La Chronique Agora

Et Ben Bernanke éclata d’un long rire dément…

▪ « La Fed s’applique à détruire méthodiquement le dollar, et à travers lui, la montagne de dettes accumulée par les Etats-Unis, lesquelles ne peuvent plus être remboursées sinon par l’émission de nouvelles créances pour rembourser les anciennes ».

« Créer 600 milliards de dollars (mais c’est en fait beaucoup plus) à partir d’un trait de plume est une escroquerie ; la Fed n’a aucune idée des véritables conséquences de cette stratégie à moyen terme. Son modèle, c’est le Japon, sauf que le yen n’a jamais été la devise de réserve mondiale… et cela fait une sacrée différence ! »

« Ben Bernanke assure qu’il veut juste combattre la déflation en relaçant l’investissement… mais regardez ce qui se passe : l’argent s’est enfuit vers l’or et les marchés émergents avant même d’avoir été injecté matériellement dans notre économie. Le marché immobilier qui en a tant besoin n’en verra pas la couleur !  »

Les trois paragraphes qui précèdent sont extrait d’une interview diffusée par CNBC hier. L’invité du jour n’était pas Bill Bonner, ni Jim Rogers, ni Simone Wapler (si jamais CNBC avait profité d’une visite éclair à nos collègues de la rédaction de MoneyWeek)… Non, le détracteur de la gigantesque carambouille monétaire de la Fed était un célèbre sénateur du Texas (dont le fils vient d’être élu comme l’unique représentant du Tea Party) du nom de Ron Paul.

Même l’ancien président de la Fed de New York, Edward Gerald Corrigan, prédécesseur de Tim Geithner reconverti comme dirigeant de la banque d’affaires Goldman Sachs (ça marche dans les deux sens !) –, se dit « mal à l’aise » avec cette tentative de ramener l’inflation à sa moyenne historique au moyen d’une politique monétaire non conventionnelle.

▪ Ne soyons pas dupe, Goldman Sachs (GS) est dans la confidence depuis le début. Vendre le dollar à découvert durant deux mois a dû être un vrai régal. Si les « GS Boys » se sentent aujourd’hui mal à l’aise, ce doit être pour avoir constaté que 75% des intervenants sur le marché des changes jouent la baisse du billet vert.

Ils doivent guetter le moment propice pour déclencher l’offensive contre l’euro… Rappelons que l’Espagne, l’Irlande et la Grèce subissent les feux de la spéculation dans l’indifférence générale — sauf la nôtre… — depuis mercredi dernier.

Rien de tel qu’une bonne campagne de presse anti-européenne orchestrée depuis Londres et New York pour retourner le marché. Cela permet de tondre en quelques heures les vendeurs de dollars qui parient déjà sur l’absence de tout consensus lors du prochain G20 de Séoul en fin de semaine.

Les grands argentiers de la planète seront certainement tous d’accord pour admettre qu’ils ne sont d’accord sur rien, et surtout pas l’assouplissement quantitatif de la Fed. C’est à peine s’ils s’entendent sur une méthodologie ayant trait à la façon d’affronter les problèmes de déséquilibres budgétaires et de volatilité des changes.

Pour mieux vous faire apprécier l’ambiance à 3 jours du G20, voici un résumé de la dernière intervention de Jean-Claude Juncker, chef de file des ministres des finances européens, ce lundi : « la décision de la Fed de combattre la dette par la dette est une erreur ».

« ‘On s’érige en critique sévère de la politique monétaire chinoise, alors que d’une certaine façon et d’une façon certaine, on applique par des moyens détournés strictement la même politique de sous-évaluation compétitive ».

J.C. Juncker doute de la capacité des mesures de la Fed à relancer l’investissement et la consommation aux Etats-Unis — toutes les récentes tentatives furent des échecs. « Il faut en revanche s’inquiéter de l’impact inflationniste du recours à la planche à billets ; il y a de surcroît un risque de voir déferler vers les pays émergents des volumes de liquidités que ces pays ne pourront pas absorber ».

▪ Ben Bernanke s’est exprimé ce week-end pour opposer au scepticisme de la planète entière sa certitude qu’un nouveau recours massif à la planche à billets « est absolument conforme à la théorie et à la pratique monétaire ».

Ben Bernanke balaye également les objections de son prédécesseur, Alan Greenspan, pour qui l’argent injecté dans l’économie doit correspondre très précisément au montant de création de richesse anticipé — sans quoi les retombées deviennent imprévisibles. La priorité de Ben Bernanke, c’est d’abord triompher de la déflation.

La plupart des articles consacrés au « QE2 » depuis le 3 novembre sont obnubilés par le montant de 600 milliards de dollars prononcé par Helicopter Ben… mais relisez attentivement le communiqué de la Fed !

Il indique que l’assouplissement quantitatif pourrait être reconfiguré en fonction de l’évolution des données macro-économiques — et donc… pourquoi pas poursuivi au-delà de fin juin 2011 ? Cela revient à dire que ce « QE2 » n’a en fait qu’une limite théorique… et aucun plafond en pratique.

Existe-t-il un risque de voir cette entreprise de faux monnayage tourner à la catastrophe ?

Que nenni ! Voyez les Japonais : ils monétisent massivement leur dette depuis l’an 2000 et n’ont jamais vu l’inflation s’emballer. Pourquoi l’Amérique devrait-elle redouter une issue différente ?

Hem… si nous osions avancer quelques objections, nous pourrions mettre en évidence que le Japon exporte en masse des produits finis à haute valeur ajoutée vers la Chine. Les Etats-Unis, eux, n’y exportent que des dettes de mauvaise qualité.

Les Japonais injectent en interne des capitaux en précisant leur montant et leur destination (plans d’équipements pharaoniques créant des dizaines de milliers d’emplois à moyen ou long terme, soutien direct au logement individuel via des lignes de crédit dédiées). La Fed, de son côté, injecte de l’argent ne correspondant à aucun projet concret — sinon rembourser d’anciennes dettes sans générer un seul emploi.

Ceci ne déclenche que des vagues de mises de fond spéculatives avec un horizon d’investissement se situant entre le quart d’heure et la demi-journée, à renouveler sans fin… Ce dont le trading algorithmique s’acquitte — il est vrai — avec brio.

▪ Mais les algorithmes les plus perfectionnés ne pourraient rien au cas où les mesures envisagées déboucheraient sur de l’hyper-inflation. Cela, le patron de la Fed ne l’envisage même pas… tout en inférant qu’il n’existe pas de meilleur moyen de se décharger du fardeau de la dette.

Les marchés américains semblent agir comme si le « QE2 » ne nous faisait courir aucun risque à court ou moyen terme. Mais en même temps, les volumes sont si faibles, une fois déduit le trading intraday et les millions de transactions à la milliseconde, que les opérateurs marquent par leur abstention un scepticisme abyssal.

La séance de lundi illustre à merveille ce phénomène. Il ne s’est échangé que 2,4 milliards d’euros à Paris, qui s’effrite de 0,07% à 3 905. Le CAC 40 stagne depuis le jeudi 4 novembre — plus précisément depuis 9h35 ce jour là. Il oscille depuis maintenant plus de 25 heures dans un range de 15 points, de part et d’autre du cours pivot de 3 920 points.

Ce qui est encore plus sensationnel d’une certaine façon, c’est que depuis le 21 octobre dernier, le CAC 40 n’a grimpé — à la verticale, suite à un emballement des programmes d’achats informatisés — que durant une demi-heure (sans aucune actualité nouvelle pour l’expliquer), le 4/11 vers 9h10.

▪ Ce genre de profil de marché reflète-t-il de la psychologie… ou des fluctuations de cours parfaitement orchestrées et exécutées avec la précision mathématique dont seuls sont capables les logiciels de trading algorithmiques ?

Eux seuls sont capables de déclencher des hausses aux moments les plus imprévisibles, afin de prendre de vitesse les suiveurs et de paniquer les vendeurs… puis d’écraser impitoyablement la volatilité durant des dizaines d’heures de cotation afin de « nettoyer » ceux qui jouent une tendance par le biais des instruments à effet de levier.

Et pendant que les commentateurs parlent de stabilité, la bourse de Madrid continue de chuter (-1,35%) et les taux longs irlandais pulvérisent un nouveau record à 7,85%. Aucun souci à l’horizon, car tout cela se déroule dans un monde parallèle inaccessible aux marchés et à la Fed… c’est-à-dire le nôtre.

Une simple évocation devant Ben Bernanke et vous le voyez quitter la pièce en éclatant d’un long rire dément !

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