Le risque d’un défaut sur la dette d’un pays développé n’est jamais nul. Pour le déterminer, il faut se tourner vers les textes de loi, et vers les programmes des partis politiques.
Selon l’inconscient collectif, un Etat ne peut pas faire faillite. Comme nous l’avons vu hier, cela n’est pas tout à fait vrai. Il existe toujours une possibilité, à cause de trois types de risques : le risque fondamental (dont nous avons parlé hier), le risque institutionnel et le risque socio-politique.
Passons aujourd’hui au risque institutionnel – et plus précisément au risque juridique.
En effet, les investisseurs ne sont pas toujours au fait des risques juridiques potentiels qui pèsent, par exemple, sur les emprunts d’Etats de la Zone euro.
Le point 3 de l’article 12 instituant le Mécanisme européen de stabilité (MES) prévoit que « des clauses d’action collective figureront dans tous les nouveaux titres d’Etat de la Zone euro d’une maturité supérieure à un an émis à compter du 1er janvier 2013, de manière à leur assurer un effet juridique identique ».
Voici ce qui est écrit sur ce sujet à l’exposé des motifs de l’article 43 du projet de loi de finances pour 2013, adopté le 29 décembre 2012 :
« Le présent projet d’article vise à insérer dans les futurs contrats d’émission de titres d’Etat des clauses dites d’action collective qui autorisent l’Etat à en modifier les termes, à condition de disposer de l’accord d’une majorité de créanciers, sans que leur unanimité ne soit requise.
L’insertion de ce type de clauses dans les contrats d’émission de titres d’Etat d’une maturité supérieure à un an est imposée par l’article 12 du traité instituant le mécanisme européen de stabilité, signé le 2 février 2012 par les dix-sept Etats de la zone euro et dont la loi n° 2012-324 du 7 mars 2012 a autorisé la ratification le 20 mars 2012.
Ces clauses ont été précisées par les ‘termes de référence’, adoptées fin 2011 par le comité économique et financier, afin d’assurer une mise en œuvre identique dans l’ensemble des Etat membres de la Zone euro. Ainsi, elles s’appliqueront aux contrats d’émission de titres d’Etat ou de leur démembrement, conclus à partir du 1er janvier 2013, dont la maturité est supérieure à un an. Les emprunts à très court terme ne sont pas concernés.
L’objet de ces clauses est de faciliter la restructuration de la dette d’un Etat de la Zone euro dans l’éventualité où il se révèlerait dans l’incapacité d’honorer les engagements financiers pris vis-à-vis des détenteurs obligataires selon le calendrier et les modalités initialement fixées. Par solidarité entre les Etats membres de la Zone euro, l’ensemble de ces Etats s’est engagé à introduire de telles clauses. Compte tenu des excellentes conditions de financement dont bénéficie actuellement la France, leur activation au niveau national est très peu probable.
Concrètement, l’Etat est ainsi autorisé, s’il obtient l’accord d’une majorité de créanciers, à modifier les conditions de remboursement de l’ensemble des titres concernés par le contrat d’émission. Cet accord des créanciers résulte d’un vote à la majorité, dont le quorum et le seuil requis dépendent de l’importance de la modification proposée. La détermination des modalités d’exercice de ce vote et des quorum et seuil de majorité est renvoyée à un décret. L’Etat ainsi que les organismes publics qu’il contrôle et qui ne disposent pas d’autonomie de décision sont exclus de ce vote. Il convient d’éviter que le poids prépondérant de ces autorités n’emporte, à lui seul, le sens du vote. Les titres détenus par l’Etat ou ces organismes ne sont, par conséquent, pas pris en compte dans le calcul du quorum et de la majorité.
La modification proposée par l’Etat et approuvée par une majorité de créanciers s’applique à l’ensemble des titres concernés par le contrat d’émission, y compris à ceux détenus par les créanciers minoritaires l’ayant refusée. »
Ces clauses d’action collectives (CAC) signifient explicitement que des restructurations de dettes souveraines de la Zone euro ne peuvent être exclues. Encore une fois, ce risque a été minimisé – à raison – depuis sept ans, grâce aux programmes de rachats de dettes publiques par la BCE.
Un risque politique : l’arrivée au pouvoir des partisans de la dette illégitime
Ce type de courant est répandu au sein des partis extrêmes. En Grèce, par exemple, il s’agit pour leurs partisans de mettre en avant l’illégitimité et l’illégalité de certaines dettes publiques accumulées. Ils s’appuient pour cela sur l’audit réalisé par des experts internationaux en 2012, qui avait conclu que « la Grèce ne devrait pas payer cette dette illégale, illégitime et odieuse ».
Ce rapport, présenté au Parlement grec, avait détaillé la mise en place des deux plans de sauvetage du pays, en 2010 et en 2011-2012. Ils prévoyaient 240 Mds€ de prêts illégitimes en échange de mesures économiques et sociales qui n’ont pas été utilisées au bénéfice de la population, mais pour sauver les créanciers privés de la Grèce. On imagine l’exploitation qui peut être faite partout dans le monde de ce type de démarche.
Il faut aussi classer dans ce courant de la dette illégitime les partisans (qui se font certes moins entendre mais qui existent toujours) d’une sortie d’un pays de la Zone euro, en s’appuyant sur le principe de la lex monetae.
Ce principe stipule que la dette d’un pays est toujours libellée dans la monnaie qui a cours légal dans ce pays. Par conséquent, tout changement de monnaie a pour effet que les dettes sont redénominées dans la nouvelle monnaie. Les porteurs de dette publique auraient alors le choix entre se voir payés en cette nouvelle monnaie nationale (nouveau franc, par exemple) ou ne pas être payés du tout.
Les règles changent en cas de crise
On voit bien que l’assurance-vie en euros (investie pour l’essentiel en titres d’Etat) serait en danger, car les détenteurs étrangers auront déjà fui et que la loi Sapin sera activée pour tenter de limiter la fuite.
L’objet de l’article 49 de cette loi consiste en effet à étendre au secteur de l’assurance les pouvoirs prudentiels du haut conseil de stabilité financière (HCSF), applicables actuellement au seul secteur bancaire. Les prérogatives attribuées au HCSF visent essentiellement à parer aux risques qui résulteraient d’une décollecte massive des fonds placés dans le cadre de contrats d’assurance-vie (essentiellement les fonds en euros).
Ainsi, sur proposition du gouverneur de la banque de France, le HCSF pourrait décider de « moduler les règles de constitution et de reprise de la provision pour participation aux bénéfices pour l’ensemble ou un sous-ensemble de sociétés d’assurance ». En d’autres termes, le HCSF pourrait contraindre des compagnies à réduire les rendements de leurs fonds euros, afin de les mettre en réserve et les reverser plus tard aux assurés.
Beaucoup de lecteurs pourraient sourire en considérant que tout ceci est de la « finance fiction ». Méfions-nous tout de même car, depuis une vingtaine d’années, nombre de réalités ont dépassé la fiction ou les scénarios les plus extrêmes.
L’argument imparable est d’avancer le fait que la BCE en particulier a réduit à néant le risque de défaut d’un Etat de la Zone euro, quand bien même celui-ci serait insolvable. Et de surenchérir en affirmant que la BCE rend impossible toute arrivée au pouvoir de ces partisans de la dette illégitime, ainsi que toute sortie de leur pays de la Zone euro.
Mieux, si ces partis arrivaient au pouvoir dans un pays de la Zone euro, ils feraient vite machine arrière face à un chantage d’une BCE menaçant de faire la grève de la monétisation de la dette publique du pays « rebelle ».
Nous ne partageons pas les raisonnements des partisans de la dette illégitime au sens large, mais nous ne partageons pas non plus la poursuite de l’aléa moral et de la solvabilisation sans condition, par la banque centrale, d’Etats mal gérés et surendettés.
La question qui va se poser est en tout cas la suivante : et si l’on se dirigeait tout simplement vers une annulation des dettes publiques ?
Regardons la situation des dettes publiques de la Zone euro.
Monétisation : quand la dette se transforme en monnaie
On est en train de passer de la non exigibilité de la dette émise par la banque centrale (c’est-à-dire la création de monnaie qui est une dette que toute banque centrale émet sur elle-même, donc non exigible par construction) à la non exigibilité de la dette émise par les Etats.
Cela signifie que l’on s’achemine vers une sorte d’annulation des dettes publiques. Ou, tout du moins, de la partie de plus en plus importante de la dette publique qui est détenue par la banque centrale.
Cette annulation de dette va se faire en deux phases.
La première phase est celle de l’annulation des intérêts payés par l’Etat sur sa dette.
Pour commencer, dans la Zone euro, chaque banque centrale nationale achète, pour le compte de la BCE, la dette publique de son pays. Ainsi, l’Etat débiteur verse les intérêts sur sa dette à la banque centrale. Cependant, en transférant, comme l’exige la loi, ses bénéfices annuels à l’Etat, cela veut tout simplement dire que notre banque centrale reverse les intérêts perçus au budget national.
C’est l’un des plus beaux exemples de consanguinité que nous connaissons en économie : ainsi, la dette publique achetée par les banques centrales nationales, actionnaires de la BCE, est donc en réalité annulée (au niveau des intérêts, mais pas encore du stock).
La seconde phase est celle de l’annulation du le stock de dette (le capital).
D’un point de vue économique et financier, on peut imaginer que toutes les dettes publiques achetées par les banques centrales seront renouvelées lorsqu’elles arriveront à échéance. Cela revient, pour les Etats, à ne jamais rembourser leurs dettes (encore une fois, pour l’instant, nous parlons de la dette détenue par les banques centrales).
Peut-être que ce phénomène sera même transposé d’un point de vue institutionnel et législatif, en transformant en dette perpétuelle à zéro coupon les obligations d’Etat détenues par les banques centrales nationales.
Nous pensons que cette évolution est inévitable et, afin de donner un semblant de sérieux et de rigueur à ce type d’évolution, on rassurera ce qui reste de vertu budgétaire en Zone euro en stipulant que la BCE pourra s’engager à reconvertir la dette perpétuelle, si les Etats en question ne respectaient pas certaines obligations budgétaires. Mais, en pratique, personne n’y croira vraiment…
Nous reviendrons dans un prochain article sur les différentes solutions non conventionnelles qui permettront aux Etats de réduire, restructurer ou détruire leurs dettes publiques. Ou, en d’autres termes de ne pas la rembourser.
La monétisation systématique des dettes publiques décrite ci-dessus fait partie de ces solutions. Nous utilisons le terme « non conventionnel » pour signifier que la réduction de l’endettement public n’est pas possible par des moyens « naturels », que ce soit la hausse des recettes fiscales ou la réduction drastique des dépenses publiques.