La Chronique Agora

Florilège de l'année 2008 : krach, gâchis, absurdité, cynisme…

** L’ultime journée boursière précédant la séance des "Quatre sorcières" n’augurait rien de bon pour le débouclage des opérations à terme (options sur indices et actions, contrats sur S&P ou Nasdaq). Cette séance de vendredi pourrait s’avérer encore bien décevante et confirmer le rebond du VIX, véritable baromètre de la peur, au-delà des 50.

Les traditionnels habillages de bilan de fin d’année ont pris une tournure assez inhabituelle depuis le 1er décembre — souvenez-vous de l’effondrement sans précédent de 9% des indices américains ce jour-là. Le jeu consisterait donc désormais à extraire le maximum de moins-values afin de pouvoir repartir de très bas, ce qui favoriserait la réalisation de gains plus substantiels — pour une mise financière minime — en 2009.

Avec une rechute de 2,5%, le Dow Jones affiche à présent un score identique sur décembre, alignant un quatrième mois de baisse consécutif. L’indice accuse une perte cumulée de 27% depuis fin août (et de 35% depuis le 1er janvier). Le Standard & Poor’s 500 a rechuté de 2,1% et lâche ainsi 1,2% sur décembre… dans le sillage de General Electric (-8,25%) victime d’un abaissement de perspective concernant la notation de sa dette.

Un autre "général" capitulait jeudi soir : General Motors, qui dévissait de 16,2% à 3,65 $. Le Wall Street Journal révèle que le constructeur aurait rouvert ses discussions en vue d’une éventuelle fusion avec Chrysler sous l’impulsion de la société de placement privé Cerberus Capital Management.

Par ailleurs, la Maison Blanche considère que la faillite d’un constructeur (pilotée par les autorités américaines) pourrait effectivement devenir une option. Chrysler ferme ses usines pour un mois, les Américains circulent de moins en moins sur les routes, les sociétés de transport routier font faillite par centaines… il n’est donc pas très étonnant de voir Exxon et Chevron perdre conjointement 5%.

** Tout comme mercredi, la fin de la journée de jeudi a été marquée par une nouvelle dégringolade du pétrole. L’or noir a affiché jusqu’à -10%, pour établir un nouveau plancher annuel à 35,95 $.

Le baril a vu son cours divisé très exactement par quatre en 150 jours — ce qui défie l’imagination et constitue une absurdité compte de l’épuisement inexorable de cette ressource. Ce mouvement proprement vertigineux puise sa source à la fois dans la liquidation des dernières positions longues des hedge funds et dans les anticipations de contraction économique et d’explosion du chômage.

Concernant ce dernier point, Washington table officiellement sur un taux de 7,2% en 2009… mais s’attend en fait à 9% car aucun secteur économique ne semble esquisser le moindre début de redressement.

** Après le krach des dot.com, les Etats-Unis s’étaient trouvé un relais de croissance formidable qui ne dépendait plus d’un délire collectif d’investisseurs un peu naïfs mais de la seule volonté politique : le plus grand marché en ce début de XXIe siècle est devenu celui de la sécurité.

Il n’est qu’à considérer le coût exorbitant de la guerre contre le terrorisme : les sommes englouties dans diverses initiatives malheureuses et parfaitement inefficaces dépassent 3 000 milliards de dollars en cinq ans (il s’agit de l’estimation du prix Nobel d’économie Joseph Stieglitz, la Maison Blanche jure que c’est exagéré mais ne dément pas formellement ces chiffres).

Cette somme représente dix millions de dollars (vous avez bien lu) pour la tête de chacun des 30 000 combattants de la mouvance Al-Qaïda et autres organisations extrémistes ayant déclaré vouloir frapper les intérêts américains partout dans le monde (selon l’estimation des effectifs djihadistes réalisée par le Pentagone en 2003).

Même si l’impopularité des Etats-Unis a suscité de nombreuses vocations (mettons un triplement du nombre de terroristes potentiels en cinq ans… cela représente encore la somme fabuleuse de 3,3 millions de dollars par extrémiste se revendiquant comme ennemi irréductible de l’Amérique. Voilà de quoi assurer à chacun d’eux une retraite heureuse si jamais il y avait un moyen d’effectuer des largages ciblés de liasses de billets de banque comme les affectionne Ben Bernanke !

Dans des pays où le revenu moyen est de 50 euros par mois, "on a corrompu — ou adouci — les moeurs pour moins que ça".

Avec 3 000 milliards de dollars, s’ils avaient été employés à des fins de reconstruction et d’éradication de la pauvreté (le terreau du terrorisme), il y avait de quoi transformer tout un pays comme l’Irak et ses 30 millions d’habitants (soit un budget de 100 000 $ par citoyen) en un ersatz des Emirats Arabes Unis, version Abu Dhabi ou Dubaï.
 
Et en adoptant le point de vue d’un contribuable américain, il y avait de quoi offrir — avec tous ces milliards entièrement financés par la dette — une couverture maladie de bonne qualité aux 45 millions d’Américains (bientôt 50 avec l’explosion du chômage) qui n’en disposent d’aucune… assurer la pérennité de l’industrie automobile américaine et le versement des retraites des anciens salariés… protéger la Nouvelle-Orléans et toute sa région des raz-de-marée et des crues du Mississipi… rénover le réseau de distribution électrique et rendre moins polluantes les centrales thermiques fonctionnant au fuel ou au charbon… et, last but not least, avancer quelques dizaine de milliards de dollars à la Californie pour lui éviter la faillite.

** Mais revenons en France : nos dirigeants ne se sont pas privés de donner des leçons aux Etats-Unis en matière de morale des affaires (c’était avant que n’éclate l’affaire Madoff) et de casino financier avec la faillite du système basé sur la spéculation sur les dérivés de crédit.

Voyons comment le gouvernement Fillon surfe à sa façon sur les problèmes de sécurité : les caméras vont être multipliées par 10 dans les grandes agglomérations (à Londres, le taux de résolution des plaintes pour agression et vol n’est que de 5% grâce à la vidéo… les policiers en civil et leurs collègues en uniforme font cinq fois mieux), les patrouilles de militaires sont doublées dans les gares et les aéroports — mais cela ne crée pas un seul emploi.

Reste la sécurité routière où beaucoup reste à faire pour éliminer les points noirs et les zones du réseau les plus "accidentogènes". Prenons par exemple les passages à niveau : tout le monde sait que lorsqu’un bouchon se forme, des conducteurs peu attentifs ou malchanceux peuvent caler et se retrouver coincés en pleine voie lorsque les barrières se ferment.

Pour résoudre ce problème (35 morts par an nous dit-on), vous imaginerez naïvement que le gouvernement pourrait :

1) ordonner de construire un passage souterrain sur les axes les plus fréquenté ;
2) installer un système de sécurité 30 secondes en amont d’un passage à niveau, déclenchant l’arrêt automatique et immédiat d’un train pouvant percuter un véhicule ;
3) modifier la signalisation et déplacer les barrières à 10 mètres des voies (afin de créer une échappatoire, y compris pour un camion).

Comme vous l’avez certainement découvert, toutes ces solutions sont efficaces mais coûteuses — nos législateurs ont donc choisi de transcender le problème. C’est là que le génie français se manifeste dans son aveuglante clarté : grâce à l’installation d’un radar à l’abord d’un passage à niveau, la "sécurité" ne coûte plus rien, au contraire, elle rapporte !

Le fait que les véhicules percutés par des trains sont plus souvent à l’arrêt que lancés à pleine vitesse n’a guère perturbé nos élus ; ils ont trouvé là une bonne excuse pour relancer la fabrication des radars et remplir les caisses de l’Etat.

Que vous abordiez la question au niveau d’un empire, d’un état ou d’une départementale, la sécurité reste pratiquement le seul marché lucratif en période de crise… Et après tout, un petit supplément d’arsenal répressif, ce n’est jamais un investissement inutile quand une période d’instabilité sociale se profile.

Philippe Béchade,
Paris

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