La Chronique Agora

Etat d’alerte élevé… de mauvaise décision de la BCE

** Comme nous le pressentions dès mercredi matin — il n’était pas besoin de faire preuve d’un sixième sens très aiguisé –, J.C. Trichet a réaffirmé l’instauration d’un « état d’alerte élevé » à la BCE depuis le début du mois de juin. Cette expression avait été choisie pour indiquer aux marchés qu’elle se préparait à agir… et le message a été bien interprété.

J.C. Trichet indique qu’il lui est impossible de rester les bras croisés face au niveau alarmant atteint par l’inflation (+3,7% en mai). Il dément cependant avoir affirmé que les marchés devaient s’attendre à un cycle de resserrements monétaires.

C’est pourtant une éventualité que certains de ses collègues ont clairement évoquée afin de juguler le risque aigu d’une spirale salaires/prix. Nous ajouterons que nous ne croyons pas davantage au tour de vis isolé qu’au trader solitaire millionnaire sur un coup gagnant… et que nous ne croyons pas davantage à l’efficacité d’une hausse du « repo » pour contrarier une hausse des prix qui puise sa source dans l’excès de dollars en circulation.

En ce qui concerne le danger que représenterait la hausse des salaires, nous savons tous qu’ils progressent peu ou pas du tout en Europe et aux Etats-Unis depuis des années — sauf pour les 1% de salariés les plus riches. Ils grimpent en revanche en flèche dans certains pays émergents dont le taux de croissance est trois à quatre fois supérieur au nôtre et les banques centrales locales n’ont certes pas pour mission de contrarier le rattrapage de niveau de vie qui s’opère par rapport aux pays occidentaux !

** Avec les tous derniers mauvais chiffres publiés aux Etats-Unis — les ventes de logements neufs chutent de 2,5% en mai et de 40,3% sur un an, les commandes de biens durables baissent de 0,9% hors défense –, il n’est plus tout à fait aussi évident que Ben Bernanke imitera l’exemple de la BCE d’ici l’automne, sinon dans le seul but de fortifier le dollar sous l’amicale pression des partenaires commerciaux des Etats-Unis.

De plus en plus d’articles dans la presse anglo-saxonne, sans oublier les débats et les interviews d’économistes dans les médias de type CNN, Bloomberg-TV ou CNBC, prennent pour cible le patron de la Fed qui aurait trop tardé à baisser les taux l’an dernier. Un consensus se dessine autour du concept de piège sans issue — tous les scénarios conduisent à la stagflation –, lequel pourrait conduire l’intéressé à s’interroger sur l’opportunité de poursuivre son mandat (rien que cela !).

C’est tout juste si certains commentateurs ne lui imputent pas le naufrage du Titanic des CDO, survenu au cours de la première quinzaine d’août 2007. Les plus modérés lui reprochent à présent d’être incapable de renflouer l’épave qui gît au milieu des eaux glacées, par 3 500 mètres de fond.

Très peu d’économistes osent s’en prendre — comme nous le faisons depuis près de huit ans à la Chronique Agora — à l’icône des marchés, Alan « Bulles » Greenspan. Il a joué avec une coupable désinvolture la carte de l’argent gratuit de 2002 à 2006 et il a encouragé d’un côté l’addiction au crédit, de l’autre le développement d’un arsenal d’instruments de spéculation sur les dettes.

Mais une majorité d’Américains pensent que « Mister Bulles » avait dû laisser une main gagnante à son successeur, sans quoi sa stratégie consistant à laisser la bride sur le cou aux banquiers en matière de dérivés de crédit et de transfert du risque au marché — c’est-à-dire à chacun d’entre nous — était totalement suicidaire !

Dans cette hypothèse, Ben Bernanke n’avait plus qu’à poser son carré d’as quitte à en tirer un de sa manche — le public était prêt à lui pardonner cette petite tricherie — pour écarter la menace d’un collapsus systémique tel que les rédacteurs de la Chronique Agora le décrivaient depuis 2005.

Au lieu de cela, la Fed décide de racheter les mains des autres joueurs — ceux qui précisément semblaient les moins bien armés — et de leur prêter quelques grosses figures de son propre jeu en leur faisant promettre d’en faire le meilleur usage.

** Ils ont tenté de ranimer les enchères sur les obligations du secteur privé, mais aucun participant n’a daigné relancer le moindre jeton. Ils se sont rués sur les marchés à terme de matières premières — d’où le gonflement de la bulle pétrolière –, ils ont fait mine de s’extasier devant les trimestriels des entreprises, moins pires que prévus de début janvier à fin mars… estimant que celles qui surfent sur la croissance mondiale devraient continuer de bien performer d’ici fin 2008.

C’était sans compter sur un baril de pétrole confortablement installé au-dessus des 135 $ depuis presque un mois ; c’était sans compter sur l’obsession de la BCE en matière d’inflation ; c’était sans compter sur des bataillons de cadavres obligataires dans les placards des banques d’affaires, qui occasionnent une nouvelle rafale d’augmentations de capital à grand spectacle.

La dernière en date est celle de Barclays, la troisième banque britannique, qui a annoncé mercredi un projet d’augmentation de capital de l’ordre de 4,5 milliards de livres (5,7 milliards d’euros) afin de renforcer la structure de son capital, mise à mal par la récente crise financière.

Les fonds souverains sont une nouvelle fois appelés à la rescousse… et notamment Qatar Investment Authority qui compte investir 1,76 milliard de livres (et qui pourrait monter jusqu’à 9% du capital), Challenger 533 millions de livres, China Development Bank 136 millions de livres et Temasek environ 200 millions de livres.

L’initiative a beaucoup plu aux marchés qui apprécient toute preuve d’abondance de liquidités — d’où qu’elles proviennent. Après trois semaines de repli consécutives (11% perdus d’une seule traite à Paris, soit -21% depuis le 1er janvier) et une accumulation de mauvaises nouvelles tous azimuts, la moindre accalmie, le signe positif le plus ténu, pouvait suffire à déclencher une vague de rachats à bon compte.

** L’une des bonnes surprises du jour fut l’augmentation — toute symbolique — des stocks de pétrole américains : ils se sont regonflés de 800 000 barils la semaine dernière. Le baril a rapidement rechuté de 2,5% (sous les 133 $). Les places européennes ont clôturé en hausse de 1,65% en moyenne, alignant leur progression sur le Nasdaq. Les autres indices américains ont quand à eux repris entre 0,8% et 1% à Wall Street (à la mi-séance).

Le CAC 40 s’adjugeait au final 1,4% et refranchissait les 4 500 points (à 4 536 points) dans le sillage des valeurs financières et automobiles. 100 points viennent d’être repris en 24 heures… mais il n’y a pas de quoi triompher car les cinq milliards d’euros échangés ce mercredi sont sans commune mesure avec les neuf milliards d’euros négociés en pleine débâcle vendredi dernier, ni même avec les 6,3 milliards d’euros traités mardi (alors que le plancher annuel était retracé).

Nous misons désormais sur un sursaut technique en direction des 4 700/4 730 points, rien de plus… et quelques-uns de nos correspondants dans les salles de marché nous avertissent que nous risquons d’être déçu !

Qu’ils se rassurent, le cas échéant, nous saurions quoi faire : amende honorable !

Philippe Béchade,
Paris

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