Pourquoi est-il si impensable de parier sur certaines faillites ou défauts ?
Certaines faillites sont tellement inimaginables qu’elles seraient donc impossibles. Un peu court comme argument.
On peut imaginer ou anticiper qu’une grande banque très systémique ou qu’un très grand groupe fasse faillite, mais cela est même déjà difficile à concevoir.
Mais parier sur la faillite pure et simple de ce qui est ou de ce qui fait l’institution et structure le système (grands Etats de l’OCDE, banques centrales) relève tellement d’un scénario de fin de monde qu’il serait trop coûteux intellectuellement, conceptuellement et financièrement de l’anticiper.
D’un point de vue analytique, pourquoi est-il si impensable de parier sur ce type de défaut ?
Aujourd’hui, nous commencerons à parler des faillites des Etats. Puis, dans un prochain article, nous aborderons la possibilité des faillites de banques centrales.
Et si un « pays développé » faisait défaut ?
En fait, dans les milieux académiques, on ne dit pas qu’un Etat fait faillite mais qu’il fait défaut. Et on ne l’imagine pas un seul instant pour un grand pays de l’OCDE – et a fortiori pour la première puissance économique mondiale.
En effet, un état n’est pas une entreprise ou un ménage, donc il est en principe immortel – sauf circonstances historiques exceptionnelles. Par conséquent, il n’est pas soumis aux contraintes temporelles d’un agent économique privé : il peut emprunter sur 50 ou 100 ans ; il emprunte in fine, c’est-à-dire qu’il rembourse le capital « one shot » (en une fois) à l’échéance des émissions d’obligations (et ne paie chaque année que les intérêts sur la dette). La dette obligataire souveraine serait en fait une dette perpétuelle qui ne dit pas son nom.
Par ailleurs, un Etat a des moyens illimités… tout du moins tant qu’il peut matraquer fiscalement les contribuables.
Il peut également employer la répression financière, manifestation contre-productive des évolutions récentes de la réglementation prudentielle des banques et assureurs (décennie 2010). Ainsi les ratios réglementaires que doivent respecter les banques en matière de liquidité et de solvabilité les conduisent à investir massivement en titres d’Etat.
Une autre possibilité est que sa banque centrale monétise directement ou indirectement sa dette publique par l’impression de monnaie.
Enfin, dans le cas des Etats-Unis, le statut de monnaie de réserve du dollar permet un financement facile des déficits public et extérieur.
Trois types de défauts
On sait pourtant que l’histoire est jalonnée de défauts souverains ici ou là. Mais intéressons-nous à l’époque contemporaine, disons depuis la désintermédiation financière des années 1980 et depuis que les marchés financiers existent peu ou prou sous la forme sous laquelle nous les connaissons aujourd’hui (d’un point de vue économique et financier, plutôt que d’un point de vue technologique).
Durant cette période, nous n’avons pas vraiment expérimenté de défaut explicite ou même implicite d’un grand pays, économiquement parlant. Ce qui s’en rapproche le plus, c’est le cas grec, avec un défaut implicite d’un pays appartenant à une union économique et monétaire rassemblant un certain nombre de pays de l’OCDE…
Malgré tout, il reste intéressant (au-delà des aspects académiques) de catégoriser les types de défauts souverains, tant ceux qui se sont produits par le passé que ceux qui pourraient, théoriquement, se produire à l’avenir.
Nous recenserons trois types de défauts souverains : les deux premiers ont existé et concernent plutôt des économies émergentes ; le troisième reste en revanche à ce stade théorique, car il n’est intégré que dans des scénarios dits catastrophes : c’est celui d’un pays de l’OCDE en défaut technique voire réel.
Le cas d’un défaut explicite
Avec la Russie post-effondrement soviétique, la situation était marquée par des déséquilibres macroéconomiques classiques : d’un côté un solde négatif de la balance commerciale dès 1991 et, de l’autre, le creusement des déficits publics sous l’effet de l’insuffisance des recettes fiscales (une situation fondamentalement semblable à celle de la Grèce, du Portugal et de l’Espagne des années 2009-2012).
L’impossibilité de dégager des excédents budgétaires et commerciaux entraîne une crise de solvabilité, à laquelle va s’ajouter une crise de liquidité évidente (ce qui aurait aussi été le cas de la Grèce, si les divers dispositifs d’aide européens et internationaux avaient été suspendus).
Les émissions de titres publics seront essentiellement souscrites par des banques russes qui profitent de leur prétendu fort rendement. Ces établissements vont y exposer près des trois quarts de leurs engagements… et pas de la manière la plus saine, puisque ce sera par du carry trade : ils empruntent des dollars, destinés à être vendus contre des roubles pour acheter les titres russes.
On connait la suite : crise de confiance, monnaie nationale sous pression et fuite des capitaux (un tiers des GKO étaient détenus par des non-résidents). La crise est telle que la banque centrale russe deviendra l’acheteur en dernier ressort de ces papiers, pratiquant ainsi un exercice bien connu par certaines banques centrales ces dernières années, que l’on nomme doctement la monétisation de la dette publique.
On parle bien ici de défaut total car, in fine, les autorités russes ont finalement restructuré ces obligations avec un haircut (« coupe de cheveux », expression anglaise très à la mode sur les marchés pour parler de décote) de 90%.
Nous verrons la semaine prochaine le cas des défauts déguisés, de pays qui ont bénéficié d’un large montant de prêts accordés par le FMI. Mais aussi la probabilité d’un défaut des Etats-Unis ou des principales banques centrales de la planète.