Les chiffres se bousculent au portillon et dans tous les sens pour illustrer la gravité de la situation. Le lancement du plan de relance à 100 Mds€ ajoutera à cette confusion. Dans ce fatras arithmétique, un seul chiffre compte – celui du manque à gagner fiscal de l’Etat du fait de la crise : il s’élève à 70 Mds€, soit 15% des recettes prévues.
Le ministre des Comptes publics a discrètement lâché, le 31 août, le chiffre le plus inquiétant dans le maelström économico-financier que nous traversons depuis plusieurs mois : le manque à gagner fiscal, pour l’Etat, dû à la crise du coronavirus s’élève à 70 Mds€ à ce stade, soit plus de trois points de PIB.
Ce montant colossal permet de comprendre comment se pose le problème de la crise pour les fonctionnaires de Bercy.
70 milliards : un chiffre qui peut encore changer
Il faut réécouter les propos d’Olivier Dussopt sur BFM TV pour comprendre les enjeux de ce « trou » dans la raquette : « Le troisième trimestre, qui sera celui de la reprise, sera déterminant et nous aurons l’occasion d’ajuster nos prévisions en fonction des résultats », dit le ministre des Comptes publics.
Cette déclaration mérite d’être lue entre les lignes. Si une reprise vigoureuse intervient au troisième trimestre, le manque à gagner diminuera. Si la reprise est « ordinaire », les 70 Mds€ seront confirmés. En revanche, sans reprise… la perte de recettes fiscales s’accroîtra – et personne ne sait où cette perte peut s’arrêter.
Ajoutons que, depuis plusieurs mois, le gouvernement table sur une reprise en « V », c’est-à-dire une reprise rapide après le déconfinement. C’est sur cette hypothèse que les projets de loi de finances rectificatives se sont succédé depuis le début du confinement.
Nous savons cependant que la reprise en « v » ne se produit pas, comme l’avait prévu l’économiste Nouriel Roubini, qui parlait d’une reprise en « L », c’est-à-dire d’une longue stagnation à bas bruit.
50 milliards de plus que prévu
Dans le désastre budgétaire en cours, ce chiffrage des pertes de recettes fiscales fait très mauvais genre, car il est largement au-dessus des hypothèses formulées jusqu’ici.
Personne ne s’en est aperçu, mais la troisième loi de finances rectificative adoptée en juillet partait sur un scénario beaucoup plus optimiste. La baisse de recettes était alors estimée à un peu moins de 25 milliards.
Les chiffres annoncés un mois plus tard pèsent donc beaucoup plus lourd et indiquent un quasi triplement du « trou » laissé par la crise dans les comptes publics. Par ailleurs, cette estimation n’intègre pas les recettes de la sécurité sociale, dont l’URSSAF n’a pas encore publié les chiffres. C’est à la mi-septembre que l‘on connaîtra l’état de la masse salariale pour le deuxième trimestre, et qu’une première tendance de fond se dégagera sur l’intensité de la tempête qui arrive.
D’ici là, il faut retenir que, pour le seul budget de l’Etat, le déficit s’est creusé, par rapport aux estimations initiales, d’environ 50 Mds€ simplement par diminution des recettes.
Autrement dit, alors que la troisième loi de finances rectificative évaluait le déficit budgétaire à 222 Mds€ (au lieu des 129 Mds€, déjà historiques, prévus en loi de finances initiale, c’est-à-dire avant qu’il ne soit question de coronavirus), il s’élèvera probablement à 270 Mds€, soit deux gros points de PIB de plus.
On peut aussi retenir que si la reprise n’est pas au rendez-vous à partir de septembre, le déficit sera encore plus abyssal.
Un risque de marché pour la dette souveraine
Ce petit rappel explique la fébrilité du gouvernement face à l’atterrissage de fin d’année.
Les initiés de Bercy commencent à comprendre que l’optimisme béat dont ils ont fait preuve vis-à-vis de la situation économique au premier semestre risque de leur jouer un bien mauvais tour. Et ils pressentent le moment où, comme une entreprise qui ne tient pas ses prévisions, ils vont devoir annoncer aux marchés que leur chiffre d’affaires est très inférieur à l’attendu.
Pour la cotation de la dette souveraine française, l’effet pourrait être terrible, et une mauvaise spirale pourrait se mettre en place. La surprise des investisseurs risque d’être redoutable, et rien n’exclut que les taux d’emprunt ne remontent rapidement. On prendra donc bien garde aux effets de retard des annonces qui se préparent.
L’urgence à augmenter les impôts
Surtout, ces mauvais chiffres font peser une grave hypothèque sur la promesse que le gouvernement a faite et répétée de ne pas augmenter les impôts.
Voilà ce qu’on appelle, en droit, un « élément nouveau » de nature à remettre en cause les décisions prises jusqu’ici. Il n’est pas sûr que, face à la montée des risques, le gouvernement puisse longtemps encore tergiverser à la fois sur le niveau de recettes et sur le niveau de dépenses.
Nous réitérons ici notre alerte sur la baisse inévitable des retraites qui se profile.