Qu’ils essayent de limiter les hausses de prix ou d’aider un acteur en difficulté, ils en reviennent toujours à la même conséquence : encore plus d’inflation.
Dans sa dernière note de conjoncture, l’Insee a revu à la hausse les perspectives d’inflation hexagonale. D’ici l’été, la hausse des prix devrait s’établir à 5,4% en rythme annuel, contre 5% attendus précédemment.
Cette révision est attribuée à une augmentation galopante des prix de l’alimentation, qui sont « devenus depuis six mois le premier contributeur à l’inflation », selon l’institut. L’augmentation devrait encore accélérer dans les prochaines semaines au vu des négociations tarifaires entre producteurs et distributeurs. Pour les consommateurs, le prix des denrées alimentaires devrait croître de 15,4% cet été.
L’Insee en a profité pour retravailler le chiffre de l’inflation du mois de février, qui s’établit désormais officiellement à 6,3% en rythme annuel. Ne pouvant rester sans réponse face à la problématique de perte de pouvoir d’achat, les pouvoirs publics regorgent d’inventivité pour tenter de juguler le phénomène.
De Paris à Washington, en passant Budapest, les gouvernements multiplient les mécanismes censés stabiliser les prix. Mais en pratique, les mesures prises sont totalement inefficaces pour enrayer la baisse généralisée de valeur de la monnaie. Et avec les nouvelles tensions sur le secteur bancaire, nous assistons même au grand retour des politiques ouvertement inflationnistes.
L’échec du contrôle des prix
A chaque pays ses habitudes, et ses réflexes en cas de crise.
La France, face à la hausse des prix de l’énergie en 2022, a opté pour une collectivisation et un décalage dans le temps de la facture énergétique. Le bouclier tarifaire tant vanté par Bercy revenait, en termes macro-économiques, à mutualiser les dépenses énergétiques des ménages et des entreprises de 2022 et à les faire payer par les générations futures – toute dépense de l’Etat financée par la dette n’étant qu’un impôt décalé.
Face à la hausse des prix de l’alimentation, la Hongrie a suivi une stratégie différente qui mérite d’être étudiée pour ne pas être reproduite. Pour protéger le pouvoir d’achat des ménages, Budapest a décrété en janvier 2022 un gel du prix des denrées de base comme le sucre, les œufs, l’huile ou le lait. Ce sont en tout une dizaine d’aliments qui ont vu leur tarif bloqué au niveau constaté en octobre 2021.
Un an plus tard, la mesure n’a pas empêché l’emballement de l’inflation alimentaire dans le pays. Celle-ci a dépassé les 25% (en rythme annuel) en début d’année 2023 – le plus haut niveau constaté en Europe.
Certes, les distributeurs ont joué le jeu et ces produits-phare ont effectivement vu leur prix gelé. Mais, contraints de les distribuer à marge nulle voire négative, les professionnels ont dû augmenter d’autant le prix des autres denrées dont le prix était libre. Selon les analystes de Coface, certains des prix non administrés ont bondi de 50% en quelques jours.
Le panier moyen ayant tout de même augmenté, la mesure a globalement échoué à maintenir le pouvoir d’achat des ménages. En outre, elle a eu pour effet pervers de créer des distorsions qui ont conduit à des pénuries. Les clients se sont immédiatement rués sur les produits à prix bloqué, ce qui les a fait disparaître des étalages. Le fardeau de l’inflation s’est ainsi concentré sur les consommateurs malchanceux, contraints d’acheter des produits équivalents à prix libre.
Comme souvent en politique, l’inefficacité de la mesure a été accueillie par un diagnostic à contre-sens. Constatant que le premier blocage des prix était inefficace, le gouvernement a décidé… de bloquer encore plus de prix. Gel du taux des emprunts immobiliers, des emprunts étudiants, de la dette des PME : ces mesures inflationnistes sont venues contrecarrer les efforts de la banque centrale qui avait pourtant augmenté ses taux directeurs à plus de 18%.
De nouvelles mesures inflationnistes
Nous devons peut-être à l’expérience hongroise l’abandon du projet de « panier anti-inflation » un temps évoqué en France. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la mesure aurait simplement été un transfert de dépenses entre consommateurs qui aurait, en sus, favorisé les pénuries les produits concernés.
Mais ne pensez pas pour autant que les politiques interventionnistes et inflationnistes soient l’apanage des anciennes républiques de l’Union soviétique.
Coup sur coup, nous venons d’assister à un virage à 180 degrés des politiques monétaires de deux pays réputés libéraux.
Aux Etats-Unis, tout d’abord, le sauvetage des dépôts de la Silicon Valley Bank est, en pratique, un nouveau quantitative easing. Si la question de la protection des déposants est légitime, la méthode choisie par Washington pour éviter l’effondrement de la banque revient à neutraliser les effets de la hausse des taux.
Vous le savez, la faillite de la SVB n’est imputable ni à des malversations, ni à des opérations de trading qui se seraient mal passées, mais à un simple bank run qui a obligé la banque à liquider des placements en bons du Trésor qui étaient en moins-values latentes.
Oncle Sam a décidé de s’interposer entre les actifs de la banque et le marché en assurant leur liquidité à valeur bonifiée. En pratique, cela revient à dire que la banque a le beurre (des obligations d’Etat dont les taux ont augmenté, et dont la valeur de marché a donc baissé) et l’argent du beurre (pas de risque de perte, même en cas de cession avant échéance).
Or, la baisse du prix des actifs de la banque était due à la hausse des taux d’intérêts décidée par la Fed ces derniers mois. La neutraliser revient à injecter de l’argent supplémentaire dans le circuit en simulant une baisse des taux sur les marchés, soit exactement la politique inflationniste suivie depuis 2008.
La Suisse adopte la « monnaie hélicoptère »
Même la Suisse, réputée plus pragmatique que Bruxelles lorsqu’il s’agit de piloter la valeur de sa monnaie, détricote avec des mesures d’urgence la politique de sa banque centrale. Tandis que la BNS a fait passer en un an son taux directeur de -0,75% à 1%, une enveloppe d’urgence de 50 milliards de francs suisses a été offerte à Crédit Suisse après que son principal actionnaire, la Saudi National Bank, eut refusé d’injecter de nouvelles liquidités pour la recapitaliser.
Si la somme peut paraître dérisoire au vu des montants en jeu dans l’affaire SVB, il faut se souvenir que le dernier sauvetage de Crédit Suisse, en fin d’année dernière, n’avait mis en jeu que 2 milliards de francs suisses. Les 50 milliards offerts par les autorités monétaires représentent ainsi vingt-cinq fois le dernier tour de table, et plus de sept fois la capitalisation boursière de la banque au moment de l’annonce. C’est aussi 7% du PIB de la confédération.
A titre de comparaison, la décision de la BNS reviendrait à l’ouverture d’une ligne de crédit, du jour au lendemain, de 490 milliards d’euros en faveur de BNP Paribas.
Au final, le montant total des liquidités dédiées au sauvetage de Credit Suisse a été doublé ce week-end, à 100 milliards de francs suisses. Cela représente donc 33 fois plus que ce qu’aura payé UBS pour racheter son concurrent au bord de la faillite, et près de 15% du PIB helvétique.
Nous avons inauguré les sauvetages de cette ampleur avec la crise des subprimes, et les avons retrouvés à l’occasion des « quoi qu’il en coûte » sanitaires. Progressivement, nous nous sommes habitués à accepter des aides étatiques dont les montants auraient été inconcevables dans le cadre des politiques monétaires classiques.
Bulle de tout, inflation : leurs effets sont bien connus. Soyez vigilants en cas de retour de cette impression monétaire qui ne dit pas son nom en zone euro. Elle viendrait inéluctablement déclencher un second tour d’inflation qui ne fera que s’ajouter à la vague que nous subissons actuellement – et ces 12 derniers mois nous ont prouvé que les Etats s’avèrent incapables de mener une politique déflationniste dans le contexte actuel.