La Chronique Agora

Et si Pékin décidait de vider le bain de mousse spéculative ?

▪ Un des fondements de la démocratie et de la hausse des marchés, c’est la confiance. Celle-ci commencerait-elle à faire défaut ? Les communiqués officiels n’évoquent pourtant que quelques « ruptures » ponctuelles… qu’il s’agisse du refinancement d’émetteurs souverains surendettés (la Fed a dû se substituer lundi aux acheteurs institutionnels domestiques ou non résidents pour assurer le placement d’une nouvelle tranche de bons du Trésor US) ou des stations-service en Ile-de-France, dans le « grand ouest » et en Normandie.

Nicolas Sarkozy avait réuni la chancelière allemande Angela Merkel et le président russe Andrei Medvedev à Deauville. Il n’a probablement pas pris l’autoroute de l’ouest pour rentrer sur Paris — sans quoi il aurait pu constater la formation de files d’attentes interminables bien en amont des principales aires de ravitaillement tout le long de l’A13.

S’il s’était rendu dans le 19ème arrondissement vers 15h30, il aurait pu assister à une belle bagarre entre chauffeurs de taxis et motards dans une station située à l’angle de la Place du Colonel Fabien. Ladite station a d’ailleurs été fermée par la police dans l’heure qui a suivi, bien que les cuves contiennent encore l’éventail complet des carburants tant convoités.

Ce n’est pas une anecdote qui nous a été rapportée : nous avons assisté à l’évènement en direct puisqu’il se déroulait pratiquement au pied de nos bureaux. Nous percevons comme un début de tension chez les détenteurs de véhicules à usage professionnel, qu’il s’agisse de deux-roues, de taxis ou d’utilitaires…

Le gouvernement a beau marteler qu’il n’y a pas de risque de pénurie, une partie grandissante de la population semble mettre ce genre d’affirmations en doute. Des milliers de stations-service sont maintenant à sec ou réservent ce qui leur reste pour les ambulances, les médecins, les pompiers et autres véhicules d’intervention.

▪ Aux Etats-Unis, c’est l’assouplissement quantitatif qui fait débat. La formidable hausse des indices boursiers et des matières premières depuis six semaines démontre que l’argent promis discrètement par la Fed à ses amis banquiers fin août/début septembre est allé directement s’investir par anticipation dans tous les actifs présentant une forte volatilité haussière. A la clé, la formation d’une « mousse spéculative » constituée d’une myriade de bulles de tous calibres.

Le secteur qui ne voit arriver aucune liquidité supplémentaire, c’est le secteur du crédit aux particuliers ou aux entreprises. Même si les taux apparaissent ridiculement bas, l’offre continue de se contracter en volume. C’est normal : le chômage lamine le nombre d’emprunteurs solvables !

Et pas l’ombre d’un frémissement dans le secteur l’immobilier. Les chiffres publiés aux Etats-Unis mardi alternaient le médiocre et le franchement « pas bon ».

Les mises en chantier ont rebondi marginalement de 0,3% au mois de septembre (+2 000 à 610 000, c’est de l’épaisseur du trait). Cependant, les permis de construire chutent de façon imprévue de 5,6%, à 539 000 contre 580 000 attendu par le consensus.

▪ Wall Street n’a pas semblé en tenir compte dans un premiers temps. L’aversion au risque a toutefois refait soudain surface en début de soirée ; elle s’est matérialisée au travers d’un rebond du dollar de 1,5%, vers 1,372 euro.

Le Nasdaq perdait 2% à la mi-séance, alors que 75% des gérants déclaraient s’attendre à le voir retracer son zénith annuel avant la fin du mois. Nul ne semblait s’émouvoir d’un rally de 18% en ligne droite depuis le 31 août, l’indice électronique égalant sa performance record de l’été 2009 (+18,5% sans une seule consolidation intermédiaire).

Nul ne se soucie non plus que de tels niveaux soient atteints alors que par rapport à l’automne 2009, les anticipations de croissance aux Etats-Unis et en Europe pour 2010 et 2011 ont été drastiquement revues à la baisse.

Cela pourrait ne pas s’arranger, puisque l’indice ZEW, le baromètre du sentiment économique en Allemagne, a reculé de 2,9 points en octobre. Il est ainsi retombé à -7,2 (les économistes tablaient même sur un recul plus prononcé à -8 points).

▪ Et pas question de nouveau programme de soutien économique en Europe. L’heure est à l’austérité… et même au mode punitif : les ministres des Finances de l’Union européenne ont conclu lundi soir un accord de principe sur des mesures de discipline budgétaire plus coercitives.

De nouvelles sanctions pécuniaires (amendes) frapperont les pays affichant des niveaux de déficits ou de dette trop importants ; ces sanctions s’appliqueront de manière quasi automatique.

Et les automatismes, comme la robotisation de la bourse, c’est tout ce que les marchés apprécient. Les adeptes de la gestion quantitative peuvent ainsi travailler tranquilles, éprouver la pertinence de leurs modèles sans être perturbés par les comportements « irrationnels »… comme le fait de prendre des bénéfices quand les chiffres économiques sont mauvais ou d’alléger les positions quand les banques américaines font l’objet d’un nouveau scandale.

Mais il subsistera toujours une minuscule part d’incertitude et d’impondérables. Même les manipulations indicielles les mieux ficelées peuvent mal tourner lorsque l’impensable se produit.

En l’occurrence, il s’agit d’un relèvement de 0,25% des taux d’intérêt en Chine. Cette annonce est survenue en pleine nuit depuis Pékin, quelques heures seulement après que l’indice SSE de Shanghai se soit hissé au-dessus de la barre symbolique des 3 000 points. Cela à l’issue d’une envolée linéaire de 15% en l’espace de six semaines… qui semblait sortir tout droit de la corne d’abondance de l’assouplissement quantitatif, avec un retour en force des investisseurs anglo-saxons sur les marchés émergents.

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