La Chronique Agora

L’Espagne suit la Grèce et la BCE change de discours

▪ Le mois de mai — de sinistre réputation boursière — a débuté en fanfare à Londres : +1,35%. Les accords étaient un peu moins triomphateurs à Wall Street, mais c’est tout de même une mélodie plutôt joyeuse qui a retenti en clôture, avec un gain de 0,5% pour le Dow Jones (sa meilleure clôture depuis décembre 2007) et 0,6% pour le S&P. Les 10 principaux secteurs de la cote ont terminé en territoire positif sans commettre la moindre fausse note.

Ces deux indices ont toutefois vu leurs gains fondre de moitié au cours des deux dernières heures de la séance, sans raison franchement évidentes… sauf à prendre tardivement en compte la rechute de 1,75% de Tokyo mardi matin, pour cause de yen trop fort face au dollar.

Même si Wall Street ne termine pas au zénith, les analystes techniques se sont empressés de diagnostiquer un scénario positif pour les prochaines semaines. Ils observent que l’indice le plus large (des 500 premières capitalisations américaines) est de retour au-dessus de sa moyenne à 500 jours.

L’incursion de la mi-avril sous ce support long terme relèverait d’un excès baissier ponctuel, voire accidentel. Il pourrait inciter les vendeurs à se racheter, les espoirs d’une correction s’évanouissant à la lumière des derniers chiffres parus ce mardi aux Etats-Unis.

L’indice des directeurs d’achats (PMI manufacturier) du mois d’avril ressort en hausse assez inattendue de 1,4 point à 54,8. Une stagnation était en effet attendue au lendemain de la publication d’un indice PMI de Chicago qui marque un net coup de frein de l’activité industrielle anticipée dans le nord des Etats-Unis : 56,2 en avril, par rapport à 62,2 le mois précédent, contre un score de 60,5 anticipé.

Ce mauvais chiffre tombé lundi explique pourquoi le mois d’avril s’est achevé sur une note légèrement négative à Wall Street. Le S&P s’est effrité de -0,8%, le Nasdaq de -1,5% (dont -0,75% lundi, essentiellement à cause des 3% de repli du géant Apple)… Le Dow Jones a toutefois fini dans le vert (avec un symbolique +0,02%) malgré un repli de -0,12% avant-hier soir.

Certains permabears (pessimistes systématiques) ont constaté que le S&P et le Nasdaq finissent un mois d’avril dans le rouge pour la première fois depuis avril 2005. Mais faut-il rappeler que les places européennes ont chuté de 7% en moyenne dans l’intervalle… et Madrid de presque 13%, soit un remake du mois d’août 2011 ?

▪ Madrid et la Grèce, même combat
Il avait fallu deux mois de krach l’automne dernier pour voir les indices américains creuser de tels écarts par rapport à leurs homologues européens, en pleine débâcle grecque. Le message implicite, c’est que Madrid marche, économiquement, sur les traces d’Athènes.

La Grèce a eu droit aux sifflets et huées de la presse allemande et d’une bonne partie du Bundestag dès le printemps 2011. Les marchés ne traitent pas différemment la Bourse espagnole alors que les « courageuses » décisions (et l’hyper-austérité) du gouvernement de M. Rajoy ont été copieusement encensées par Bruxelles et Angela Merkel… avant qu’il ne déçoive ses partenaires européens mi-avril en révisant à la hausse ses anticipations de déficit pour 2012 et 2013.

Avec la confirmation d’un taux de chômage qui frappe un quart de la population et plus de 50% des jeunes de moins de 25 ans, sur fond de récession (-0,3%) au premier trimestre… les marchés viendraient-ils soudain de comprendre que l’Espagne va droit dans le mur de la dépression (à la grecque) et qu’elle risque d’entraîner l’Europe avec elle ?

En réalité, cela fait déjà plus de six semaines que le discours officiel bruxellois demeure « priorité au rétablissement des finances publiques espagnoles » (avec les compliments de la presse anglo-saxonne). Les marchés agissent cependant très exactement comme s’ils avaient l’absolue certitude que cela ne fonctionnera pas et qu’avec ce genre de remède de cheval, le malade est pratiquement assuré de mourir guéri.

▪ Une porte de sortie ?
Mais les « marchés » (c’est-à-dire les principaux créanciers de l’Espagne plus tous ceux qui n’ont aucun intérêt à ce que le scénario grec se reproduise en 2012 à une toute autre échelle car le MES n’est pas encore opérationnel) ont peut-être trouvé ce moyen de contraindre la BCE à sortir du bois… ou plutôt son chéquier pour renflouer Madrid de façon plus ostensible.

Certes, Mario Draghi soutien déjà le système bancaire espagnol à bout de bras depuis fin 2011. Il apparaît cependant déjà assez clair que les deux LTRO n’ont eu comme seul effet que d’empêcher que le malade ibérique ne sombre dans le coma.

Le cancer du surendettement des régions autonomes en Espagne — qui portent l’essentiel du risque hypothécaire — n’a en rien été éradiqué. Il reste en attente de traitement médical… et parmi ceux recommandés par de distingués économistes, de tous bords politiques et de toutes obédiences universitaires (ultra-libérale anglo-saxonne ou autrichienne, colbertiste/planificatrice française ou italienne, voire socialiste à la mode scandinave ou brésilienne des années 70), nous commençons à entendre qu’il faut envisager une ablation.

Rassurez-vous, il ne s’agit pas d’amputer l’Europe de la péninsule ibérique (comme du Péloponnèse d’après les dernières rumeurs savamment distillées depuis Berlin) mais de procéder à l’ablation d’une partie de la dette espagnole — de 25 à 30% d’après les estimations les plus radicales.

Le problème ne semble plus relever ni de la morale (l’Espagne n’a pas triché comme la Grèce, il est donc légitime de lui venir en aide), ni de la technique (un simple haircut de plus dans la longue liste des pays devenus insolvables ces 150 dernières années) mais de la communication.

C’est-à-dire de l’art de mentir avec élégance jusqu’au moment où Bruxelles et le FMI placeront les créanciers de l’Espagne (les banques, les compagnies d’assurance… et donc les épargnants dont vous et moi faisons partie) devant le fait accompli d’une restructuration qui est probablement « dans les tuyaux » depuis plus de six mois.

Les marchés ne cessent d’agir depuis lors comme si l’Espagne était incapable de rembourser sa dette. La stratégie de la BCE et de l’Europe consiste simplement à gagner du temps. Les marchés espèrent cependant que chaque jour, chaque semaine gagnée sur le constat d’une faillite va permettre d’acheminer suffisamment d’argent vers un fonds de secours afin de compenser les pertes que les créanciers (au final vous et moi) devront fatalement subir lorsque le moment sera venu de restructurer la dette de l’Espagne — et potentiellement de l’Italie, dans des proportions plus modestes.

▪ Un éclatement qui ne dit pas son nom
Certains redoutent en fait depuis deux ans que l’Europe n’opte pour une « partition » (pour ne pas prononcer le verdict d’un éclatement). Cette thèse, que j’ai déjà exposée dans de précédentes chroniques, devient encore plus plausible à mesure que l’Allemagne se retrouve de plus en plus seule à bénéficier d’un euro fort ; les Pays-Bas viennent d’acter il y a 10 jours la quasi-impossibilité de prendre le virage de la rigueur quand tout démontre par ailleurs qu’il s’agit d’une impasse économique mortifère.

La spéculation sur les actifs qui pourraient un jour être estampillés « Euro-Mark » n’a cessé de se renforcer depuis que les marchés ont adopté l’acronyme des PIIGS pour désigner cette partie de l’Europe qui ne peut s’accommoder d’une devise forte taillée sur mesure pour les pays du nord, champions des exportations de produits industriels vers les pays émergents.

Sauf que la liste de ces derniers est en train de se raccourcir de façon si évidente qu’elle pourrait bientôt se résumer à la seule Allemagne et au Luxembourg !

Pendant ce temps, les partenaires ou fournisseurs de la Grèce incluent désormais dans leurs contrats à court ou moyen terme une « clause drachme ». Elle leur permettrait de se protéger d’une dépréciation massive de la valeur des créances — quelle que soit leur forme — en cas d’éviction de la Zone euro et d’adoption d’une devise plus compétitive d’un point de vue commercial.

La véritable surprise pour les marchés au cours des prochaines ne viendra pas de la France — où l’hypothèse d’une alternance politique est déjà intégrée depuis l’automne dernier — mais bien d’un renversement du « discours entre les lignes » qui prépare les opinions publiques à une sortie de la Grèce (de l’Eurozone) ainsi qu’à de nouveaux sacrifices de la part des créanciers des PIIGS pour éviter une scénario de faillites en domino s’étendant à l’ensemble du Vieux Continent, Angleterre comprise.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile