La Chronique Agora

Etat des lieux, six mois après le coronavirus

Les choses ont beaucoup changé ces derniers mois… et ces dernières décennies : retour en arrière, afin de faire le point.

Nous fouillons nos souvenirs, tentant de nous rappeler ce qu’était la vie avant internet. Avant le Covid-19. Avant Tesla. A l’époque où l’existence était « normale ».

Mais ce genre d’opération, c’est comme ouvrir une boîte de vieilles photos : on ne trouve pas forcément ce qu’on cherchait. A la place, on trouve souvent ce qu’il faut qu’on voie.

Comme nous souffrions, à l’époque, nous les oiseaux de mauvais augure, quand la vie était « normale » ! Le budget US était (temporairement) à l’équilibre. Le pays était en paix. Nous allions au bureau pour travailler… et dans les magasins pour acheter des choses.

Tout était si calme et tolérable ; nous ne tenions le coup qu’en anticipant la tragédie à venir.

Nous n’avons pas été déçu.

Selon nos calculs, le spectacle tape-à-l’œil a commencé il y a 20 ans environ. Depuis, nous avons eu des bulles… des renflouages… des bombes… et des dirigeants affublés de deux mains gauches, qui n’ont fait que causer des problèmes.

A présent, cela empire.

Danse des sept voiles

Prenez la Réserve fédérale, par exemple. Que fera-t-elle si les marchés reprennent leur baisse ? Nous n’avons aucun doute sur le sujet : elle réagira, cherchant à voler la vedette à M. le Marché… avec une danse des sept voiles exposant abondance de chair trafiquée, éveillant les « esprits animaux » des investisseurs.

Salomé dansant devant Hérode, Gustave Moreau

La Fed est en répétition depuis plus de deux décennies. Le spectacle sera à la hauteur, cette fois-ci.

Il y a du nouveau, cependant : cette fois-ci, le gouvernement fédéral lui-même participe. Il fait pour l’économie réelle, plus ou moins, ce que la Fed a fait pour l’économie financière. C’est-à-dire qu’il la trompe… la falsifie… et la corrompt.

Aujourd’hui, les marchés américains ne reflètent plus une allocation intelligente du capital, ni un usage sensé de l’épargne américaine. Tout comme la politique US sous-jacente, ils sont devenus une exhibition délirante et grivoise, financée avec des milliers de milliards de dollars de fausse monnaie fournis par la Fed.

Chaque fois que la fête se calme, que les investisseurs reprennent leurs jetons et font mine de rentrer chez eux, la Fed revient avec un numéro tout neuf… plus risqué… plus osé… et plus cher que jamais.

Ruses statistiques

Mais tandis que les extravagances se multipliaient à Wall Vegas, l’économie réelle était négligée, oubliée… calme.

Du moins jusqu’à ce que le gouvernement crée la crise du Covid-19.

Encore aujourd’hui, près de six mois après la déclaration d’urgence de Donald Trump, 30 millions d’Américains touchent des allocations chômage. M. Trump se vante désormais d’avoir ramené le taux de chômage à 8%. Cela ne fait que montrer comment on peut ruser avec les statistiques.

En février, la main d’œuvre américaine comptait quelque 164 millions de personnes. Voyons voir… si 30 millions sont désormais « au chômage »… sans parler des millions qui l’ont pas d’emploi mais n’ont pas droit aux allocations… cela représente 18% de la main d’œuvre, non 8%.

Selon de récentes données, ces gens ont peu de chances de rapidement retrouver un emploi. Il n’y aura pas de reprise en « V », autrement dit – ni en « U ».

Nous sommes plutôt d’avis que ce sera une reprise en forme de « L »… une stagnation, en d’autres termes. Les gens ont pris l’habitude de ne plus sortir et de ne pas dépenser d’argent. Les suppressions d’emploi deviennent permanentes.

Jeff Tucker, économiste chez le spécialiste de l’immobilier Zillow, a une autre lettre à proposer. Selon lui, la reprise ressemblera plutôt à un « K », avec quelques personnes qui s’en tireront très très bien… tandis que les autres s’enfoncent de plus en plus.

Déménagement

Rien de tout cela n’aurait été possible durant la période « normale » – avant qu’internet et le coronavirus ne changent tout.

Avant internet, nous travaillions dix heures par jour. Arrivée au bureau à 8h du matin, départ à 18h. La plupart des gens travaillaient huit heures.

Et le week-end ? Sans ordinateurs portables à ouvrir ou iPhones à vérifier, les week-ends passaient sans que nous pensions beaucoup au monde des affaires.

Aujourd’hui, alors que nous sommes dans notre 72ème année et à plus de 8 000 km de chez nous, sans moyen de nous déplacer… et sans cafés où nous rendre… nous allumons notre ordinateur à 7h30 tous les jours ouvrés. Il est rare que nous l’éteignions avant 19h…

Ensuite, le week-end aussi, nous vérifions nos e-mails, simplement pour être certain qu’il n’y a rien d’urgent à gérer. Parfois, nous jetons aussi un œil aux nouvelles, pour voir s’il se passe des choses auxquelles nous devrions réfléchir.

Maintenant que nombre d’entre nous peuvent travailler « à distance », les grandes et vieilles cités, en lambeaux, s’enfoncent encore plus dans la désuétude. Les gens qui le peuvent déménagent. Pourquoi vivre près du bureau si on n’y va jamais ? Pourquoi vivre à côté de bons restaurants, bars et clubs s’ils sont tous fermés ?

Retour chez les parents

Où vont les gens ? Dans les nouvelles « villes Zoom », selon Tucker. Les prix dans ces villes plus petites augmentent de 20% par an et plus aux Etats-Unis, selon la société immobilière Redfin. Dans l’ensemble du pays, les prix des maisons ont grimpé de 8%… tandis que les annonces de mise en vente ont chuté de près de 22%.

Les loyers chutent aussi, ainsi que la demande. Selon Zillow, environ trois millions d’adultes, des millennials pour la plupart, sont allés s’installer chez leurs parents ou grands-parents : 32 millions, un chiffre record, vivent désormais sous le toit familial.

Tout cela fait partie de la reprise en « K ». Plus âgés, installés, prospères, souvent actionnaires… les gens peuvent vivre et travailler à distance – souvent dans des endroits jolis et sûrs, loin de la foule déchaînée.

Pour les gens plus jeunes, plus endettés, plus pauvres… ceux qui travaillent en mode « ubérisé » ou dans le secteur de la restauration… ceux qui n’ont pas d’épargne… ceux qui vivent au mois le mois… les choses semblent mal engagées.

Lorsqu’on vit d’un salaire à l’autre, que se passe-t-il lorsque le salaire cesse de tomber ? Et que font les autorités quand 100 millions d’électeurs n’arrivent pas à joindre les deux bouts ?

Un foirage total

Ce n’était pas ainsi au XXème siècle. A l’époque, la vie était « normale ».

A l’époque, les jeunes n’avaient pas à ré-emménager chez leurs parents… On pouvait sortir dîner au restaurant… On pouvait trouver du travail et gagner de l’argent (au lieu d’attendre qu’il soit largué par hélicoptère)…

On recevait encore du courrier – sur du papier !

Nous avons du mal à nous en souvenir.

Nous fermons donc les yeux… nous invitons le passé… nous tentons de comprendre ce qui le rendait si « normal »… et comment le présent a foiré aussi complètement.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile