La Chronique Agora

La fin du système américain ?

Etats-Unis, JPMorgan, First Republic Bank

Plus la stagflation s’installe, plus il va être obligé de s’enfoncer dans les contrôles, les exceptions aux règles et lois du marché qu’il s’est fixé lui-même.

Depuis plusieurs décennies, le système américain bute sur les limites du régime capitaliste financiarisé.

La croissance est devenue séculairement faible, les investissements réellement productifs sont médiocres, la productivité chute et les allocations des facteurs de production sont inefficaces.

Vous connaissez mon cadre analytique : tout cela est la conséquence de la fin du grand cycle qui a pris naissance au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Le grand cycle du crédit a atteint ses limites, et il joue les prolongations.

Les Etats-Unis s’enfoncent et ils ne font illusion que par le simulacre. Ils se noient dans l’imaginaire qu’ils croient imposer aux autres, alors qu’ils en sont la première victime en raison de leur inadaptation aux défis du monde réel. Peu à peu, ils vivent dans un monde imaginé.

Au passage, ne croyez pas que je m’en réjouisse. Non : même si mes critiques sont sévères et même méchantes, mon cœur est plus Américain que Chinois ou Russe !

Pas de grand nettoyage

La financiarisation qui a été mise en place dans les années 1980 pour prolonger le système a elle aussi fait son temps : tout dysfonctionne, car la spéculation a pris le dessus sur les décisions justes et rationnelles. Elle a fracassé la société sous le poids des inégalités.

Le pays est livré, il est en proie, aux esprits animaux, au cynisme et aux mensonges.

Le tissu social se délite, les clivages sont de plus en plus profonds. Ce ne sont ni Trump ni Biden qui sont en cause ; non, le pays est devenu ingérable, comme le montre la misérable comédie du plafond de la dette. Le théâtre de Washington est devenue fou.

Pareille situation imposerait un grand nettoyage afin de reconstruire sur de meilleures bases. Ce grand nettoyage n’est pas possible ; il n’est pas possible de nettoyer la pourriture accumulée, comme le réclamait Mellon dans les années 1920/1930.

On ne peut le faire ou le laisser se faire parce que la pourriture est enracinée dans l’ordre social et que les bénéficiaires du système ont le contrôle des leviers. La classe dominante aux Etats-Unis est le problème, elle ne peut donc être en même temps la solution.

Les Etats-Unis sont dans un engrenage, le choix leur a échappé et ils doivent à chaque accident descendre la pente.

On vient d’en voir encore la terrible l’illustration le week-end dernier avec la prise de contrôle de la First Republic Bank par JPMorgan. C’est une opération scandaleuse en regard des règles du libéralisme, et surtout en regard des règles de l’éthique.

Mais c’est une opération nécessaire pour sauvegarder la soi-disant stabilité financière et bancaire, et pour colmater les brèches du navire qui prend l’eau. Il faut pomper, écoper pour essayer de maintenir le Titanic, il faut encore et encore réaménager les sièges sur le pont. Il y a quelques jours, on a écopé en faisant sauver la SVB par le FHLB avec quelques centaines de milliards.

Au centre du système

Je dis souvent que le système est de plus en plus pourri, déséquilibré, insolvable, mais qu’il tient parce que peu à peu tous les risques inclus dans ce système sont externalisés. Ils remontent au niveau du couple maudit que constituent la Réserve Fédérale, le Trésor, et ses satellites que sont les « Government Sponsored Enterprises ».

Tout remonte au centre du système, ce qui affaiblit structurellement le centre et réduit ses marges de manœuvre. Ici, le sauvetage de First Republic Bank se fait par JPMorgan. Cela ne doit pas faire illusion, car JPMorgan, c’est en fait le centre. JPMorgan, c’est le parrain du centre. Depuis très longtemps, JPMorgan est une partie du centre dont on peut se demander si elle doit être placée au-dessus ou en dessous de la Réserve Fédérale. JPMorgan est à mon sens historiquement et organiquement au-dessus de la Réserve Fédérale, mais c’est plus une conviction qu’un constat objectif.

Le système américain va être obligé de s’enfoncer dans les contrôles, dans les entorses aux lois, dans les exceptions à la loi du marché : il ne peut plus supporter les règles du jeu qu’il a fixées lui-même. La lutte contre les monopoles, la vérité des prix, la liberté des choix. Il ne peut plus tolérer les conséquences du libre fonctionnement des marchés.

La transition climatique, le retournement de la mondialisation, les clivages sociaux, le délitement politique et maintenant administratif, les affrontements extérieurs, tout cela contribue à faire glisser le système américain vers une nouvelle variante de capitalisme hybride, un capitalisme avec béquille d’Etat d’un côté et béquille de banque centrale de l’autre.

Je désigne ce capitalisme hybride sous le nom d’économie de guerre, mais c’est bien complaisant de ma part de le désigner ainsi. A moins d’étendre cette notion de guerre au-delà de la guerre extérieure et d’y inclure la guerre intérieure contre le peuple.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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