La Chronique Agora

La fin de l’Etat-actionnaire : un souffle nouveau pour l’économie

Le projet de budget 2025 réveille le débat sur le rôle de l’Etat comme actionnaire dans l’économie.

La présentation du projet de budget pour 2025 a été l’occasion pour nos députés de présenter un florilège de mesures. Tirant à hue et à dia, chaque bord politique a joué sa propre partition et défendu les mesures attendues par son socle électoral – parfois jusqu’à l’absurde comme lors de la proposition de création d’un crédit d’impôt pour l’achat de croquette pour animaux (Aymeric Caron, LFI).

Le point commun de ce grand déballage de bonnes intentions était souvent d’appeler à plus d’Etat, donc plus de recettes. La plupart des mesures ont été présentées avec comme argument principal le fait qu’elles ne toucheraient qu’une petite partie de la population – comme si le principe fondateur de notre démocratie était désormais d’assurer le train de vie du plus grand nombre aux dépens d’une minorité clouée au pilori.

Certains ont justifié des hausses d’impôts jusqu’au niveau confiscatoire pour les quelques dizaines de milliers de foyers les plus riches, feignant d’ignorer que 76% de l’impôt sur le revenu est déjà payé par 10% des ménages. D’autres ont demandé une multiplication par quatre de la taxe sur les voyages aériens sous prétexte que ce mode de transport échappe à l’impôt, feignant d’oublier que les taxes représentent déjà 40% du prix moyen des billets vendus en France.

Dans ce florilège de mesures taillées pour faire croire que l’effort de rétablissement des comptes publics peut être assumé par « quelques privilégiés », un ballon d’essai original a été lancé : la vente des participations non-stratégiques de l’Etat.

Si l’on peut s’amuser de fait que la proposition soit portée par des députés de l’ancienne majorité, qui était aux affaires depuis sept ans, elle n’en reste pas moins intéressante à l’heure où d’aucuns prônent, au contraire, plus d’endettement de l’Etat et plus de prises de participation dans l’économie réelle.

Libérer des liquidités… et les entreprises

Le premier argument pour une cession des participations de l’Etat dans les entreprises cotées est purement comptable.

L’Agence des participations de l’Etat (APE) gère un portefeuille de 85 lignes dont la valeur de marché est évaluée à près de 180 milliards d’euros. Outre sa participation dans l’énergéticien EDF récemment nationalisé, elle détient une part importante de nos industriels historiques comme Airbus, Safran ou encore Thales.

A la recherche des milliards manquants, les députés ont pointé du doigt le fait que vendre 10% des participations représenterait un bol d’air budgétaire non négligeable pour parvenir à rassembler les 60 Mds€ qui manquent pour boucler le budget 2025.

Bien sûr, un tel effort n’aurait aucun sens s’il ne s’accompagnait pas d’une réelle baisse de la dépense publique. Avec la course à l’endettement, vendre les bijoux de famille pour payer les dépenses courantes est l’une des pires pratiques de gestion budgétaire qui soit.

D’aucuns pointent d’ailleurs le fait que l’Agence n’a pas à rougir de la performance de ses participations.

La valeur de son portefeuille est passée de 128 Mds€ en 2022 à 153 Mds€ à l’été 2023, avant d’approcher les 180 Mds€ cet été. Il n’en fallait pas plus à certains pour préconiser a contrario une augmentation des participations de l’Etat dans les entreprises privées, au prix d’un endettement massif.

En façade, l’argument se tient : l’Etat français emprunte aujourd’hui à moins de 3% à dix ans. Si l’APE, la Caisse des Dépôts et Bpifrance parviennent à dégager un taux de croissance annuel supérieur à ce chiffre, s’endetter pour investir est à première vue une opération favorable pour les comptes publics… mais c’est oublier le poids que fait peser l’Etat sur les entreprises dont il est actionnaire.

Et si nos fleurons n’étaient plus politisés ?

Aujourd’hui, le poids de l’Etat-actionnaire dans notre économie dépasse très largement ses 180 Mds€ de participations – qui ne représentent que 6% du PIB, l’équivalent du déficit de cette seule année 2024.

Le vrai coût pour la nation et ses agents économiques réside dans le fait que l’Etat-actionnaire n’agit pas nécessairement dans l’intérêt des entreprises dont il possède des actions. La Cour des comptes déplore régulièrement la mauvaise gestion de l’Etat et la perméabilité des objectifs politiques dans les prises de décisions.

Ce phénomène s’est parfaitement illustré dans le dossier EDF.

L’énergéticien national a été saigné durant des années pour financer les dépenses publiques, avant d’être poussé à la faillite durant la crise énergétique pour permettre au gouvernement de mettre en place des mesures électoralistes de « bouclier énergétique ». La situation financière était devenue si intenable que sa présence en Bourse n’était plus justifiable.

La suite, vous la connaissez : un retrait de la cote à 12 € par titre, soit près de 60% moins que son cours d’introduction en Bourse. Moins de deux ans après cette manoeuvre scélérate qui a ruiné les actionnaires pour financer la politique redistributive de Bruno Le Maire, voilà que le nouveau gouvernement envisage de saigner une nouvelle fois l’énergéticien national !

Après avoir abandonné l’idée d’une « taxe EDF » (la contribution sur la rente inframarginale de la production d’électricité), Bercy va jouer de son pouvoir d’actionnaire pour s’octroyer un dividende exceptionnel de 2 Mds€ sur les bénéfices 2023 – alors même que le groupe annonce anticiper des résultats en baisse cette année.

En se servant sur le cash-flow disponible plutôt que sur une nouvelle taxe qui pourrait se répercuter sur les factures, le gouvernement cache aux citoyens peu informés l’ampleur de ce nouveau prélèvement.

Le scénario d’un Etat-actionnaire gérant notre parc électronucléaire mieux que n’aurait pu le faire un EDF contrôlé par des acteurs privés n’aura même pas duré deux ans. Une nouvelle fois, l’Etat met en péril la survie d’EDF en obérant ses capacités d’investissement pour financer l’incurie budgétaire.

Les contribuables pourront toutefois reconnaître que Bercy n’aura pas renié sa parole à bas prix : le dividende exceptionnel attendu représente quasiment autant que l’ensemble des dividendes touchés par l’Etat l’an passé (2,3 Mds€).

Qu’il s’agisse de sa participation dans EDF, de son interventionnisme lors de la restructuration d’Atos ou de ses demandes toujours plus pressantes lorsque Sanofi a voulu se séparer du Doliprane, l’Etat n’a pas de scrupules à peser sur le tissu économique pour assurer ses objectifs politiques.

Une liquidation des participations dans les sociétés « où l’Etat n’a rien à faire », pour reprendre les mots des députés, n’aurait pas que le mérite de dégager plusieurs dizaines de milliards d’euros. Elle offrirait avant tout une bouffée d’oxygène à ces acteurs de l’économie productive, qui pourraient enfin mener leur stratégie industrielle loin des calculs politiciens.

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