La Chronique Agora

Existe-t-il un syndrome pré- ou post-olympique ?

▪ « Les indices boursiers européens pâtissent de la tension sur les emprunts grecs et consolident de 1,5%, ce qui est bien naturel après la belle entame de deuxième trimestre que nous avons connu à la veille puis au lendemain du week-end de Pâques ».

Voilà le genre de commentaire le plus fréquemment rencontré jeudi, alors que le degré général d’optimisme continue de culminer au-delà de ses records de l’été ou de l’automne 2007. Et puisque nous évoquons les sommets d’euphorie de l’année 2007, nous sommes frappé de constater que le même genre d’aveuglement règne de nouveau sans partage depuis fin 2009.

Nous observons pourtant les mêmes signaux d’alarme que ceux apparus trois ans auparavant. Ils nous hurlent que les bulles de dettes sont de nouveau prêtes à éclater : quasi-faillite de Dubaï, non-remboursement des créanciers de l’Islande, crise grecque, menace de dégradation en cascade de la notation des PIGS…

Comment ne pas établir un parallèle avec la faillite de New Century Financial en Californie (février 2007), NetBank en Georgie et Miami Valley Bank (en octobre 2007)… et surtout de Northern Rock en Angleterre (septembre 2007) ?

Les investisseurs avaient occulté jusqu’à la dernière extrémité l’explosion du Tchernobyl financier des dérivés de crédit toxiques. Pourtant, les mesures de la radioactivité ambiante atteignaient déjà des scores catastrophiques dès mars 2007.

Croyez-vous que les marchés avaient anticipé quoi que ce soit de fâcheux à la mi-octobre 2007 ? Croyez-vous que toute l’information était synthétisée dans les cours ? Croyez-vous que Wall Street — qui s’en remettait intégralement à l’outil informatique pour valoriser les actifs et gérer le risque en temps réel — était irrationnel au sens où nous l’entendions en 1929 ou en l’an 2000 avec la bulle des dot.com ?

▪ La dure réalité, c’est que les marchés n’anticipent plus rien et n’entendent plus rien… sinon un simple bruit de fond très assourdi émis par la sphère de l’économie réelle. Ils n’ont plus d’opinion, à part celle consistant à pronostiquer la perpétuation de la tendance qu’ils observent à l’instant T : haussière, baissière ou neutre.

Ils sont toujours d’accord pour approuver sans réserve une politique d’argent gratuit, c’est-à-dire la mise à disposition d’une bonbonne d’hélium permettant de gonfler les bulles les unes derrière les autres. Ils ont la déflation ou la stagflation en horreur.

Les marchés qui s’interdisent de questionner le réel — source d’une perturbante subjectivité humaine — au nom de la rationalité et de « l’efficience » ont totalement renoncé à leur vocation première : celle qui consiste à déterminer la plus juste valeur pour un actif… par opposition à la mode hégémonique du calcul probabiliste d’un écart de cours d’ici neuf millisecondes, trois centièmes de secondes, cinq minutes, un quart d’heure, une demi-heure, etc.

Avec un horizon technique qui ne va guère au-delà de quatre heures (un des paramétrages informatiques qui donne actuellement les meilleurs résultats avec l’unité de temps « trois minutes »), comment voulez-vous que les marchés reflètent un rapport de force cohérent entre l’offre et la demande ?

Le cours (ne parlons même plus de prix d’équilibre) n’est plus le reflet d’aucun raisonnement humain. Il n’est plus que le produit absurde et anachronique de la bataille que se livrent de puissants logiciels qui ne gèrent plus les aléas du réel mais seulement ceux du temps réel. La logique qui règne est celle du chaos ordonné et des mouvements browniens.

L’écho des difficultés rencontrées par la Grèce parvient, mais très fortement assourdi, sur les rivages de Manhattan. Il ne franchit même pas le rempart formé par les gratte-ciel qui entourent l’immeuble abritant le New York Stock Exchange.

▪ A la mi-séance, Wall Street affichait un gain de 0,3%, effaçant la moitié des pertes subies la veille. Le petit épisode de consolidation technique (-0,5%) survenu à l’ouverture a donc été considéré comme une opportunité d’achat… Cela ne manquait pas de nous surprendre quelques heures seulement après la publication de mauvais chiffres hebdomadaires concernant le chômage aux Etats-Unis : +18 000 demandeurs d’indemnités, ce qui porte le total à 460 000.

Manifestement, la forte progression du titre Amazon (+4,5% grâce aux ventes de tablettes multimédia Kindle) est le genre d’événement qui contrebalance les difficultés de refinancement du Trésor grec et l’effondrement des emprunts qu’il a émis ces dernières années.

Le rendement du T-Bond à 10 ans se négociait jeudi soir à 7,35%, plus de 430 points de base au-dessus de la référence que constituent les Bunds allemands.

J.C. Trichet juge la situation « sérieuse » et y consacre « toute son attention »… mais il reste confiant dans l’effet bénéfique des engagements pris par Athènes pour réduire ses déficits. Le patron de la BCE aurait rassuré Wall Street (mais pas les Européens) en affirmant qu’aucun défaut de paiement n’est à redouter — sous-entendu dans l’immédiat. Cependant, les économistes s’inquiètent du fardeau que ferait peser à terme une dette de 30 milliards d’euros coûtant 5% — ou plus — après l’appel au marché des deux prochains mois.

▪ Il nous paraît important de souligner que les banques grecques cotées à Athènes plongeaient de 7% ce jeudi. Une rumeur insistante évoque un besoin de financement de 17 milliards d’euros pour cause de manque criant de fonds propres : cela ne vous rappelle rien ?

Notons que la Bundesbank, dont certains commentaires ont été repris par un quotidien économique allemand, reconnaît ouvertement ne pas être « convaincue » par le plan de sauvetage annoncé fin mars et incluant le FMI, n’y ayant pas officiellement apporté son aval.

Les marchés ont accueilli sans émotion la décision des principales banques centrales européennes (Bank of England et BCE) de laisser leurs taux inchangés à 0,5% et 1% respectivement. L’euro, qui avait fléchi en matinée jusque sur les 1,33 face au dollar, se redressait ensuite vers 1,334 $.

▪ Ce petit rebond technique, ainsi que la fermeté inattendue de Wall Street ont permis au CAC 40 de préserver le seuil des 3 960 points sans trop s’employer. Le repli de 1,2% à 3 978 points n’est pas jugé très inquiétant : le volume du jour (3,3 milliards d’euros) est à peine supérieur aux 3,22 milliards négociés la veille. Il n’y a pas de véritable pression baissière, même si 39 titres sur 40 ont terminé dans le rouge. Même constat pour l’Eurotop 100 qui reculait de 1% avec 95% de titres en repli — mais sans que l’activité progresse de façon perceptible par rapport aux séances de mardi et mercredi.

La Grèce ne s’est toujours pas remise financièrement de l’organisation des Jeux olympiques de 2004. De son côté, la Chine a vu toutes les formes de bulles d’actifs exploser en 2008 après les J.O. de Pékin. Dans de telles conditions, on peut s’interroger sur l’existence d’un syndrome pré- ou post-olympique qui rendrait la situation économique des pays organisateurs explosive.

Vous conviendrez que si cela se vérifiait avec la Chine cette année, Londres qui organise les Jeux de 2012 peut légitimement commencer à trembler !

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile