« Avez-vous vu les données économiques de ces derniers jours ? » Voilà la question que m’a posée par e-mail un lecteur stupéfait. « Peut-on parler de ‘crise’ ? Cela semble incroyable ».
« Le chômage [américain] a atteint un plus haut de huit mois », continue mon lecteur. « En moyenne mensuelle glissante, il est à son plus haut depuis six mois. Les prix des logements ont à présent officiellement ‘connu un double plongeon’ pour être aujourd’hui en dessous du plus bas de mars 2009… et plus d’un tiers du marché sont en REO — real estate owned, système de propriété par les banques — résultat de saisies passées ».
« Et pour la bonne bouche », conclut le lecteur, « le Financial Times nous informe que le Mexique a acheté cent tonnes d’or au premier trimestre. Le Mexique ! Pouvez-vous imaginer un monde dans lequel le pays du peso ne veut pas posséder de dollars !! Je ne trouve plus mes mots car le terme ‘incroyable’ semble bien fade à présent ».
Nous aussi ne trouvons pas les mots… Mais cela ne nous empêchera jamais d’en écrire des milliers chaque jour dans cette chronique.
Ce que mon lecteur appelle incroyable est en fait assez croyable… à condition de chausser des lunettes qui font voir le monde à l’envers. Avec ces lunettes sur le nez, n’importe quel imbécile peut clairement voir que le meilleur moyen d’atteindre la prospérité économique est de dépenser plus que ce qu’on économise, d’emprunter plus qu’on ne produit et d’imprimer de l’argent que personne n’a gagné. Il n’y a rien d’incroyable à cela. Mais surtout il ne faut pas enlever ses lunettes !
Si on le fait, on pourrait commencer à voir des choses que les vilains sceptiques et les indécrottables pessimistes voient… et on pourrait se mettre à douter qu’un pays puisse s’appauvrir vers la prospérité.
En outre, on pourrait commencer à relier des faits inopportuns… comme la hausse des prix des biens et des services, en conjonction avec la valeur du dollar en chute libre. Ou comme les déficits annuels de mille milliards de dollars, identiques aux élus qui s’efforcent de faire des entailles de 80 milliards dans ces déficits.
Si on aime les graphiques — et qu’on ne porte pas ces lunettes — on pourrait déduire un lien entre le bilan de la Fed en rapide expansion et le rally du marché boursier de ces deux dernières années. Le graphique ci-dessous laisse entendre un lien entre l’impression de monnaie par la Fed et la hausse massive du cours des actions.
Ces 10 dernières années, la Fed a maintenu les actifs de son bilan de près de 650 milliards de dollars à 850 milliards de dollars. Mais peu après la crise du crédit, l’équipe de Ben Bernanke a fait marcher à fond la planche à billets et s’est mise à déverser des dollars dans le système bancaire via plusieurs mécanismes — le plus notoire étant « l’assouplissement quantitatif ».
▪ A présent, vous connaissez l’histoire. Voici son déroulement :
1) Dire au public qu’il y a une crise que seule la Fed peut résoudre ;
2) Dire au public que le remède de la Fed est d’imprimer des dollars et acheter des titres du Trésor.
3) Dire au public que ce procédé de contrefaçon est « mesuré » et « économiquement sûr ».
4) Commencer à imprimer de l’argent et acheter des titres du Trésor.
5) Acheter tant de titres du Trésor que vous absorbez 100% de la nouvelle émission d’emprunt du Trésor.
6) Continuer à dire au public à quel point cet assouplissement quantitatif est génial même si le dollar plonge, que les prix des matières premières explosent et que l’activité économique est moribonde.
Sans les lunettes, le programme d’assouplissement quantitatif de Bernanke semble être un énorme échec, à la limite de la catastrophe. Mais au moins le marché est-il beaucoup plus haut… pour l’instant.