Les crises économiques se transforment souvent en crises politiques. Avec un peu de chance, les gens ne perdent que de l’argent, leur emploi, et les entreprises et les investisseurs font faillite… rien de plus.
Lugubre. Défaitiste. Tellement critique que même notre ordinateur s’est mis à déprimer, et a cessé de fonctionner.
Au cours de la semaine dernière, nous avons vu…
… que les deux principales choses qui détruisent une grande nation sont la guerre et la dette ;
… que les Etats-Unis ne reculent devant aucune d’entre elles :
… que la dette américaine s’approche du seuil fatidique de 130% du PIB ;
… que nous utilisons tous la même carte de crédit pour les dépenses publiques et que nous renvoyons la dette à quelqu’un d’autre, à un autre moment, pour qu’elle soit remboursée d’une manière ou d’une autre ;
… et que, dans une démocratie moderne, les décideurs sont en concurrence pour accéder au pouvoir et à l’argent – aucun d’entre eux n’a intérêt à stopper le processus de la dette.
Inversion de la tendance primaire
Replaçons ces idées dans leur contexte.
Le marché obligataire a atteint son point culminant (avec des rendements historiquement bas) en juillet 2020. Le marché boursier a atteint son point culminant à la fin de l’année 2021. Cela nous a semblé être une inversion de la tendance primaire, rien ne s’est produit depuis pour suggérer le contraire. Il est très probable que les prix réels des actions et des obligations (avec des taux d’intérêt plus élevés) resteront généralement bas, pendant de nombreuses années.
Nous avons atteint des sommets. Nous attendons maintenant le creux de la vague. Nous sommes en mode « sécurité maximale ». Nous repasserons en « mode croissance » et vendrons de l’or lorsque les cours des actions auront tellement baissé qu’il sera possible d’acheter l’ensemble des actions de l’indice Dow Jones pour cinq pièces d’une once d’or.
Il est fort probable que le gouvernement américain doive, lui aussi, toucher le fond. Il devra se retrouver au milieu d’une véritable crise de la dette avant de pouvoir en sortir. Il pourra alors revenir à des politiques financières durables. Hélas, ce revirement n’est pas prêt d’arriver.
Mais attendez. L’histoire ne s’arrête jamais là. Javier Milei n’est-il pas en train de redresser l’Argentine ? RFK Jr. ne laisse-t-il pas entendre qu’il fera de même aux Etats-Unis ? La Jamaïque n’a-t-elle pas réussi à se sortir d’une crise de la dette, et la Grèce aussi ?
Oui, oui, oui, et peut-être.
Un trou à rats
Il y a quelques années à peine, la Jamaïque était au bord de l’effondrement financier. Elle avait trop dépensé et trop emprunté. Les prêteurs refusaient d’accorder davantage de crédit. L’inflation était galopante. La monnaie perdait de sa valeur.
Mais plutôt que d’aller au bout de la crise, la Jamaïque s’est ressaisie et s’est mise au travail. Quelques études universitaires, rapportées par le Financial Times, nous expliquent ce qui s’est passé :
« La Jamaïque a réduit de moitié son ratio dette publique/PIB, qui était de 144% entre 2012 et 2023… [Elle] y est parvenue grâce à des excédents primaires soutenus (excédent des recettes sur les dépenses, à l’exclusion des paiements d’intérêts) dépassant 7% du PIB pendant sept années consécutives. »
A titre de comparaison, les Etats-Unis affichent actuellement un déficit budgétaire d’environ 6% du PIB.
Les auteurs de cette étude universitaire, des professeurs de Stanford et de Berkeley ainsi que Serkan Arslanalp du FMI, ont conclu que c’est une « tradition durement acquise de recherche de consensus » qui a fait le travail pour la Jamaïque. D’une manière ou d’une autre, le gouvernement a réussi à obtenir l’accord de presque tout le monde, alors qu’il resserrait de plus en plus la ceinture budgétaire.
La Grèce est un autre exemple que nous pouvons citer. Nous avons fait un voyage à Athènes en 2015, nous voulions voir à quoi ressemblait un effondrement financier de près. Les finances publiques de la Grèce étaient absurdement mal gérées et notoirement corrompues. Le gouvernement avait été en « défaut de paiement quasi continu » pendant tout le XIXe siècle et une grande partie du XXe siècle. Il dépensait de l’argent qu’il n’avait pas et mentait ensuite sur les chiffres pour qu’on ne puisse pas savoir ce qui se passait réellement. En 2008, par exemple, ses dépenses militaires étaient deux fois supérieures à la moyenne de l’UE.
Les Allemands contre les Grecs
Mais en 2009, le pays a atteint le seuil critique, avec une dette supérieure à 130% du PIB.
Dans des circonstances normales, les gens ne lui auraient peut-être pas accordé autant de crédit. Mais Goldman Sachs l’avait aidée à dissimuler sa véritable situation financière afin qu’elle puisse adhérer à l’Union européenne. En tant que membre de l’UE, elle pouvait emprunter dans une monnaie stable – l’euro – et semblait bénéficier du soutien de l’Allemagne et de la France.
Puis, lorsque les problèmes ont commencé, les Allemands ont protesté. Ils ne voulaient pas renflouer les Grecs, paresseux et prodigues. Les Grecs ont donc fait ce qu’ils ont toujours fait : ils sont devenus le premier pays développé à ne pas rembourser un prêt du FMI. Il y a eu des émeutes, des fermetures de banques, le chaos et la tourmente.
Les dépenses ont été réduites. Des renflouements ont été négociés. D’autres crises ont émergé. D’autres négociations ont eu lieu. A un moment donné, en 2012, une obligation grecque à 20 ans ne valait presque plus rien, avec un rendement atteignant près de 140%.
La Grèce était un « cas désespéré ». Mais la vie continuait. Les distributeurs automatiques de billets ne fonctionnaient pas. Mais les restaurants étaient ouverts. Les touristes avaient disparu… il n’y avait donc aucun problème pour trouver une table pour manger. Le chômage a augmenté, mais de nombreux Grecs étaient habitués à ne pas travailler.
En 2011, la Grèce était en dépression, avec un PIB en baisse de 7%. Plus de 100 000 entreprises ont fait faillite et le taux de chômage a atteint 23%. Le ratio dette/PIB a atteint 177% en 2014. En 2016, la Grèce semblait toucher le fond : un Grec sur trois vivrait dans la pauvreté.
Des chars dans les rues
Mais la situation peut empirer. Les crises économiques se transforment souvent en crises politiques. Avec un peu de chance, les gens ne perdent que de l’argent et leur emploi ; les entreprises et les investisseurs font faillite… rien de plus. Si l’on n’a pas de chance, on entend des coups de feu et l’on voit des chars dans les rues.
Jusqu’à présent, la Grèce a eu de la chance. Elle aurait pu quitter l’Europe et dire à la « troïka » – le FMI, la Banque mondiale et l’UE – d’aller se faire voir. Elle aurait pu revenir à sa propre monnaie, la drachme, comme le conseillait Paul Krugman, et se lancer dans une bacchanale d’impression monétaire et d’hyperinflation.
Au lieu de cela, elle a fait preuve de fermeté, réduit ses dépenses et augmenté ses impôts, licencié des « fonctionnaires » mauvais payeurs, et a réussi à dégager un excédent budgétaire d’environ 4 % du PIB.
Son ratio dette/PIB est passé de 180% à 160%. Mais avec l’aide de la troïka, le pays semble tenir bon tout en réduisant sa dette.
Que pouvons-nous apprendre de ces exemples ? Probablement pas grand-chose. Il s’agit de petits pays, où la démocratie semble mieux fonctionner. Et, contrairement aux Etats-Unis, ils n’ont jamais été en mesure d’emprunter des sommes importantes dans une monnaie dont ils contrôlaient la valeur. Ils n’ont donc pas pu « gonfler » leurs dettes.