La Chronique Agora

La faillite de SVB révèle la clé de la financiarisation

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Notre système financier repose sur un mythe dans lequel il est essentiel que nous croyons, et à la base duquel se trouvent les dépôts bancaires.

Le monde financier est depuis ce week-end sous le choc de la faillite de la Silicon Valley Bank (SVB).

SVB était une banque commerciale assurée par la FDIC (l’équivalent de notre Fonds de garantie des dépôts et de résolution), réglementée par l’Etat de Californie et la Réserve fédérale.

Le vendredi 10 mars, la FDIC a brusquement fermé la banque, transféré certains dépôts dans une banque nouvellement créée contrôlée par les régulateurs, et entamé un processus de vente d’actifs bancaires et de remboursement progressif des créanciers.

La grande nouvelle est sortie peu après : tous les déposants de la SVB seront indemnisés en intégralité, ils feront leur plein.

C’est bien sûr une décision politique, mais c’est également une décision technique guidée par la peur de la contagion. Si les déposants perdent et participent aux pertes, alors l’insécurité s’installe, le pot aux roses de la réalité du risque bancaire est exposé.

Une masse fictive

Comme je l’ai dit et redit, on ne peut plus jamais faire machine arrière ; la financiarisation est un processus à sens unique, un hôtel California sans check-out possible.

Le ressort de la financiarisation, sa pierre angulaire est simple mais bien sûr personne ne l’a jamais explicité.

La financiarisation consiste à produire des actifs financiers à jets continus pour stimuler l’économie. Mais, si vous produisez des actifs financiers jets continus et de façon déconnectée de la production de richesses réelles, ces actifs financiers deviennent fictifs ; ils ne représentent rien.

C’est ce qui se passe, bien sûr. La masse des actifs financiers est fictive.

Si la masse des actifs financiers est fictive, le risque qu’un jour ou l’autre ces actifs demandent leur conversion en monnaie sonnante et trébuchante, ou en cash, est toujours présent ; il menace toujours. Donc, il faut implanter la croyance, dure comme fer, que les actifs financiers sont aussi bons que de la monnaie, mais surtout qu’ils rapportent un peu et que, en plus, ils bénéficient de temps à autre d’un tirage à la loterie du Ponzi.

Note : Attention, dans le monde moderne, un dépôt bancaire, ce n’est pas de la monnaie, ce n’est plus un dépôt. C’est une créance sur la banque où vous avez votre compte, donc le dépôt bancaire est un actif financier émis par votre banque. C’est un grand secret que bien peu connaissent !

A la base du mythe

La financiarisation repose sur les points suivants :

Je pense que vous avez compris pourquoi les déposants doivent faire leur plein et pourquoi ce sera toujours ainsi… même si les organismes censés assurer les dépôts des déposants n’ont en réalité pas les ressources pour garantir les dépôts.

En fait, les dépôts et les actifs financiers ne sont garantis in fine que par la planche à billets, c’est-à-dire par la monnaie de base ! Ils ne sont garantis que par l’inflation monétaire potentielle. C’est ce que j’appelle le besoin d’inflation potentielle du système. Plus un système émet d’actifs financiers, plus il a un besoin potentiel d’inflation monétaire.

Note : les Européens ont déclenché une crise grave lors de la défaillance grecque, justement parce qu’ils ont négligé le point que je viens de vous expliquer. Sous la pression de Merkel – soutenue par Sarkozy – ils ont exigé que le secteur privé participe aux pertes de la Grèce. Ce fut la fameuse imbécilité de la PSP : ils ont touché au dogme selon lequel les dettes souveraines sont sacrées ! Résultat : ils ont tout déstabilisé et fait s’effondrer l’édifice et partir d’un problème initial de 35 Mds€… et ont créé un problème de 272 Mds€.

La fin des règles

Le système ne peut plus respecter ses propres règles. Il est soumis au chantage des marchés et des milliardaires.

On ne peut sanctionner les détenteurs d’actifs financiers imprudents ou malhonnêtes, car ils ont la bombe atomique systémique et peuvent tout faire chuter. On ne peut sanctionner les responsables car tous font la même chose, et comme on l’a vu en 2009, ils sont ainsi intouchables.

Le système repose sur le bluff, sur la tolérance de l’imprudence et sur la récompense de la malhonnêteté.

Aux Etats-Unis, ils ont simplement déchiré les règles et les ont modifiées à la volée. L’assurance des dépôts bancaires est officiellement de 250 000 $ par compte. Si vous souhaitez déposer plus que ce montant à la banque, vous devez ouvrir un ou plusieurs comptes supplémentaires, en fonction du montant que vous déposez. Sinon, tout dollar dépassant la limite des 250 000 $ placés sur un seul compte sera en danger.

Eh bien, devinez quoi ? Plus de 90% des dépôts en SVB dépassaient le montant assuré. Cela signifie que les entreprises avec des dépôts de plus de 250 000 $ ont été imprudentes et n’ont pas mis en œuvre la gestion des risques nécessaire en les parquant à différents endroits. Ils étaient au-dessus de la limite de la FDIC, l’organisme d’assurance. Mais ils l’ont fait quand même.

L’un des plus gros déposants, le groupe Roku, avait en fait 487 M$ dans son compte chez SVB.

Et maintenant, ils sont renfloués. Les milliardaires et leurs larbins récupéreront tout leur argent, malgré leur propre incapacité à pratiquer la gestion des risques de base.

Si ça ressemble à un plan de sauvetage…

Dans une tribune publiée dans le Wall Street Journal, l’entrepreneur (et candidat à la primaire du parti républicain pour l’élection présidentielle de 2024) Vivek Ramaswamy, va au cœur de tout cela :

« Le plan de sauvetage crée des incitations aux comportements à risque, apprenant aux gros déposants qu’ils peuvent jeter de l’argent dans des banques à risque sans avoir à se diversifier ou faire preuve de diligence.

SVB a longtemps fait pression pour des limites de risque plus souples en faisant valoir que son échec ne créerait pas de risque systémique et ne méritait donc pas une intervention spéciale du gouvernement américain. Pourtant, dimanche, le Trésor a jugé SVB ‘d’importance systémique’. »

Les Biden et les Yellen du monde disent qu’il ne s’agit pas d’un plan de sauvetage, parce qu’aucun argent des contribuables n’est utilisé pour renflouer les déposants. Techniquement, c’est vrai. La FDIC obtiendra les fonds de son Fonds d’assurance-dépôts. Les grandes institutions bancaires finiront par payer la facture par le biais d’une cotisation spéciale.

Mais cela ne signifie pas que les gens ordinaires ne paieront pas pour le renflouement. Les banques répercuteront simplement les coûts supplémentaires sur leurs clients sous la forme de frais bancaires plus élevés. C’est un jeu de cons… Et le public perd toujours.

Janet Yellen et Joe Biden peuvent dire qu’il ne s’agit pas d’un plan de sauvetage mais c’est un plan de sauvetage. Une socialisation des pertes.

Au-delà de l’aspect moral et social du renflouement, il y aura certainement contagion.

Les effets d’entraînement de l’effondrement de la SVB se poursuivront pendant des mois. Dans un système dynamique complexe tel que le système bancaire et, plus largement, les marchés des capitaux, il est impossible de savoir à l’avance exactement quelles entreprises feront faillite ensuite, mais il est certain que de telles défaillances surviendront.

D’autres facettes de l’effondrement de SVB se révèlent de minute en minute. Il a été rapporté que les principaux initiés de SVB ont vendu des millions de dollars d’actions SVB au cours des mois de janvier et février avant les récentes révélations. Ont-ils vu cela venir ?

L’un de ces initiés siégeait au conseil d’administration de la Fed de San Francisco. Son nom a brusquement disparu du site Web de la Fed vendredi dernier. Plus de délits d’initiés de la part des responsables de la Fed ?

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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