La Chronique Agora

L’épreuve du feu du totalitarisme chinois 2.0

Chine, totalitarisme, zéro Covid, manifestation

La Chine a vécu le week-end dernier des manifestations d’une ampleur jamais vue depuis 1989. De quoi faire vaciller le régime, ou renforcer sa branche totalitaro-répressive ?

Il est encore difficile de se faire une idée de l’ampleur des mouvements de révolte en Chine ces derniers jours. De nombreuses images ont tout de même fuité via internet, malgré le contrôle et la censure des réseaux par Pékin, mais un nid d’hirondelle ne fait un « printemps chinois » (ni un automne arabe, à moins d’une confusion de ma part entre deux métaphores sous le coup de l’émotion !).

Les vidéos qui nous parvenaient déjà depuis des semaines voire des mois sont glaçantes, avec ces armées d’hommes-robots – en grands « scaphandres » blancs pour mieux appliquer la politique du zéro Covid –, qui vont rafler, parfois les armes à la main, leurs compatriotes pour emmener ces derniers par dizaines de milliers dans des camps d’isolement pouvant accueillir des masses considérables de « quarantainisés ».

Le phénomène semble avoir pris tellement d’ampleur que l’agence Bloomberg s’en fait l’écho.

Il ne s’agit plus d’un simple épiphénomène, comme ont pu l’être les manifestations devant certaines banques d’épargnants spoliés par des promoteurs indélicats, mais qui doivent continuer de rembourser des mensualités pour des biens immobiliers fantômes. Le mouvement avait à l’époque été qualifié de « révolte de l’hypothécaire ».

Enfermés ou en fuite

Cette fois-ci, Foxconn – le groupe taïwannais et principal producteur d’iPhones – a publié des excuses auprès de ses clients et dû les prévenir que la production risquait de chuter de 30% dans ses usines géantes suite à des mouvements de grève et le « départ » de 20 000 salariés… Sans préciser combien de protestataires ont été arrêtés, et combien croupissent dans des centres de « rétention sanitaire ».

Il semblerait qu’au-delà de ce cas très médiatisé, la violence institutionnelle vienne d’atteindre un point de rupture.

De nouvelles images datées du 26 novembre montrent un de ces taïkonautes de la répression en train de souder les portes d’un immeuble dans la ville de Chengdu pour s’assurer que personne ne puisse en sortir. Ce n’est pas un montage, encore moins un cas extrême de milicien faisant du zèle ou pétant les plombs parce que soumis à une trop forte pression par sa hiérarchie : c’est un pratique largement répandue et aux conséquences dramatique.

Beaucoup d’habitants de tours aux issues soudées dans plusieurs villes en 2020 et 2021 sont morts de maladie ou faute d’avoir pu sortir chercher les traitements pour traiter leurs problèmes cardiaques, leur diabète, leur cancer, etc.

Quand tous les supermarchés sont fermés – comme à Wuhan en 2020, et ce qui est de nouveau le cas à Shanghai –, les habitants des forêts de tours de la périphérie sont ainsi condamnés à mourir de faim, si le Parti n’arrive pas à mettre en place la logistique pour ravitailler les quartiers cernés et isolés par la police.

Mais la soudure des portes devient criminelle en cas d’incendie, et c’est exactement ce qui vient de se passer. En témoigne une vidéo devenue virale depuis le jeudi 24 novembre d’une tour d’habitation en feu dans Urumqi, la capitale du Xinjiang, avec des secours incapables d’atteindre l’immeuble, et ses habitants dans l’impossibilité d’évacuer se jetant par les fenêtres, façon 11 septembre 2001 (au moins 10 morts… mais c’est le chiffre officiel chinois).

Tout le monde sait que tout le monde sait

Les autorités démentent toute responsabilité… la population sait que c’est un mensonge… les autorités savent que la population sait que c’est un mensonge… Et les manifestations suivent : cliquez ici pour lire la suite.

Cela déclenche une vague de colère nationale et de protestations contre le totalitarisme sanitaire.

Les autorités ont pu démentir que les habitants ont été délibérément fait prisonniers de ce qui est devenu un piège mortel, mais tous les Chinois savent que les autorités mentent, et ces dernières savent que la population le sait.

Comme dirait Soljenitsyne, Pékin sait que la population ne croit plus la vérité officielle, mais persiste à mentir. C’est une constante dans la communication des responsables du Parti communiste.

La question face à tous ces mensonges et cette propagande absurde c’est : pourquoi ?

Et la réponse à cette question, inexorablement, c’est la répression : d’énormes foules se sont rassemblées à Shanghai, Pékin et dans d’autres villes (Wuhan, Zhengzhou, Guangzhou…). Le niveau de dissidence nationale est sans précédent depuis que Xi Jinping pris le pouvoir il y a 10 ans.

Grâce aux drones de surveillance et aux dizaines de millions de caméras installées partout, des plus grandes métropoles au plus modeste village d’une zone rural, permettant la reconnaissance faciale. Mais aussi grâce aux données de connexion des téléphones et autres « QR Code » de n’importe quel manifestant, pouvant d’autant plus facilement être identifié par le grand fichier central qui a en mémoire les visages des 1,4 milliards de Chinois.

Une fois le crédit social réduit à zéro par sa participation à des manifestations, le citoyen déviant n’aura plus accès au transports, aux centres commerciaux, aux lieux de loisirs, parcs d’attraction pour des sorties familiales, stades, salles de sport, etc. Il peut aussi être empêché de retourner sur son lieu de travail (c’est plus rare : un esclave doit pouvoir continuer de trimer pour la grandeur du pays).

Quel avenir pour cette révolte ?

Pour prendre le risque de s’opposer au « zéro Covid » et se retrouver en quelques centièmes de secondes condamné au « zéro crédit social », il faut vraiment n’avoir plus rien à perdre et être pénétré d’un sentiment de « zéro future ». Un phénomène très rare en Asie, mais qui traduit l’acceptation d’un « sacrifice suprême », rarement tourné vers les dirigeants.

Cependant, la vie courante est devenue à ce point impossible avec une épée de Damoclès sanitaire permanente et des restrictions qui rendent folle la population que celle-ci a désormais le sentiment d’avoir plus à perdre en obéissant qu’en protestant.

Pékin va très vite devoir estimer les coûts économiques de cette mobilisation si les usines s’arrêtent, et le coût en terme d’image et de boycott de ses produits si la décision est prise d’ouvrir le feu sur la foule et de mettre tous les « déviants » dans des camps.

Les capacités d’accueil sont vertigineuses selon nos standard (de 50 000 à 75 000 par camp, que Pékin fait construire par dizaines), mais encore limitées à l’échelle d’un pays d’un milliard et demi d’habitants.

Et les forces d’oppression – historiquement, des paysans peu instruits mais endoctrinés par le Parti – obéiront-elles aveuglément jusqu’au bout, comme elles le font depuis l’avènement du communisme il y a 75 ans ?

Le Chinois de 2022 qui peut surfer sur les réseaux sociaux et commander ce qu’il veut sur des sites de e-commerce avec son téléphone portable est-il le même que celui qui quittait ses humbles haillons de cultivateur pour endosser fièrement le glorieux uniforme de l’armée rouge dans les années 1960 ? Pourrait-il porter comme son ancêtre la « révolution culturelle » jusqu’au milieu de villes dont les habitants restaient contaminés par les concepts bourgeois et imperméables aux préceptes du Grand Timonier ?

La machinerie orwellienne du crédit social aura-t-elle raison de la révolte en cours et les clients de la Chine peuvent-ils se permettre de boycotter les produits dont elle détient le monopole (terres rares, gadgets électroniques, jouets, etc.) ?

Si Xi Jinping remporte la partie, de nombreux apprentis dictateurs pourraient se laisser séduire par le modèle technologico-totalitaire chinois. Le chef d’œuvre dystopique 1984 ne sera plus un repoussoir, mais un manuel à l’usage des dirigeants sans états d’âme…

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