La Chronique Agora

L’euro, une fausse bonne idée (1/2)

Les déséquilibres nord-sud s’accentuent, tandis que les foyers de crises politiques ou économiques se multiplient dans toute l’Europe : l’euro pourra-t-il s’en sortir ?

L’euro, comme chacun sait, nous a apporté bonheur, prospérité, et nous a permis de mieux nous sortir de la crise de 2008… Quant à l’Union européenne (UE), c’est bien connu, elle réinvente sans cesse les notions de démocratie et de souveraineté, de vivre ensemble, de liberté – jusqu’à celle de penser.

Comme tous les vices de construction et les grandes escroqueries, ils ne se révèlent que lorsque l’environnement se corse. Dans le cas de l’euro comme dans celui de Bernard Madoff, les vices apparaissent au grand jour en 2008 avec la crise économique et boursière, soit, pour l’euro, sept ans après sa mise en circulation.

Entre 2008 et 2012, c’est la dégringolade de l’Espagne, de Chypre, de la Grèce, du Portugal. La troïka débarque, met ces pays sous tutelle, les étrangle économiquement sans rien régler.

Au passage, on peut même, quand on a de l’argent comme l’Allemagne, profiter de « soldes » sur des aéroports ou des îles.

L’Allemagne sort gagnante

Sur les deux graphiques qui suivent, que ce soit en matière de production industrielle ou en matière de dette, il est évident que l’Allemagne a été la grande gagnante – et les pays du sud, dont la France, les grands perdants de cette histoire.

En 2018, les exportations allemandes ont encore battu un record à 1 318 Mds€ (+3% par rapport à l’année précédente) ; l’excédent commercial, même s’il s’est un peu tassé, reste tout de même à 228 Mds€. Les exportations vers l’Europe sont de 778,7 Mds€, en hausse de 3,8% par rapport à l’année précédente.

Dans le même temps, la France a affiché une belle croissance de 3,6%… de son déficit, à 59,9 Mds€ contre 57,8 Mds€ l’année précédente. L’Italie, pays dont M. Macron et ses équipes ont insulté les dirigeants à peine ont-ils été élus, dégage, quant à elle, un excédent commercial de 39 Mds€.

Si l’euro était une course de chevaux, ce serait une course à handicap. Dans ces courses, le handicap se fait au poids. Il est établi par le handicapeur de l’hippodrome pour chaque course.

Celui-ci prend en compte les résultats passés des chevaux, l’expérience de leur jockey, leur âge, leur sexe. L’ajout de poids (entre 50 et 62 kg) laisse une grande marge de manœuvre, si bien que le handicap se fait au bon-vouloir de le handicapeur.

Maintenant, imaginez que vous aligniez, dans une course, des mules et un cheval de course ; et que vous rajoutiez, non pas au cheval de course mais aux mules 62 kg en plus de jockeys en surcharge pondérale.

Le départ est donné. Le Léon Zitrone actuel, pendant que l’étalon de haute lignée avec un poids plume sur le dos caracole 800 m devant les mules, s’interroge : « Mais pourquoi les mules ont-elles du mal à suivre ? » Pendant la course, deux mules meurent.

Au cours de la célèbre émission qui suit, « On refait les courses », dans laquelle ont été convoqués les meilleurs experts de plateaux télés, ces derniers nous expliquent qu’il faut plus de ces courses, qu’il ne faut surtout pas changer les règles et qu’il faut à tout prix que les mules continuent de courir dans les mêmes conditions, même si elles doivent en mourir.

C’est à cela que ressemble l’euro. Or, une monnaie doit être adaptée à son pays et non à un ensemble aussi hétérogène qu’un cheval de course et une mule.

L’euro est déjà mort

Le déséquilibre est flagrant sur le graphique suivant qui montre les soldes Target 2.

Target 2 est un simple système de paiement pour les transactions transfrontalières dans la Zone euro. Son utilisation est obligatoire pour le règlement de toute transaction en euro impliquant la Banque centrale européenne et les banques centrales nationales des Etats membres de la Zone euro.

On peut constater que depuis la crise de 2008, les paiements entre elles ne sont plus compensés et que les déséquilibres entre les économies se creusent.

La Zone euro ne constitue pas une zone monétaire optimale. L’absence de transferts entre les pays de la zone conduit à une accumulation des excédents et des déficits commerciaux qui ne peuvent être corrigés par les taux de change.

Pour que ce système perdure, il faudrait que les pays excédentaires transfèrent leurs excédents vers les pays déficitaires, autrement dit que l’Allemagne donne annuellement 10% à 12% de son PIB, principalement à l’Italie et à l’Espagne. Bien évidemment, aucun pays ne peut se permettre cela, l’euro est donc mort.

Fin 2018, l’Italie et l’Espagne devaient respectivement environ 500 Mds€ et 400 Mds€ qu’elles ne pourront jamais payer et l’Allemagne avait plus de 900 Mds€ qu’elle ne pourra jamais récupérer.

Les déséquilibres que l’on constate sur le graphique ci-dessous ne vous indiquent pas quand le système va sauter, mais que lorsqu’il sautera, la déflagration sera terrible. Surtout, on comprend que ce seront les Allemands qui en pâtiront le plus.

Si l’Italie, troisième économie de la zone, sortait de l’euro et retrouvait sa monnaie, cette dernière baisserait par rapport à l’euro rendant de fait les produits italiens plus compétitifs.

La France, concurrente directe de l’Italie, sortirait donc à son tour et ce serait la fin de la monnaie unique. Voici qui explique le comportement plein de hargne de Manu et de sa bande dès les résultats des élections italiennes connus. Force est de constater que les soutiens à l’euro ont tendance à diminuer.

Un pays = une monnaie

Le fait de récupérer sa monnaie est un préalable et non une finalité. Personne n’a la moindre idée des effets non pas d’une déconstruction ordonnée, mais d’un éclatement qui risque d’entraîner une dépression sans précédent.

Surtout si ceux qui seront en charge à ce moment-là ont le niveau de nos dirigeants actuels. Par gros temps, il vaut mieux un solide marin pour tenir la barre qu’un gamin qui n’a pour expérience de la navigation que les barques du bois de Boulogne.

Jamais nous n’avons été aussi près du dénouement. Le Brexit, l’Italie, les dernières élections européennes, le mouvement des gilets jaunes, la récession économique globale et toujours cette incapacité de nos dirigeants à anticiper et à corriger la trajectoire nous mènent, inexorablement, vers une « révision brutale de nos modèles ».

Si nous n’en profitons pas pour changer de modèle économique et de mode de gouvernance, récupérer notre souveraineté monétaire ne changera pas grand-chose. Les personnes qui seront en charge iront vers le plus facile, à savoir maintenir la dette parce que cela repousse le problème à plus tard, la distribution de cadeaux à ceux qui peuvent servir et à soi-même parce qu’ils le valent bien, l’hyperconsommation, l’épuisement des ressources naturelles et la destruction de la Terre.

Parce que… c’est fatigant de réfléchir à créer un autre modèle – et s’ils avaient des capacités de réflexion, ils auraient fait autre chose que de la politique.

A suivre

L’euro, une fausse bonne idée (2/2)

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