▪ Le CAC 40 a été victime d’un coup de massue de -120 points en séance : c’est le plus gros écart intraday depuis le 30 octobre 2009. Cela a été d’autant plus dévastateur que personne ne l’anticipait, compte tenu d’une actualité macroéconomique peu dense et de statistiques américaines d’importance secondaire.
Non vraiment, personne ne s’y attendait… surtout après un rebond de 0,5% de Wall Street la veille (saluant un communiqué de la Fed conforme aux anticipations), et surtout pas après le rebond de 1,6% de Tokyo et Hong Kong du début de la matinée.
La cassure du support des 3 740 points a déclenché une avalanche d’ordres de vente stop tandis que les acheteurs de la matinée cherchaient le chemin de la sortie. Ils se sont délestés du papier « au mieux » au cours de la dernière heure — et dans les pires conditions puisque les indices américains dévissaient alors de 1,8% en moyenne, le Nasdaq perdant 2,3%.
L’enfoncement des 3 700 points au fixing de clôture ajoutait encore au désarroi des investisseurs. Cela clarifiait toutefois le scénario baissier des chartistes, qui jugent imminent le retracement du plancher des 3 680 points des 27 et 30 novembre 2009 ; il ne manquait plus que 0,25% pour y parvenir jeudi soir au final.
Si ce support ne tient pas, l’étape suivante consisterait à combler le gap des 3 607 points du 3 novembre 2009 tandis que les tentatives de rebond semblent maintenant limitées par la présence de la MM100 vers 3 815 points. L’ex-support devient résistance et un rebond jusque dans la zone des 3 850 points semble une hypothèse optimiste si les marchés deviennent allergiques à la moindre contrariété… La première d’entre elle serait la non reconduction de Ben Bernanke à la tête de la Fed.
Nous comprenons l’état d’esprit des 15 sénateurs (sur 100 votants) qui ont déjà fait savoir qu’ils désobéiraient aux directives des leaders de leur parti respectif et voteraient contre l’obtention d’un second mandat ; ils puisent allègrement dans la longue liste des griefs des rédacteurs de nos chroniques. Cependant, nous ne croyons pas à la réussite d’un putsch car trop d’élus du Congrès savent ce qu’ils doivent aux banquiers de Wall Street — et donc indirectement à Ben Bernanke, leur icône et le meilleur allié dont ils puissent rêver.
▪ La chute de Wall Street a selon nous valeur de coup de semonce. Elle sert d’avertissement, avec quelques faux frais destinés aux détracteurs d' »Helicopter Ben » : l’optimisme ambiant en a pris un coup et quelques acheteurs se sont faits tailler en pièce par deux fois en l’espace de 48 heures (et beaucoup plus sévèrement ce jeudi)… mais cela n’avait rien d’irrémédiable.
La preuve, les indices ont commencé à se redresser (vers 19h) dès que le Sénat US a pu fixer l’heure du vote (un peu après 22h) qui doit confirmer le patron de la Fed dans ses fonctions.
La plupart des commentateurs ont constaté le renforcement d’un courant vendeur depuis le 11 janvier dernier. Ils perçoivent une sourde inquiétude relative au rythme de la reprise économique aux Etats-Unis (même si la Fed troque l’adjectif « lente » contre « modérée »), mais jugent le trou d’air de jeudi inexplicable sur la seule base des statistiques du jour.
▪ La crise grecque est aussi une thématique récurrente dans les salles de marché où opèrent les cambistes. Cependant, elle n’inquiétait pas grand monde lorsque le CAC 40 séjournait au-dessus des 3 800 points (il s’y est maintenu durant plus de deux heures et demi jeudi matin).
Même si l’Europe ne donne pas le sentiment de parler d’une seule voix concernant ce dossier chaud (c’est même la cacophonie), l’euro n’est pas en danger. La Grèce n’est pas l’Islande, ni même l’Angleterre, le plus grand réservoir d’actifs toxiques du Vieux Continent.
Une véritable inquiétude émerge au sujet des banques britanniques et de la notation de la dette du Royaume-Uni… mais ce n’est pas un fait nouveau. D’où provient alors la poussée d’aversion au risque que nous constatons ? Nous en revenons au cas Bernanke et à cette déclaration de Warren Buffett : « prévenez-moi la veille si le patron de la Fed doit quitter ses fonctions : dans ce cas, je vends tout ! »
Mais le sage d’Omaha n’a pas tout vendu mercredi soir : Wall Street aurait plongé de 5%. Nous parions qu’il est bien renseigné — la fin du suspense devrait être saluée comme il se doit.
Il n’en demeure pas moins que de nombreux opérateurs poursuivent le débouclement de leurs positions spéculatives en carry trade. Le dollar grimpe vers 1,3960/euro. Parallèlement, l’euro rechute vers des niveaux qui n’avaient plus été observés depuis la mi-juillet : le CAC 40 flirtait alors avec les 3 000 points.
L’idée selon laquelle les banques centrales ne peuvent rien contre la tension des taux liée à la surabondance de dette (ni les doutes concernant leur solidité) fait son chemin. Il en va de même pour le sentiment de découvrir une vaste imposture concernant les effets bénéfiques de la « reprise »… qui se traduit surtout par une multiplication des bulles d’actifs.
▪ La conjoncture n’est en effet pas si brillante outre-Atlantique. Les commandes à l’industrie américaine n’ont progressé que de 0,3% en décembre en raison de la faiblesse inattendue du secteur aéronautique civil (baisse des réservations chez Boeing notamment).
Ce timide rebond succède au recul de 0,4% observé en novembre (révisé de -0,7%) alors que le consensus tablait sur une augmentation de 2,0%. Hors secteur des transports, les commandes ont progressé de 0,9%, ce qui en revanche est supérieur aux 0,5% anticipés.
Les inscriptions hebdomadaires au chômage ont reculé de 8 000 aux Etats-Unis lors de la semaine du 23 janvier. Cependant, la moyenne mobile à quatre semaines a augmenté de 9 500 inscriptions, pour atteindre les 456 250 (selon le département du Travail US).
Rien « d’horrible » donc sur le front macro-économique. S’il faut chercher une explication du côté des mauvais trimestriels de Qualcomm, avec un bénéfice inférieur aux attentes… il serait juste de se montrer aussi attentif et réactif aux profits inespérés de Nokia — qui s’envolait de 10% sur les places du Vieux Continent.
▪ Wall Street ne connaissait pas le résultat du vote du Sénat US au moment de la clôture. Ben Bernanke est reconduit sans surprise pour un mandat de quatre ans… mais les avis furent loin d’être aussi unanimes que lors des quatre renouvellements de mandat consécutifs de son prédécesseur et mentor, Alan Greenspan.
Le président de la Fed a obtenu 70 voix sur 100, contre 77 lors du premier tour de scrutin préliminaire au Congrès. Son « laisser-faire » avant la crise aurait dû le disqualifier pour un second mandat. Cependant, la discipline politique (les deux chefs des partis démocrate et républicain avait appelé à sa réélection) a fini par occulter la controverse… et le voici réélu.
Peu importe qu’il s’engage à maintenir le prime rate sous les 0,15% pendant encore six ou neuf mois. Beaucoup de gérants interviewés à Wall Street ne semblent plus croire à l’argent éternellement gratuit ni à une reprise suffisamment vigoureuse pour justifier les cours actuels.
▪ Le Dow Jones a lâché au final 1,15%, à 10 120 points — au plus bas depuis le 9 novembre 2009. Le Nasdaq a plongé quant à lui de 1,91%, à 2 179, avec 90% de titres en repli ; le support des 2 200 points est enfoncé pour 1% environ, mais la MM100 qui gravite vers 2 175 points a tenu bon.
Pour ceux qui surveillent l’évolution des courbes et les seuils techniques moyen terme, le Nasdaq représente un cas très intéressant. L’indice a en effet retracé les 2 167 points en séance — c’est son ancien zénith annuel du 23 septembre 2009 ainsi que la zone de résistance du 14 au 20 octobre dernier. Si un rebond permettant de préserver la tendance haussière doit se matérialiser, c’est maintenant ou jamais.
Le mois de janvier s’achève aujourd’hui. Si les pertes cumulées dépassaient effectivement 3% sur le Dow Jones et 4% sur le Nasdaq, les derniers acheteurs de la période du 18 décembre 2009 au 11 janvier 2010 pourraient bien décider d’arrêter les frais… et ce sont les plus optimistes qui deviendraient malgré eux les fossoyeurs de la tendance haussière.