La Chronique Agora

Faites confiance à l’homme de l’année !

** Nous avions intitulé notre précédente chronique « Goldilocks tombe la perruque » et nous avons hésité à titrer aujourd’hui « Wall Street s’arrache les cheveux » — parce que ce n’est plus vraiment le cas à l’heure où nous rédigeons ces lignes.

Il n’empêche que les circonstances se prêtent à une accroche qui décoiffe : le scénario d’une consolidation durable et profonde des indices boursiers supplante l’anticipation d’une phase corrective sévère mais relativement brève, comme ce fut d’ailleurs le cas début mars puis à la mi-août 2007 et encore une fois au mois de novembre.

A chaque fois qu’un accès de déprime plombe les indices et provoque un mouvement de repli jugé excessif, l’espoir d’un rebond technique est systématiquement déçu. Les vendeurs restent à l’affût de la moindre opportunité — un sursaut de 1% suffit à leur bonheur ! — et la tendance baissière reprend quasi inexorablement le dessus depuis le 28 décembre dernier.

Le CAC 40 — qui ne cédait finalement que 0,5% mercredi — aligne pas moins de neuf séances de repli sur une série de douze, pour une perte cumulée qui avoisine les 8% depuis le test des 5 670 points du 2 janvier.

Les vendeurs se montrent très déterminés depuis 48 heures ; le plancher de la mi-août a été largement enfoncé dès les premiers échanges mercredi matin (5 177 points testés vers 13h00). Il s’est traité pas moins de 9,4 milliards d’euros sur les seules vedettes du CAC 40, et plus de 11 milliards d’euros sur le SRD. Le laminage des mid caps a repris de plus belle, et le SBF 80 a chuté de 1,6% après avoir affiché jusqu’à -2,5% après trois heures de cotations.

Deux tentatives de reprise en main des indices américains et européens ont échoué en fin d’après-midi pour cause de chiffres jugés décevant outre-Atlantique. Les gains initiaux du Dow Jones n’ont pas longtemps fait illusion : au bout d’une heure de cotation, le Nasdaq affichait jusqu’à -2,25% (à 2 361) menaçant ainsi d’enfoncer des planchers graphiques remontant à mars dernier (2 340) ou novembre 2006 (2 330).

** L’inflation aux Etats-Unis a progressé de 0,3% au mois de décembre (contre 0,2% attendu) et les prix s’envolent de 4,1% en rythme annuel (contre 3,1% dans l’Euroland).

En revanche, les salaires réels — véritables précurseurs du pouvoir d’achat des ménages — n’affichent qu’une progression symbolique de 0,1%. Les consommateurs risquent de continuer à limiter leurs dépenses, d’autant que le coût du plein de sans plomb ou du remplissage de la cuve de fioul a explosé de 25% à 30% au cours des 12 derniers mois.

Le corollaire de ces dérapages de prix affectant la vie de tous les jours, c’est l’envol du taux de défaillance sur les cartes de crédit : selon les dernières données communiquées par les principales banques commerciales, il atteint entre 3,75% et 4%. Ce chiffre pourrait avoisiner 4,5% à 5% d’ici la fin de l’année selon une étude de J.P. Morgan Derivatives.

En ce qui concerne le montant annuel des créances immobilières irrécouvrables, il a carrément quintuplé en 2007, et 2008 ne devraient pas voir cette accélération des incidents connaître le moindre signe de ralentissement.

C’est ce que confirme implicitement le piètre indice de confiance de la NAHB (National Association of Home Builders), qui reste collé au plancher historique des 19 du mois de décembre, le chiffre le plus bas enregistré depuis sa création en 1985.

Voilà une réalité susceptible d’influencer fortement la politique monétaire de la Fed. Certains investisseurs sont tentés de jouer le scénario d’un abaissement hors calendrier des taux directeur de 50 points au minimum. Une telle annonce aurait pour effet de prendre à contre-pied les vendeurs à découvert. Mais dans un premier temps seulement, car une telle initiative risque d’alimenter symétriquement le sentiment que la situation actuelle est vraiment critique.

** La séance de mercredi n’a pas constitué en Europe le bear trap — piège pour spéculateurs à la baisse — que certains traders voyaient se dessiner entre 15h30 et 16h00. Mais Wall Street garde toutes ses chances puisque le Dow Jones s’efforçait de préserver les 12 500 points à la mi-séance. Le Nasdaq continuait quant à lui de reculer de 1% dans le sillage d’Apple, Garmin ou Yahoo qui abandonnaient collectivement 5%, tandis qu’Intel plongeait de 12%, sous le seuil des 20 $.

La descente aux enfers de certaines valeurs de croissance, associée à une rechute du dollar sous les 107 yens, a littéralement assommé les bourses asiatiques. Tokyo, Singapour et Hong Kong ont connu mercredi matin leur pire séance de repli depuis le milieu de l’été dernier avec des chutes respectives de 3,3%, 2,7% et 5,4% (pour l’indice Hang Seng).

Pour les places européennes, des supports aussi importants que les 4 130 points sur l’Euro Stoxx 50 (qui perd 0,8%), les 3 000 sur l’Eurotop 100, les 7 500 sur le Dax — qui décroche de 1,25% — ou les 470 sur l’AEX (qui dévisse de 1,7%) sont cassés. Les quelques rachats à bon compte survenus en fin de séance mercredi n’ont pas permis de les sauvegarder.

Compte tenu du climat psychologique que nous observons depuis 48 heures, il devient très difficile de cerner le timing d’un sursaut technique des indices boursiers. C’est même mission impossible lorsque les (trop rares) bonnes nouvelles donnent lieu à des contrecoups négatifs.

La hausse des stocks de pétrole américains — 4,3 millions de barils la semaine dernière, selon les dernières estimations du département américain de l’Energie — a certes fait reculer le baril sous les 90 $… mais il en a résulté une rechute de 2,25% de Total qui a plombé le CAC 40.

** Avec un rebond du dollar à 1,4650/euro et la consolidation du pétrole sous les 90 $, l’or subit à son tour une vague de prises de bénéfices et abandonne 3% en 24 heures, à 880 $/once contre 910 $ la veille. Il pourrait cependant reprendre de l’altitude très vite alors que certains membres influents de la BCE (tel que l’économiste en chef Axel Weber) tentent de nuancer le discours intransigeant de J.C. Trichet au sujet de sa lutte sans merci contre l’inflation.

M. Weber suggère que les risques de dérive des prix pourraient bientôt apparaître moins élevés, que le tableau économique est un peu plus « mitigé » — pour ne pas dire très sombre s’agissant des perspectives d’activité économique et d’emploi au premier trimestre 2008 — que l’affirmait le communiqué final de la BCE jeudi dernier.

Nous demeurons convaincus que l’ambiance régnant au forum économique de Davos nous renseignera bien plus efficacement sur la tendance future des marchés que les anticipations plus ou moins inspirées relatives à la politique monétaire de la Fed ou de la BCE : la thématique de l’environnement sera présente. Mais en filigrane se dessine un passionnant débat concernant les aspects géostratégiques d’une augmentation ou d’un maintien de la production pétrolière au cours des prochaines années.

Vladimir Poutine et ses homologues des ex-républiques soviétiques des environs de la mer Caspienne apparaissent les seuls en mesure de satisfaire un accroissement de la demande indienne et chinoise. Pendant ce temps, George Bush éprouve beaucoup de difficultés à obtenir satisfaction en ce domaine auprès de ses « amis » saoudiens — qui lorgnent à leur tour du côté de l’énergie nucléaire, ce qui pourrait rendre les critiques américaines à l’encontre de l’Iran moins pertinentes.

Mais le plus grand tort que pourrait causer Vladimir Poutine — récemment élu homme de l’année par le Times — à l’administration républicaine de George Bush (et aux candidats de son parti) serait d’arbitrer sans ménagement le dollar en faveur du yen. Cela affaiblirait considérablement la prétendue force de l’économie américaine et l’influence de la diplomatie américaine dans le monde.

Résisteriez-vous à une telle tentation ?

Wall Street pourrait-t-il y faire face ?

Philippe Béchade,
Paris

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile