La réponse européenne sur la taxation des « super-profits » est sans doute motivée par de bons sentiments, mais elle ne fera que nous mener vers encore plus d’intervention étatique.
Le capitalisme n’est plus en odeur de sainteté en Europe. Dire que l’illibéralisme reprend des couleurs serait un euphémisme. Qu’il s’agisse des libertés individuelles, du droit de commercer, ou du respect du marché libre, les deux dernières années nous ont prouvé que l’étatisme est, pour nos décideurs, la solution à tous nos maux.
Il serait hâtif d’y voir un réflexe de repli sur soi uniquement hexagonal. Certes, les Français ont progressivement fait de l’Etat-providence un Etat-nounou dont la dépense publique dépasse désormais les 60% du PIB (contre 50% en Allemagne), et dont les impôts et taxes s’établissent à plus de 45% du PIB. Mais l’Europe suit la même tendance de recours systématique à la protection de l’administration face aux aléas de la vie.
D’une crise à l’autre
La crise sanitaire avait été l’occasion de faire sauter les garde-fous qui séparaient le champ de la responsabilité individuelle de celui de la responsabilité collective. Au nom de la protection de la vie, nous nous sommes plongés avec délectation dans le « quoi qu’il en coûte » sanitaire. Désormais, c’est la crise énergétique qui justifie les mêmes méthodes, mais cette fois-ci avec un contre-sens majeur.
S’il est possible d’échanger du pouvoir d’achat contre de la sécurité sanitaire, il n’est pas possible de d’imprimer de l’énergie, ou de la richesse. Avec le projet de fixation des prix de l’électricité, l’Europe tente une soviétisation du marché de l’énergie qui ne pourra avoir d’effet globalement positif.
Ce que la France a commencé à faire au printemps avec la subvention à fonds perdus du prix du plein d’essence et le bouclier tarifaire sur les tarifs réglementés des prix de l’électricité, l’Europe s’apprête à le faire à grande échelle.
En imposant un plafond de verre aux revenus que les producteurs d’électricité nucléaire, au charbon ou renouvelables pourront tirer de leurs centrales, l’Europe consacre la notion de « super-profits » agitée par une partie de la classe politique.
Ce faisant, elle détruit un des rares avantages incontestables du capitalisme et du marché libre : celui de réguler l’offre et la demande par le signal prix.
L’effet pervers de la mutualisation
Le mécanisme prévu par la Commission européenne consistera à plafonner les prix de l’électricité à 200 € le MWh. Très supérieur aux 40 €/MWh atteints en moyenne sur le marché spot en 2019, il s’agit d’une fraction des 1 200 €/MWh atteints débuts septembre en France.
Au niveau macro-économique, cela revient à considérer que la différence entre 200 €/MWh et 1 200 €/MWh est un super-profit qui est indu et doit être « rendu » aux citoyens par les producteurs.
Cette vision purement financière de l’activité d’énergéticien est sans nul doute populaire, mais elle oublie plusieurs principes-clés. Le premier est que les prix augmentent par le mécanisme de marché libre, qui confronte l’offre et la demande. C’est la pénurie d’électricité qui fait augmenter les prix à des niveaux jamais-vus jusqu’ici. Modifier artificiellement le prix de l’électricité, qui serait borné à 200 €/MWh, ne changerait pas la quantité d’électrons disponibles sur le réseau.
Le second est que le signal prix est le mécanisme par lequel acheteurs et producteurs peuvent adapter leur comportement à court comme à long terme. C’est le signal prix qui a permis la consécration du marché libre dans la seconde moitié du XXe siècle. La régulation positive qu’il offre a progressivement rendu les économies libres plus efficaces que l’économie administrée de l’URSS.
S’en priver, c’est se créer de nouveaux problèmes à moyen terme.
Nationalisations et plafonds de prix
Le contre-sens de la Commission européenne part d’un bon sentiment : celui de rendre du pouvoir d’achat aux consommateurs, qu’il s’agisse de particuliers ou d’entreprises.
De fait, la France n’a pas été la seule à subventionner massivement la consommation d’électricité depuis le printemps.
Après avoir profité de 9 Mds€ de fonds publics cet été, l’énergéticien allemand Uniper a dû de nouveau solliciter une ligne de crédit de 4 Mds€ début septembre, avant que le gouvernement allemand annonce une nationalisation pour un coût estimé à près de 30 Mds€. En parallèle, ce même gouvernement a débloqué pas moins de 7 Mds€ pour financer les entreprises grandes consommatrices d’énergie dans le pays.
Son voisin autrichien a débloqué 2 Mds€ pour l’électricien national, et prévoit d’ores et déjà que la facture triplera à court terme jusqu’à atteindre les 6 Md€.
Même son de cloche en Suisse, où le Conseil fédéral prévoit l’équivalent de 10 Mds€ de soutien. Les pays nordiques, si bien dotés qu’ils soient en termes de ressources énergétiques, ne sont pas épargnés par la gabegie : la Finlande a engagé 10 Md€ pour soutenir le secteur tandis que Stockholm a annoncé la création d’un fonds doté d’environ 23 Mds€.
Mais tous ces milliards ne changeront rien à la situation. Qu’ils soutiennent des producteurs étranglés entre coûts des matières premières en hausse et prix de marché bas, ou des consommateurs qui ne pourraient pas se payer les MWh au prix de marché, ils n’augmenteront pas d’un iota la quantité d’énergie disponible.
Tout au plus jettent-ils, à court terme, notre économie dans les griffes du mécanisme de régulation de la dernière chance : la pénurie. Lorsqu’il n’y a pas assez de biens ou de services pour satisfaire la demande alors que chacun aurait, monétairement parlant, de quoi se les offrir, c’est l’offre qui s’évapore.
Le mécanisme de plafonnement du prix de l’électricité, s’il était effectivement mis en place, augmenterait de façon contre-intuitive le risque de pénurie cet hiver. Et, à plus long terme, il risquerait d’aggraver le manque d’énergie.
Le signal prix : une régulation vertueuse qui disparaîtra
Si douloureuse qu’elle soit, la libre fixation du prix de l’énergie par la loi de l’offre et de la demande rend notre économie plus résiliente.
Avec un prix du MWh électrique passé de 500 € à 1 000 €, avant d’atteindre brièvement les 1 200 €, de nombreux consommateurs ont déjà baissé les bras. Ce mécanisme d’effacement de la demande, notamment de la part des producteurs d’ammoniac ou d’aluminium, a fait retomber le prix du MWh sous la barre des 800 €.
Des prix importants de l’énergie incitent les producteurs à faire feu de tout bois pour répondre à la demande. Des projets à perte à 50 €/MWh peuvent devenir extrêmement rentables à 1 000 €/MWh. In fine, c’est la quantité totale d’énergie disponible qui augmente.
Même au niveau de la demande, la douleur causée par la hausse des prix n’est que temporaire. Lorsque des usines d’engrais ou d’aluminium débrayent, la production totale diminue. Le prix de ces denrées augmente par la suite, jusqu’à ce que leur coût de vente redevienne supérieur au coût de production.
Bien sûr, ce mécanisme est inflationniste (toute pénurie l’est), mais il a le mérite de faire le tri entre les activités vitales et celles qui ne le sont pas. Ne vous y trompez pas : produire de l’aluminium ou des engrais est bien différent de chauffer des jacuzzis ou des terrasses de café. Le marché sait très bien faire la différence, et le signal prix permet de faire disparaître naturellement les activités qui relèvent du gaspillage énergétique. L’effacement de la « mauvaise demande » permet à la « bonne demande » de rebondir.
Cependant, avec un prix de l’énergie maintenu artificiellement bas, ce ménage économique n’a pas lieu. A 200 €/MWh, bien des activités inutiles conserveront un coût acceptable… et resteront en concurrence avec les productions vitales.
Le report de la consommation d’énergie des activités annexes vers les activités essentielles n’ayant plus lieu par les effets de marché, il ne pourra avoir lieu que par une couche supplémentaire de dirigisme étatique – encore lui – lorsqu’il faudra rationner la consommation des différents agents économiques.
Encore une situation qu’une once de libéralisme assumé aurait pu éviter.