La Chronique Agora

Extinction du phare de la gastronomie mondiale

** Qui osera se plaindre de la séance de lundi ? Wall Street a en quelque sorte choisi de ne pas choisir et offert à chaque analyste, à chaque stratège, à chaque trader un motif de satisfaction.

Les baissiers se réjouiront de l’enfoncement des 8 000 points par le Dow Jones qui a cédé 0,8% à 7 936 après avoir établi un nouveau plancher annuel à 7 867 points…
 
Les investisseurs qui pariaient sur un rebond depuis des niveaux très proches des planchers de novembre 2008 se féliciteront de la hausse de 1,22% du Nasdaq, qui termine pratiquement au plus haut du jour, à proximité du seuil des 1 500 points re-franchi peu avant la clôture…

Et l’indice Standard & Poor’s 500 renvoie les deux camps dos à dos avec une variation de -0,05% — mais qui, tout comme pour le Nasdaq, traduisait un raffermissement boursier en fin de séance.
 
Le Dow Jones "industriel" a quelques raisons, vu son appellation d’origine, de broyer du noir à la lecture des derniers chiffres macro-économiques publiés cette année : le marché immobilier s‘effondre, et le recul du PIB américain annoncé le 30 janvier à -3,8% est considéré comme une fable par ceux qui estiment la contraction supérieure à 5% (comme en Corée du Sud avec un score de -5,6%).

Si Wall Street navigue depuis le 19 janvier entre euphorie et désespoir, c’est que les opérateurs suivent de très près le défilé des responsables parlementaires démocrates mais aussi et surtout républicains à la Maison Blanche.
 
Barack Obama a multiplié lundi les entretiens pour trouver des compromis permettant une rapide adoption du plan de relance de 820 milliards de dollars (et probablement 100 milliards de dollars de plus pour satisfaire toutes les demandes) par le Sénat au cas où un vote à une majorité des deux tiers serait exigé.

** Le Dow Jones est resté ancré dans le rouge (-0,2%), dans le sillage de Bank of America qui plongeait de 8,8%… mais le Nasdaq affichait un gain de 1,2% dans le sillage d’Intel (+5,4%).
 
L’indice phare n’a même pas profité de la publication d’un indice ISM manufacturier américain meilleur que prévu. Malgré le rebond de la fin de séance, le Dow affichait toujours sa pire performance sur les cinq premières semaines de l’année en 171 ans !
 
Paris, qui perd 9% depuis le 31 décembre 2008, ne s’en tire guère mieux. Le CAC 40 a bien mal entamé le mois de février, chutant de 3% à 3,2% par deux fois au cours de la même séance (jusqu’au contact des 2 870 points) dans le sillage des valeurs bancaires et du compartiment automobile.

Même si le score final était franchement négatif, la faiblesse des volumes — un peu plus de 2,4 milliards d’euros échangés à Paris ce 2 février — démontrait que la pression baissière restait peu significative.
 
Si les acheteurs ne s’étaient pas complètement mis hors-jeu dès les premiers échanges alors que Tokyo venait de perdre 1,5% et Hong Kong 3,2%, les places européennes n’auraient pas abandonné plus de 0,5% — au lieu de -1,7% en moyenne avec des écarts allant de -2,2% à -2,6% (à Milan, Zurich et Madrid).
 
L’ambiance était plombée dès lundi matin par l’aveu d’impuissance des plus hautes autorités politiques chinoises. Il sera quasi impossible à l’Empire du Milieu de tenir l’objectif des 8% de croissance en 2009, le seul qui permette d’empêcher la prolifération d’un chômage massif. Le Premier ministre Wen Jiabao se dit cependant prêt à coopérer avec les Etats-Unis et promet d’oeuvrer à une stabilité de la devise.
 
** La "bonne surprise" du jour — tout est relatif — c’est que l’activité manufacturière s’est contractée au mois de janvier aux Etats-Unis… mais de manière moins dramatique qu’en décembre, d’après l’Institute for supply management.

L’indice ISM manufacturier est ressorti à 35,6 en janvier contre 32,9 en décembre ; les analystes tablaient sur un indice ISM Manufacturier quasi inchangé à 33 points.
 
En revanche, les dépenses de construction aux Etats-Unis se sont contractées de 1,4% fin 2008. Le chiffre du mois de novembre a en outre été révisé à la baisse : les dépenses auraient finalement chuté de 1,2%, alors qu’elles avaient été annoncées en repli de 0,6% seulement en première estimation.
 
L’indication la plus négative concernant la conjoncture aux Etats-Unis concernait la nette contraction des dépenses des ménages (-1% en décembre, après un repli de 0,8% en novembre). Sur l’ensemble de l’année 2008, la progression s’établit à 3,6% (la croissance de la population entretient une progression "mécanique") ; c’est la plus faible observée depuis 1961, année de naissance de Barack Obama.
 
** En Europe, la débâcle semble pour l’instant moins sévère qu’au Japon mais l’activité a continué de se contracter en janvier dans le secteur manufacturier. Selon l’estimation finale, l’indice global s’est inscrit à 34,4, demeurant ainsi très proche de son plus bas historique enregistré au mois de décembre.

La lourdeur du marché a été amplifiée à Paris par l’annonce d’une chute de 7,9% des ventes de voitures particulières en France en janvier. Les mesures de chômage partiel semblent avoir permis de limiter la progression du chômage à +45 000 dans l’Hexagone le mois dernier.
 
Ce qui a été le plus frappant en milieu de séance, c’est l’indifférence des investisseurs au "train de la relance" du Premier ministre qui faisait escale à Lyon à l’heure du déjeuner. L’énoncé ô combien fastidieux des 1 000 mesures constituant le plan de relance à la française n’avait d’équivalent que l’insignifiance des sommes supplémentaires mises en jeu pour justifier son intitulé.

Le président de la République avait annoncé à grand renfort de tapage médiatique qu’il allait "mettre le paquet" (non fiscal cette fois-ci)… Or justement, la plupart des rédactions journalistiques se sont amusées à comparer les lignes budgétaires du plan anti-crise avec la ventilation des dépenses déjà programmées avant que la croissance ne s’effondre. Ils ont pu mettre en évidence que 20 milliards d’euros étaient communs aux deux listes… et que seuls six milliards d’euros étaient réellement destinés à combattre les effets de la récession — soit 1/150ème environ du plan Obama et moins de 1% des sommes du TARP d’Henry Paulson déjà ventilées.
 
C’est un peu comme si, après des semaines ou même des mois de jeûne, alors que le gouvernement tricolore avait promis un festin de roi, les investisseurs découvraient qu’il n’y avait que quelques pauvres légumes dans le cabas — et que la soupe qui devait en être extraite sera enrichie d’une petite noisette de beurre pour faire plus joli et rendre le mélange plus onctueux… mais à peine plus nourrissant.
 
Pendant ce temps là, les Etats-Unis importent — certes à crédit — des cargaisons de bœufs d’Argentine, des volailles par milliers, des fromages par semi-remorques, des fruits exotiques par tombereaux, sans oublier des cartons de compléments vitaminés…
 
Alors en effet, la France aura peut-être une digestion plus légère et quelques pièces jaunes devant elle pour s’acheter encore un quignon de pain, mais lorsqu’il va falloir attaquer les grands travaux de relance, nous savons d’avance qui sera le moins efficace et qui aura le premier l’estomac creux (au point de demander de l’aide à qui vous savez… mais oui, à l’Oncle Sam).
 
Et dire que la France se prétend encore le phare de la gastronomie mondiale ! A quand les tickets de rationnement ?

Philippe Béchade,
Paris

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