La Chronique Agora

Le fardeau de la richesse

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Un impôt sur la fortune permet-il de réduire les inégalités ?

« Le fascisme est le capitalisme en décomposition. »
~ Vladimir Lénine

La semaine dernière, nous avons regardé à la télévision une interview de Robert Kennedy Jr, candidat à la présidentielle.

Ses réponses étaient pertinentes. Mais sur un sujet, il a semblé être pris au dépourvu.

« Vous êtes issu de l’une des familles les plus riches des Etats-Unis », a commencé le présentateur. « Que pensez-vous de la volonté de la sénatrice Elizabeth Warren d’instaurer un impôt sur la fortune pour réduire les inégalités ? »

« Je ne sais pas… il faudrait que je regarde cela de plus près », a répondu Kennedy.

Aujourd’hui, nous allons également nous pencher sur la question.

Tendances primaires

Notre objectif (pour rappel, ou pour les lecteurs qui viennent de nous rejoindre), est d’adopter un point de vue beaucoup plus large que la plupart des sociétés d’analyse financière. Nous cherchons à identifier les courants profonds des marchés – et de l’Histoire – qui aident à expliquer les choses curieuses qui apparaissent à la surface. En ce qui concerne votre patrimoine, c’est le fait d’être au bon endroit au bon moment – et non d’être intelligent – qui compte vraiment.

Si vous étiez né aux Etats-Unis juste après la Seconde Guerre mondiale, par exemple, vous auriez vécu la période la plus éminemment aisée de l’histoire de l’humanité. Et si vous aviez surfé sur ce que nous appelons la « tendance primaire » du marché boursier américain après 1982, vous auriez pu mettre votre portefeuille d’investissement en pilotage automatique et profiter de 40 années de croissance.

Eh oui… comme une odeur de curcuma dans un restaurant indien, un parfum de fatalisme plane sur nos idées. En effet, une fois que l’on a découvert la tendance principale, on s’aperçoit qu’elle fait partie d’un schéma plus large – ce n’est qu’un chapitre d’une histoire plus longue… une pièce d’un puzzle plus grand. L’histoire, bien sûr, a un début et une fin ; ce que vous pensez ou ce que vous voulez faire n’a pas d’importance. Le puzzle, lui… eh bien, il est ce qu’il est.

C’est pourquoi tous ces articles d’opinion que vous pouvez lire dans le New York Times et ailleurs sont inutiles. Nous devons faire ceci… vous devez faire cela… Biden devrait faire ceci… Poutine devrait faire cela… Pour autant que nous le sachions, aucune tendance primaire majeure n’a jamais été interrompue par les efforts conscients de personnes bien intentionnées. Les courants profonds ignorent le clapot de surface.

Les pourparlers de l’armée

Commençons par examiner la question sous l’angle d’une série de brochures publiées à partir de 1943 par le département de la Guerre, et intitulées « Army Talks », dont le but était « d’aider [les soldats] à être mieux informés, et ainsi de meilleurs soldats ». Il s’agissait bien sûr de propagande, surtout destinée à aider les soldats à voir les choses de la façon souhaitée par le Pentagone :

« Nous sommes les gentils, parce que nous favorisons la démocratie.

Eux sont les méchants. Ce sont des fascistes.

Compris ? »

Pour les soldats qui ne l’auraient pas compris tout de suite, les maîtres à penser du Pentagone ont poursuivi leur discours en décrivant le fascisme comme « un gouvernement régi par une minorité, et pour une minorité. […] C’est le peuple qui dirige les gouvernements démocratiques, mais les gouvernements fascistes eux dirigent le peuple ».

Nous évoquons régulièrement la dégénérescence du gouvernement américain depuis la Seconde Guerre mondiale, et plus particulièrement après 1971. Le pays est devenu un « empire des dettes » (c’est d’ailleurs le titre de l’un de nos livres). Comme nous le verrons, la dette favorise une minorité de gens, et non la majorité.

Au fil des années, les taux de croissance ont baissé… ainsi qu’une grande partie des marqueurs d’une société robuste, libre et saine – les salaires se sont relâchés, la croissance de la productivité est tombée en dessous de zéro, et la dette a explosé, en laissant loin derrière elle l’économie réelle qui la soutenait.  Au fil du temps, les Etats-Unis ont fini par ressembler de plus en plus à un régime « fasciste ».  Des lois ont été adoptées. Des réglementations, des taxes, des exceptions, des droits de douane, des sanctions, des pénalités et des interdictions ont été imposés. Et de plus en plus… la législation, la fiscalité, la politique monétaire, la politique étrangère – tout semble être créé au profit d’une poignée de personnes pouvant compter sur des lobbyistes rémunérés, et non plus pour le bénéfice de la majorité restante.

L’inflation, par exemple, frappe beaucoup plus lourdement les classes moyennes et les pauvres que les riches. Les riches consacrent une part moins importante de leurs revenus aux biens de consommation. Et la “valeur’ de leurs actifs – biens immobiliers, obligations, actions – ont tendance à augmenter avec l’inflation.

L’inflation n’est pas simplement un phénomène « qui se produit ». C’est le fruit d’une politique gouvernementale, un moyen de financer les dépenses publiques excessives. Il s’agit d’abord d’une dette. Puis, comme elle ne peut pas être remboursée, elle est gonflée. C’est pourquoi un « accord » sur le plafond de la dette était inévitable. Les deux partis politiques voulaient continuer à emprunter et à dépenser sans limite. « Le peuple » se porterait beaucoup mieux si le gouvernement gaspillait moins de tous ses efforts… mais cela n’importe guère.

Majorité vs minorité

Les guerres aussi sont fructueuses pour les initiés. Nous les perdons toutes, mais nos armes et notre volonté d’en découdre représentent toujours une source de fierté auprès des masses. Elles saluent nos « combattants » lors des matchs de football, sans se préoccuper de savoir contre quoi ou contre qui ils se battent. Les gains réels, cependant, reviennent exclusivement à quelques-uns – les experts des groupes de réflexion, les agences gouvernementales qui bâtissent l’empire, les fournisseurs d’armes, et les politiciens qui reçoivent des dons pour leurs campagnes, des chèques pour leurs conférences, et des sinécures pour leur retraite.

Mme Warren est elle aussi une femme politique. Quelle place occupe-t-elle dans la tendance principale qui accompagne les Etats-Unis depuis 40 ans (hausse des actions, des obligations et de la dette) ? Ou bien dans les 50 dernières années de « financiarisation » ? Quel rôle joue-t-elle dans la construction de l’empire américain sur ces 100 dernières années… ou dans ses 20 ans de déclin ?

Elle cherche à résoudre ce qu’elle considère comme un problème : les riches sont trop riches. Ils devraient partager leur richesse avec le reste des Américains, au moyen d’un impôt sur leur fortune. Bien sûr, ils sont déjà visés par de nombreuses choses. Leurs revenus sont taxés. Leurs biens immobiliers sont taxés. Leurs achats sont taxés. Leur patrimoine est taxé. Un impôt sur la fortune ne représente qu’un ajout supplémentaire à tout cet arsenal. Et elle peut ou non réussir à le faire adopter. Cela aura-t-il de l’importance ?  Ou s’agit-il, comme pour le plafond de la dette, d’un nouveau coup de théâtre politique ?

Mme Warren travaille-t-elle pour le plus grand nombre d’américains… ou seulement pour une petite poignée ?

Demain, nous continuerons à chercher…

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