, des budgets équilibrés.

Désormais, ces dieux les abandonnent.

La fausse monnaie a détruit le capital réel, créé le chaos sur les marchés, causé des milliers de milliards de dollars de mauvais investissements, ralenti la croissance et engendré d’épouvantables inégalités.

Elle a aussi corrompu le gouvernement ; les autorités l’utilisent pour éviter de prendre des décisions difficiles – mais nécessaires.

L’argent factice finance leurs guerres factices… récompense les lobbyistes, les donateurs de campagnes électorales, les entreprises compères… et il a ajouté plus de 10 000 Mds$ de dette supplémentaire sur les 10 dernières années.

Avec autant de crédit bon marché à disposition, pas un seul candidat ne suggère même d’équilibrer le budget ou de limiter le gaspillage.

Pourquoi faire des choix difficiles quand on reçoit de l’argent gratuit ?

La partie est truquée : jusqu’à quand ?

L’Allemagne est « payée » pour emprunter, nous rappelle M. Trump.

Mais les gens n’obtiennent de l’argent gratuit que lorsque la partie est truquée. Elle ne le restera pas éternellement. La bulle obligataire artificielle actuelle ne fera pas exception.

Quand éclatera-t-elle ? Comment ?

Nous adorerions rencontrer la personne qui connaît les réponses à ces questions.

En attendant, nous attendons… nous observons… nous tentons de relier les points. Et nous nous posons la question :

Qu’est-ce qui compte vraiment ?

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