La Chronique Agora

La finance va trop vite (1/2)

Fed, Jerome Powell, inflation, taux

Une éminence grise du système s’attaque à la Fed, mais en se basant toujours sur la même idée fausse…

La Réserve fédérale américaine a commis une colossale erreur de politique monétaire et elle le sait. Non pas parce qu’on le lui dit, mais parce que la réalité économique et financière lui balance son échec en plein visage.

La Fed avait déclaré vouloir refroidir l’économie, calmer le marché du travail, casser la spéculation et resserrer les conditions financières. Le résultat de son action ?

Le marché du travail est en surchauffe absolue, les salaires s’envolent, la productivité s’effondre.

Les ménages et les consommateurs s’endettent comme ils ne l’ont jamais fait par le passé.

Le mois de juillet boursier a connu une performance haussière comme jamais dans l’histoire !

Les conditions de crédit sur les marchés tous azimuts se sont à nouveau relâchées.

Les spreads de toutes sortes se sont détendus !

On se précipite pour contracter de nouveaux crédits.

Merci aux taux neutres

Au cœur de cette énième imbécilité de la Fed, se trouve son escroquerie théorique sur ce que l’on appelle les taux neutres.

Vous savez ces fameux taux, pures abstractions, que jamais personne n’a rencontré, ces taux qui seraient tellement intelligents qu’ils ne seraient ni stimulants ni restrictifs. Ces taux miracles tombés du ciel qui seraient le Grand Optimum, le Graal.

Les taux neutres n’existent pas et ne peuvent exister. Ce sont des bestioles subjectives, créées par l’imagination de nos apprentis démiurges afin de faire passer pour rationnel quelque chose qui ne l’est pas. C’est comme les fameuses règles dont parle le gouvernement américain pour s’opposer aux Chinois et aux Russes, c’est l’arbitraire habillé d’un costume taillé à la mode du plus fort.

Dans la période actuelle, la situation est grave et le système capitaliste risque de basculer si l’erreur de Powell n’est pas corrigée.

Larry Summers est le pape de l’orthodoxie théorique capitaliste, il est – comme l’a révélé Varoufakis en son temps – l’éminence grise du groupe élitiste qui conduit les affaires du monde. Larry sait que le système ne peut courir le risque de l’inflation non contrôlée et que la pyramide s’effondre si les taux viennent à monter, échappant au contrôle des banquiers centraux.

Il sait que l’erreur de Powell peut, si elle est perçue et traduite sur les marchés, provoquer la boule de neige qui détruira tout sur son passage… Cliquez ici pour lire la suite.

Il sait que l’erreur de Powell peut, si elle est perçue et traduite sur les marchés, provoquer la boule de neige qui détruira tout sur son passage selon l’enchaînement :

Pas étonnant que, dans la période actuelle, Larry Summers soit devenu le chef de file des critiques de la Fed – avec El Erian – et de Powell.

Ecoutons-le. On n’est plus dans le langage diplomatique : on ose appeler un chat un chat et mettre Powell face à lui-même.

David Westin de Bloomberg (Wall Street Week, 29 juillet 2022) :

« Que faites-vous, vous les économistes, lorsque vous mettez en place ces taux neutres ? »

Larry Summers :

« Je pense que Jay Powell a dit des choses qui, pour être franc, étaient analytiquement indéfendables. Il a affirmé à deux reprises lors de sa conférence de presse que la Fed était désormais au taux d’intérêt neutre – le fixant à 2,5%.

Il est élémentaire que le niveau du taux d’intérêt neutre dépende du taux d’inflation.

Nous avons sur la mesure la plus citée une inflation de 9,1% –, c’est une inflation de 4 ou 5% si on retire les éléments comme l’alimentation et l’énergie. Il n’y a aucun moyen concevable d’imaginer qu’un taux d’intérêt de 2,5% dans une économie qui gonfle comme celle-ci soit proche de la neutralité.

Et si vous pensez qu’il est neutre, c’est que vous jugez fondamentalement mal la position de la politique monétaire. »

Des sables mouvants

Reconnaissez que c’est une véritable volée de bois vert que Summers administre à Powell.

Powell fournit une cible facile. Mais sur l’ineptie du « taux neutre », c’est toute la communauté économique mainstream qui est impliquée. Le concept n’a jamais été établi sur des bases solides. Le concept même d’une politique monétaire élaborée sur la base d’un « taux neutre » nébuleux, sans consistance théorique ou épistémologique, est indéfendable.

« Déterminer une politique monétaire sur la base d’un supposé taux neutre, c’est l’équivalent de prendre appui sur des sables mouvants » !

Le cœur de la situation, c’est que la Fed est dans une impasse. Pour masquer la réalité, qui est qu’elle ne peut resserrer sa politique sans faire s’effondrer le marché financier, elle invente n’importe quoi pour brouiller le raisonnement et surtout les perceptions.

Les taux d’intérêt devraient augmenter considérablement pour écraser les puissantes forces inflationnistes qui ont été déchainées et briser la psychologie de l’inflation. Cependant, comme la Fed ne peut monter les taux autant qu’il le faudrait, elle prétend qu’il y a un taux miracle.

Tout cela est la conséquence de l’erreur qui a été commise lors de la grande dérégulation, qui a fait transférer le crédit des banques vers les marchés financiers.

Erreur criminelle que j’ai dénoncée à l’époque, car placer le crédit sur le marché financier et le faire sortir des bilans des banques, c’est le mettre à la merci de la spéculation, c’est le soumettre aux caprices des esprits animaux et donc de l’irrationnel. C’est obliger l’institut d’émission à s’impliquer dans le marché boursier, c’est rendre la politique monétaire financièrement/boursièrement dépendante.

La doctrine opérationnelle actuelle de la Fed consiste à réguler les conditions financières du système principalement par le biais des marchés financiers (contrairement au modèle traditionnel de régulation du crédit du système en ajustant les conditions de prêt des banques). Selon la vision contemporaine de la Fed, le principal mécanisme de transmission de la politique monétaire passe par les anticipations du marché sur la trajectoire des taux directeurs à court terme. La hausse des rendements du marché, la baisse des prix des actifs et l’aversion générale au risque devraient resserrer les conditions financières, réduisant à la fois la demande économique et les pressions à la hausse sur les prix.

La politique monétaire, sous cet aspect, devient une politique de régulation des conditions financières sur les marchés. Elle devient une politique de régulation des marchés, de contrôle des marchés, de manipulation des marchés, et c’est l’enchaînement fatal, celui qui fait perdre à la politique monétaire son autonomie/efficacité pour assurer la solidité de la monnaie et la maîtrise de l’inflation des prix des biens et des services.

A suivre…

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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