▪ La croissance américaine tend vers zéro d’ici la fin de l’année. C’est tout du moins ce que suggère un rendement de 1,17% sur les taux à cinq ans aux Etats-Unis — plus faible encore que celui observé au plus fort de la crise en décembre 2008 (1,25%).
Wall Street fait cependant comme si les profits des entreprises allaient s’envoler au cours des prochains mois… quand bien même les ventes stagneraient tandis que les marges ont recommencé à se contracter au milieu de l’été.
Il nous reste toujours ce vieux serpent de mer de l’éternelle croissance dans les pays émergents, celle que les multinationales se montreraient si habiles à capter. Pour l’heure, elles y investissent beaucoup plus qu’elles n’en perçoivent de dividendes. Warren Buffett, par exemple, a perdu plus du tiers de sa mise depuis qu’il a investi début 2009 dans le constructeur automobile chinois BYD… Mais les marchés vivent d’espoir et d’argent frais.
Et voilà qu’il se remet à pleuvoir des liquidités. La Banque du Japon va racheter pour 5 000 milliards de yens d’obligations nippones (soit environ 60 milliards de dollars). De son côté, la Fed, selon un consensus largement répandu à Wall Street, devrait racheter au final pour 1 000 milliards de dollars d’obligations municipales et de créances émises par les états de l’Union (dont les comptes des banques et fonds de retraite américains sont farcis).
A terme, le bilan de la Fed devrait gonfler pour atteindre 3 500 milliards de dollars.
▪ Croyez-vous que la BCE va regarder l’euro fuser à la hausse au-dessus des 1,40 $ ? Pensez-vous qu’elle va laisser l’Irlande — dont la dette vient d’être de nouveau dégradée d’un cran par Fitch — s’effondrer, plombée par un déficit budgétaire de 32% (contre 10 à 11% en Grèce cet automne) ?
La BCE fera son devoir… d’autant plus volontiers que la Chine le lui demande subtilement en montrant le bon exemple par ses promesses d’achat de dette à long terme grecque. Croyez-vous que Pékin se dévouerait, seule contre la planète entière, au nom de l’amour de l’Acropole et du port du Pirée, si elle n’avait pas obtenu quelques garanties que l’Europe ne laisserait pas Athènes faire défaut ?
Tout le monde crée de la monnaie « out of thin air » (« à partir de rien », en anglais). Tout le monde imprime de nouvelles reconnaissances de dette en quantité illimitée — peu importe qu’il s’agisse de bons du Trésor ou de produits obligataires plus complexes. Tout le monde veut des taux éternellement très bas… Et surtout, tout le monde croit que ça va fonctionner comme ça très longtemps.
▪ Tim Geithner le premier : il affirmait mercredi matin que le niveau des déficits n’est pas si terrible et qu’il est possible de faire plus pour soutenir l’économie américaine. Prend-il les détenteurs de T-Bonds US pour des Bisounours équipés de lunette roses ?
Il ne convainc en effet pas tout le monde si l’on en juge par la flambée de l’or à 1 350 $ l’once. Il y a ce que les stratèges affirment haut et fort dans les dîners en ville… et puis il y a ce qu’ils font vraiment de leur argent — c’est un secret beaucoup mieux gardé.
Et là, nous devons avouer notre étonnement : ils placent les actions en tête de leurs priorités, les émissions obligataires des entreprises privées arrivant en deuxième position. Ils achètent encore des emprunts d’Etat pour la sécurité qu’ils procurent… mais aucun d’entre eux n’avoue qu’il achète de l’or, physique ou sous forme de certificats ou d’ETF.
▪ Cela me rappelle un peu les premiers épisodes de Secret Story ou L’Ile de la Tentation. Personne ne s’intéresse à ce genre d’émission, c’est de la « télé trash » : une fenêtre ouverte sur l’insondable médiocrité de pseudo-stars d’un soir, à la recherche d’une vaine et illusoire célébrité — ce fameux « quart d’heure de gloire » qu’Andy Warhol disait à la portée de chacun d’entre nous.
Quarante-huit heures plus tard, nous apprenons que l’émission — qu’aucun téléspectateur qui se respecte n’a regardée — a fait 53% de part d’audience le premier soir et 45% le deuxième.
Autrement dit, les investisseurs parient officiellement qu’un nouvel et merveilleux équilibre économique s’est instauré (nous rentrons dans une ère de « prospérité pour tous « )… Mais en coulisse, ils se couvrent contre les défauts de paiement (les primes sur les CDS se tendent) et achètent massivement des matières premières et du métal précieux… juste au cas où !
▪ Puisqu’il faut bien hiérarchiser un peu les problèmes que les discours officiels occultent, il y a d’abord la guerre des devises. Nous avions pris comme hypothèse que le plancher des 83 yens pour un dollar était trop important pour que la Banque du Japon autorise qu’il soit un jour enfoncé… mais il l’était bel et bien mercredi dès la mi-journée avec un nouveau plus bas historique inscrit à 82,80.
De même, le plancher des 1,3820 $/euro était l’un de ceux qui mérite d’être défendus, mais le billet vert a continué de s’enfoncer sous les 1,39/euro. La plupart des cambistes s’attendent à le voir plonger prochainement vers les 1,45/euro. Si tel était le cas, nous donnons les Etats-Unis, l’Angleterre et la Chine vainqueurs par K.O. et le commerce extérieur européen, japonais, coréen, mexicain et argentin au tapis pour le compte.
Est-il besoin de préciser que l’Espagne, la Grèce, l’Irlande et le Portugal se verraient attribuer de surcroît le costume de « plus gros dindons de la farce » ?
▪ Mais attendez… N’y a-t-il pas un problème encore plus considérable — tellement considérable que personne n’y songe ni même ne s’en inquiète. Les pays occidentaux, le Japon, l’Inde, vont émettre de la dette à tour de rotatives avant la fin de l’année 2010… mais qui va l’acheter ?
Qui veut souscrire des bons du Trésor japonais qui rapportent 0,03% au jour le jour et 1,3% sur 10 ans ? Qui a intérêt à accumuler le lundi des T-Bonds américains de maturité 2020, offrant 2,4% de rendement dans une devise qui perdra ces mêmes 2,4% avant la fin de la semaine ?
N’hésitez pas à nous prévenir si vous avez entendu parler d’une corne d’abondance mise à la disposition des acheteurs de créances provenant de pays qui se battent pour faire s’écrouler leur propre devise.
Qui serait assez nigaud pour acheter un actif dont il est garanti qu’il sera remboursé… en monnaie de singe ? Plus fondamentalement, existe-t-il assez de liquidités dans le monde pour absorber sans tensions sur les taux le surplus de dettes qui motive — par anticipation — la hausse de Wall Street ?
Les meilleures questions sont souvent celles que l’on ne se pose pas : il devient difficile de trouver un stratège qui se demande si les actions pourraient rebaisser dans le climat actuel.
Il n’y a plus personne pour penser ouvertement que les choses pourraient mal tourner, en dehors de Nouriel Roubini, de Joseph Stiglitz ou de Jim Rogers, définitivement classés parmi les pessimistes systématiques.
Ces empêcheurs de spéculer en rond sont comparés à ces montres que l’on voit dans les vitrines des horlogers : elles indiquent invariablement 10h10 et donnent ainsi l’heure juste deux fois par jour… Le reste du temps, elles délivrent une fausse indication à ceux qui les consultent.
▪ Mais le plus comique — ou tragique — personnage du panthéon financier de l’ère actuelle, c’est Ben Bernanke.
Le matin, il déclare publiquement, en se façonnant le masque de l’angoisse, que les Etats-Unis ne peuvent plus supporter le niveau actuel de la dette. Puis, le soir même, il rassure Wall Street en indiquant — dans le langage codé de la Fed, parfaitement limpide pour les initiés — qu’il va en émettre 1 000 milliards de dollars supplémentaires.
Il se comporte comme l’alcoolique anonyme qui effraie (ou apitoie) le bon peuple en se plaignant de l’état de son foie… mais qui va le soir même se prendre une cuite monumentale au champagne millésimé avec ses potes habitant des penthouses de 400 m2 sur Central Park.