Laxisme budgétaire dans ses propres affaires mais brillantes idées pour gérer celles du privé, voici la marque de fabrique de ce gouvernement qui se revendique pro-entreprise.
Lors de l’épisode de la « cagnotte fiscale », l’exécutif n’a pas succombé aux revendications dépensières d’une partie de sa majorité à l’Assemblée. Malheureusement, le laxisme budgétaire règne toujours dans la plupart des hauts lieux de la vie publique française.
Commençons au niveau local. Emmanuel Grégoire est adjoint aux finances de la ville de Paris. Début mars, il a expliqué au journal Le Parisien qu' »on s’en fiche de savoir si la dette de Paris est de cinq ou six milliards […] La dette va sans doute continuer d’augmenter dans les années à venir… C’est sain. »
Explications : « taux d’endettement extrêmement faible au regard des autres collectivités » + « faiblesse des taux d’emprunt » = « c’est sain et tout à fait soutenable de recourir à l’endettement, et même responsable », vu qu’il s’agit d' »investir »dans les écoles, les crèches, le logement social, les équipements sportifs et culturels et que sais-je encore.
S’endetter à faible coût pour « investir » avant que les taux ne remontent, voilà la logique. C’est naturel lorsque l’on parle gestion de patrimoine. Mais en matière de dépense de l’Etat et des collectivités locales, j’ai tendance à considérer que cette logique sert surtout à financer de nombreuses dépenses dont la légitimité est pour le moins discutable.
Sachant que la dette de la ville de Paris est passée de 1 Md€ en 2001 à 6 Mds€ fin 2018, au vu du budget prévisionnel (9,5 Mds€ en 2018), sachant également que l’argent frais sert de plus en plus à financer des dépenses de fonctionnement, à partir de quel taux d’endettement Emmanuel Grégoire considérera-t-il qu’il deviendrait sage de voter un budget en équilibre, voire de rembourser une partie de la dette contractée, plutôt que de continuer à la creuser ?
Lorsque le politique refuse le débat budgétaire
Tablant sur une dette à 10 Mds€ à horizon 2020, l’adjoint explique :
« Il y aura une réflexion politique à mener sur le rythme des investissements. Mais ce sera un débat politique avant d’être un débat budgétaire ».
En clair, il n’y a aucun risque de catastrophe budgétaire d’ici aux prochaines élections municipales donc, pour le moment, on s’en fout. Continuons à dépenser suffisamment pour satisfaire un maximum d’électeurs, on reparlera de tout ça après les élections si on est réélus. Et puis les risques afférents à une dette trop lourde, etc. c’est des fantasmes de noircisseurs de papier, au mieux des légendes urbaines.
A la lecture dans Libération d’un témoignage d’une personnalité de terrain, on pourrait croire que la France est en réalité sous-administrée. Je suis certain que si vous y mettez un peu du vôtre, vous pouvez vous aussi le constater chaque jour.
Vous aurez remarqué que ce n’est pas n’importe qui qui vous le dit, mais un « commissaire général adjoint » (interdit de rire).
En plus notre gouvernement fourmille de beaux projets pour les entreprises…
Cela pose tout de même un sacré problème, comme le relève Jean-Marc Daniel :
De la start-up nation à l’entreprise en tant que bien commun
Notre président aime les entreprises et il tient à le faire savoir. Il les aime même tellement que sa façon de s’exprimer est imprégnée de tournures de langage qui voudraient coller au plus près de « l’esprit start-up », mais qui sont en réalité aussi fraîches que l’arrivée de Windows 1995 sur les écrans 15 pouces.
Mais plutôt que de nous attarder sur le langage présidentiel, je vous propose de nous pencher sur les projets d’action gouvernementale. J’ai déjà évoqué que la loi PACTE portée par Bruno Le Maire pourrait modifier l’article 1 833 du Code civil qui dispose que « la société doit avoir un objet licite et est constituée dans l’intérêt commun des associés », pour y adjoindre la notion « d’intérêt général économique, social et environnemental ».
Depuis, Bruno Le Maire, a enfoncé le clou en déclarant que la loi qu’il présentera en Conseil des ministres vise à « récompenser les salariés pour leur travail avec plus d’intéressement, plus de participation, plus d’actionnariat salarié, pour que [les salariés puissent] devenir propriétaires en partie du capital de l’entreprise et participer au capital de l’entreprise, moi c’est tout ça que je veux… ».
La CFDT n’a pas manqué de dire tout le bien qu’elle pense de cette merveilleuse avancée sociale.
Guillaume Nicoulaud fait remarquer que ce n’est pas forcément l’intérêt du salarié de partager les risques de son entreprise. Son tweet a dû échapper à la CFDT qui n’a pas répondu à cette objection…
Idem pour cet autre tweet qui résume bien l’esprit des lois turbolibérales que concoctent nos décideurs.
Les salariés sont rémunérés par leur salaire. La participation et l’intéressement existent déjà. Mais le gouvernement ultra-libéral du président Macron préfère ressusciter les vieilles lunes du CNR plutôt que laisser salariés et DRH gérer leurs relations contractuelles…
Pendant ce temps-là, dans le monde réel, quelqu’un qui n’est ni ministre, ni fonctionnaire, ni salarié a récemment été condamné à payer une amende de 3 000 €. Sa faute ? Avoir travaillé tous les jours de l’été passé, vu que le chiffre d’affaires qu’il peut réaliser sur les mois de juillet et août lui permet « de tenir ensuite toute l’année ».
Et encore, notre boulanger a de la chance car dans le monde rêvé par Bruno Le Maire et Emmanuel Macron, voici comment les choses auraient pu se terminer pour lui :
Si la loi PACTE est appliquée telle qu’on nous la présente, il sera alors confirmé que la politique économique menée en France a définitivement tourné au délire.