La Chronique Agora

C’est la faute au virus ! (Ou pas)

Avec le Covid-19, les autorités ont une excuse toute trouvée pour se défausser de leurs responsabilités – mais le mal vient de beaucoup plus loin.

« C’est le virus qui l’a fait ».

Je suis sûr que lorsque cette catastrophe sera terminée, l’économie dominante, les élites et les autorités diront qu’il s’agit d’une crise exogène qui n’a rien à voir avec des défauts inhérents au mode de production et de reproduction du capitalisme financiarisé.

Je soutiens le contraire depuis longtemps – et vous savez pour me lire que tout était écrit, prévu, prévisible… sauf bien sûr le calendrier, car celui-ci dépend d’une cause aléatoire, la causa proxima bien connue depuis les analyses des philosophes grecs.

Tout comme sont prévus et prévisibles les remèdes qui vont être employés, ainsi que leurs conséquences inéluctables et néfastes pour l’avenir : l’approfondissement des déséquilibres entre le monde financier imaginaire et le monde réel, déséquilibres qui, un jour, déboucheront sur la Crise, la vraie.

Les remèdes seront la fuite en avant.

La crise actuelle est la convergence, la rencontre d’une fragilité financière qui vient de loin et d’une structure de notre société post-moderne qui modifie la nature. Système financier fragile bullaire et société déstructurée, fracassée par les inégalités et la contrainte du profit « en flux tendus ».

« Nous n’y sommes pour rien »

C’est le virus qui l’a fait. Nous les élites n’y sommes pour rien – c’était l’argument du courant dominant après la Grande récession de 2008-2009, et il sera répété en 2020.

Au moment où j’écris, la pandémie de coronavirus n’a toujours pas atteint un pic. Il aurait pu apparaître plus tôt mais c’était sans compter avec les choix des deux blocs, l’américain et l’européen : ils ont préféré dissimuler la gravité des signes avant-coureurs afin de préserver les économies et ne pas peser sur la profitabilité du capital. Ils ont considéré que la fragilité de l’édifice financier justifiait et même obligeait à ce choix.

[…] Cette crise biologique a créé la panique sur les marchés financiers.

Les marchés boursiers ont plongé de 30% en l’espace de deux semaines. Le monde imaginaire des prix des actifs financiers sans cesse croissants financés par des coûts d’emprunt toujours plus bas s’est effondré.

Est-ce une réconciliation entre les deux mondes, ceux de la finance et celui de l’économie réelle ?

Certains le pensent, mais j’affirme que non. Pourquoi ?

Parce que je soutiens que la bulle des actifs financiers a certes changé de forme et de configuration, mais elle s’est déplacée vers le monde des dettes des gouvernements, vers les fonds d’Etat. En d’autres termes, elle a pris la forme, l’apparence du risk-off.

Ceci va être confirmé par les politiques monétaires prochaines : on va injecter et faire buller encore plus pour compenser les pertes de l’argent qui est parti au paradis du pognon. On va resouffler des milliers de milliards dans le système – de 4 000 à 5 000 milliards à mon avis.

Des promesses intenables

Globalement, les actifs financiers, la quantité de monnaie dans le système, la masse de promesses qui sont incrustées dans le capital total mondial restent hors de proportions avec ce que l’on pourra « délivrer ». On ne peut tenir la masse des promesses : c’est cela, une bulle.

Ce qui fait bulle, c’est la masse totale de promesses contenues dans le système – ce qui, présenté autrement, signifie que les traites que l’on a tirées sur l’avenir ne pourront et ne seront pas honorées.

Le coronavirus semble être une « inconnue inconnue », comme le krach financier mondial de type cygne noir qui a déclenché la Grande récession il y a plus de dix ans.

Mais le coronavirus, tout comme ce krach financier, ne serait pas vraiment un « choc » pour une économie qui aurait été par ailleurs en croissance harmonieuse.

Même avant le déclenchement de la pandémie, dans la plupart des grandes économies capitalistes – que ce soit dans les pays dits développés ou dans les économies « en développement » du « sud global » –, l’activité économique ralentissait, certaines économies se contractant déjà avec l’investissement et les profits en nette régression.

Le coronavirus a été le déclencheur de basculement.

Situation critique

Nous étions dans ce que les physiciens appellent une situation critique ; une trappe d’instabilité était ouverte.

Une analogie consiste à imaginer une accumulation de grains de sable formant un tas jusqu’à un certain point. A un moment, les grains de sable commencent à glisser… puis vient un autre point – critique – où avec une simple particule de sable ajoutée, tout le tas s’effondre.

C’est ce que je vous décris souvent : un exemple de monde de rupture, un monde fractal, non dérivable, non linéaire. Le long terme existe, c’est le monde dans lequel les invariants… varient.

L’analyste John Hussman a identifié cette trappe de fragilité il y a quelques mois déjà, et il en a décrit les conséquences avec justesse.

Si vous êtes économiste post-keynésien, vous préférerez peut-être appeler cela un « moment Minsky », d’après Hyman Minsky, qui a soutenu que le capitalisme semble être stable jusqu’à ce qu’il ne le soit pas, car la stabilité engendre l’instabilité.

Steve Keen a écrit un livre récemment, Pouvons-nous éviter une autre crise financière, où il démontre avec des modèles que les ruptures, c’est-à-dire les crises, sont inéluctables.  

Un marxiste dirait après Marx, oui, il y a de l’instabilité – mais cette instabilité se transforme périodiquement en avalanche « crisique » à cause des contradictions internes du mode de production capitaliste.

A l’inverse, une économiste classique, Janet Yellen (ancienne présidente de la Fed) disait il y a quelques années : « je ne verrai plus jamais une crise de mon vivant ». La crise est là mais Yellen n’est pas morte.

Culture et conséquence

Comme l’a soutenu le biologiste Rob Wallace, les fléaux ne font pas seulement partie de notre culture ; ils en sont une conséquence.

La peste noire s’est propagée en Europe au milieu du XIVème siècle en raison de la croissance du commerce le long de la route de la soie.

De nouvelles souches de grippe ont émergé de l’élevage.

Ebola, SRAS, MERS et maintenant le Covid-19 sont liés à la faune.

Les pandémies commencent généralement en tant que virus chez les animaux – virus qui se transmettent souvent aux gens par l’intermédiaire des cochons, qui nous sont très semblables, lorsque nous entrons en contact avec eux.

La construction de routes, la déforestation, le défrichement et le développement agricole sans précédent, ainsi que les voyages et le commerce mondialisés, nous rendent extrêmement sensibles aux agents pathogènes comme les coronavirus.

Je soutiens que ce genre d’épidémies n’est pas un choc, n’est pas exogène : c’est le résultat inévitable de l’expansion de l’économie mondiale poussée par l’aiguillon du capital à la recherche du profit maximum.

Intuitivement, la population dans sa grande sagesse perçoit ce que j’explique. Elle considère que le système, dans son développement pervers et aveugle, est responsable de ce qui nous arrive.

La population demande depuis longtemps une pause dans cette évolution.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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