La Chronique Agora

La Fed unanimement divisée, Wall Street en pleine schizophrénie

▪ Ce que la conférence de presse de Ben Bernanke avait fait, la publication des minutes de la Fed l’a défait. Les membres de la Réserve fédérale apparaissent en effet très divisés (et c’est peut-être du 50/50) sur la poursuite ou la réduction de la taille du QE3.

Les « pour » une poursuite du recours à la planche à billet (Charles Evans, Bill Dudley, James Bullard) se sont abondamment exprimés ces dernières 48 heures. Ils ont ainsi donné à Wall Street l’impression d’un large consensus en faveur d’un statu quo stratégique pour « une période de temps étendue ».

La voix discordante de Richard Fisher semblait encore assez isolée ces derniers jours. Il faut souligner que de mauvais chiffres économiques sont tombés depuis la précédente réunion de la Fed : certains collègues ont peut-être reconsidéré leur hostilité au laxisme monétaire de Ben Bernanke.

Wall Street qui gagnait 1% vers 16h en terminait pratiquement aux antipodes… sauf le Dow Jones qui sauve les meubles : -0,52% à 15 307 contre +1% au plus haut du jour. Le Nasdaq est retombé dans le rouge (-1,1%). De son côté, le S&P 500 a rechuté de 0,83% dans les plus gros volumes observés depuis un mois (ils ont été supérieurs aux 700 millions de titres de la séance des « Trois sorcières ») et tous les gains engrangés depuis le 16 mai sont effacés.

Quelques signes de nervosité avaient fait leur apparition dès la première heure de cotation. Certaines des réponses de Ben Bernanke aux questions de membres du Congrès US avaient déjà déclenché un gros couac sur le marché obligataire américain dès 16h15.

▪ Que disent les fameuses minutes ?
Le compte-rendu de la Fed a achevé de déprimer les T-Bonds. Ils ont fini en chute libre de 5,5% avec un rendement qui se retend symétriquement vers 2,04%, contre 1,89% aux environs de 16h : les analyseurs lexicaux associés aux logiciels algorithmiques avaient réagi positivement en quelques secondes.

Le texte confirme au premier degré de lecture une attitude ultra-accommodante de la Fed — sans horizon de temps — puisque la référence demeure le taux de chômage avec un objectif de 6,5%.

Compte tenu des six millions d’Américains en âge de travailler qui ont cessé toute recherche d’emploi et disparu des statistiques officielles, il faudrait 10 ans au rythme actuel (200 000 créations par mois, tout juste suffisant pour absorber les nouveaux entrants) pour résorber ce stock d’exclus invisibles.

Ben Bernanke a réaffirmé que les fondements de la reprise actuelle restent fragiles : une inflexion de la politique monétaire ultra accommodante serait prématurée. C’est exactement le message que Wall Street voulait entendre — l’impression massive d’argent frais va continuer sans horizon de temps.

Cette stratégie agace sérieusement Pékin, qui l’a déjà fait savoir en mars dernier. Toutefois, le souci le plus sérieux et le plus immédiat provient de la guerre des changes rallumée par Tokyo avec l’approbation tacite de la Fed et du FMI.

▪ Chine et Japon au coeur du conflit
La Chine se retrouve prise en ciseau entre la chute du yen et le risque de pertes en capital importantes sur son stock de T-Bonds US, qui se déprécie lourdement depuis trois semaines.

La chute de 5% des Treasuries ne saurait s’expliquer par la hausse marginale des reventes de logements anciens aux Etats-Unis : +0,6% à 4,97 millions en rythme annuel. Certains opérateurs auraient-ils détecté au travers du discours de Ben Bernanke un message codé qui avertit que la stratégie de la Fed pourrait évoluer plus rapidement que les marchés ne l’anticipent ?

Il faudra surveiller de près l’évolution du marché obligataire japonais au cours des prochaines heures car la chute des bons du Trésor japonais à 10 ans prend également des proportions alarmantes : leur rendement se tend à 0,905%.

Cela se compare à un taux de référence de 0,6% : il s’agit de la moyenne observée du 28 février au 10 mai dernier. L’écart de rendement atteint dans ce cas 50% en 10 séances, ce qui est déjà spectaculaire… Et la tension devient vertigineuse par rapport aux 0,57% des premières séances de mai : +60%.

Elle s’avère carrément abyssale par rapport aux 0,4% testés début avril… mais ce plancher correspond techniquement à une aberration liée à des anticipations irréalistes : si le PIB japonais retrouve un rythme de croisière de 3% par an et que l’inflation rejoint l’objectif des 2% voulu par Shinzo Abe, alors les taux longs devraient déjà se situer au-delà des 1%.

Le problème, c’est que la correction subie par les emprunts nippons engendre des pertes extrêmement sévères pour ceux qui ont acheté entre mars et début mai… et les banques japonaises en détiennent une quantité considérable. Heureusement que les gains sur les actions sont d’une ampleur historique depuis novembre dernier (+75%).

▪ Deux visions des marchés obligataires
Face à la chute des marchés obligataires aux Etats-Unis et au Japon, deux visions s’affrontent. Dans la version classique, une montée des taux et des marchés d’actions est antinomique et seul l’appétit irrépressible pour le risque et une complaisance coupable des banques centrales peut éviter temporairement une correction majeure des indices boursiers.

Dans la version 2013, tout ceci est très bon signe et d’excellent augure : les agents économiques ont commencé à enclencher la « Grande rotation » voulue justement par les banques centrales.

Les investisseurs vendent les placements obligataires — c’était le but de la politique monétaire menée depuis novembre dernier –, et achètent des actions même si elles sont déjà au plus haut absolu car il n’y a pas d’autre alternative.

Les analystes techniques affirment unanimement que les actions vaudront plus cher demain, en parfaite conformité avec la logique des flux.

Cette hausse forcenée des actions va sauver les organismes de retraite, confrontés au manque de revenu offert par les obligations.

Le présupposé, c’est que la Fed réduira en douceur son QE3, comme un anesthésiste qui abaisse le débit d’antalgiques dans la perfusion sans que le patient s’en aperçoive. Mais pas un seul économiste n’est capable de décrire le scénario d’une stratégie de sortie après des années de planche à billets. Aucune n’a jamais été mise en oeuvre… et la Bank of Japan poursuit la sienne depuis 20 ans sans jamais avoir pu espérer en sortir.

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