La Chronique Agora

Entre coup d’état, coup d’éclat et coup de tabac… la séance de vendredi vaudra son pesant d’or

▪ La nouvelle est tombée juste après la clôture de Wall Street, alors que les indices américains venaient de grimper de 0,65% à 0,8%. La Fed a annoncé une hausse surprise du taux d’escompte : +50 points de base, de 0,25% à 0,75%. Elle imite ainsi en quelque sorte la Banque centrale de Chine qui avait annoncé il y a tout juste un mois une hausse substantielle de la rémunération des liquidités excédentaires détenues par les banques.

C’est une manière relativement indolore d’éponger les surplus d’argent en circulation. En effet, cette mesure n’a pas d’impact négatif sur le taux de refinancement des banques ni sur le coût des prêts consentis aux clients particuliers ou institutionnels.

Une hausse du discount rate (son appellation anglo-saxonne) ne renchérit pas le crédit mais le raréfie. Une banque finira par s’interroger sur l’opportunité de prêter — souvent avec une faible marge lorsque les taux sont très bas. Elle décide souvent de placer sans risque sa trésorerie avec un bonus de 50 points par rapport au taux officiel (qui se situe dans une fourchette de 0 à 0,25%… et s’est stabilisé vers 0,13% depuis un an).

La méthode et le timing adopté par la Fed sont très inhabituels, d’autant que les derniers communiqués lus par Ben Bernanke n’évoquaient que l’ébauche d’une réflexion sur les mesures de normalisation de la politique monétaire américaine. L’unanimité sur la mise en place d’une stratégie de sortie semblait acquise, mais les membres de la Fed ne paraissaient pas encore tous sur la même longueur d’onde en terme de moyens… et encore moins sur le calendrier.

▪ Rien ne laissait transparaître une action imminente… si ce n’est peut-être cette faiblesse persistante de l’euro, alors que le rideau était en grande partie retombé sur le psychodrame budgétaire grec depuis le week-end dernier.

Le rebond du dollar contre toutes les devises aurait dû nous alerter. Mais cela faisait des semaines que sa remontée était mise sur le compte d’une aversion au risque, confirmée par l’envol symétrique de l’indice de stress VIX. Cela se traduisait fort logiquement par un débouclage des carry trade euro/dollar ou yen/dollar.

Comme beaucoup de cambistes ces derniers jours, nous n’y avons vu que du feu. Nous avons creusé la piste des soupçons de dissimulation de dette de la part de pays qui auraient pu être tentés d’imiter la Grèce — cette dernière a réussi à masquer la réalité de ses déficits et de ses engagements extérieurs aux yeux de Bruxelles de 2001 à 2004.

▪ La journée boursière avait débuté sur une note de faiblesse. Elle pouvait s’expliquer par la rechute de l’euro vers de nouveaux planchers annuels (1,355 $ et 1,3530 jeudi soir), mais les places européennes ont finalement réussi à s’en accommoder. Elles ont terminé sur une progression moyenne de 0,6%, au contact de leur plus haut du jour : l’Euro-Stoxx 50 se rapproche de la résistance des 2 800 points.

Le CAC 40 a donné le sentiment de plafonner sous les sommets de la veille. L’indice parisien a multiplié les tests des 3 750 points — avant d’en terminer sur un gain de 0,6% à 3 748 points, dans un volume de 3,7 milliards d’euros légèrement inférieur à celui de la veille.

La seule évolution de cours véritablement remarquable de la fin de journée concernait le baril de pétrole. Il s’est adjugé 1,2% à 78,5 $, et retrouve ses meilleurs niveaux depuis le 12 janvier.

Les stocks de fioul baissent mais ceux d’essence augmentent… il s’agit d’un simple phénomène de glissement des modes de consommation liés aux récentes intempéries. Les Américains chauffent d’avantage mais conduisent beaucoup moins (souvenez-vous de ces reportages montrant les principales artères de Washington désertes et des aéroports fermés durant 48 heures autour de la capitale).

▪ A Wall Street, l’optimisme des investisseurs a été soutenu par l’indice « Philly Fed ». Ce dernier est ressorti à 17,6, contre 15,2 en janvier, illustrant une légère accélération de la croissance de l’activité industrielle dans la région de Philadelphie.

L’indice des indicateurs avancés américains calculé par le Conference Board a enregistré une dixième progression consécutive (de 0,3%) au mois de janvier. Cela peut sembler modeste après une hausse révisée de 1,2% en décembre… mais les économistes anticipaient en moyenne une hausse de seulement 0,2% pour le mois de janvier.

Déception en revanche du côté de l’emploi américain. On enregistre une forte hausse des inscriptions hebdomadaires aux allocations chômage : +31 000, à 473 000, alors que les économistes tablaient en général sur un repli vers 430 000 ou 420 000.

Enfin, les prix à la production industrielle ont de nouveau augmenté, de 1,4% au mois de janvier, au lieu de 0,9% anticipé par les économistes — cela donne un taux annualisé de 4,6% qui aurait de quoi impressionner J.-C. Trichet. Hors alimentation et énergie, l’indice des prix de gros progresse de 0,3%, contre un consensus de 0,1%.

Ce sont peut-être ces derniers chiffres qui ont incité la Fed à agir beaucoup plus précocement que prévu en relevant son taux d’escompte : le prétexte des pressions inflationnistes ne pouvait être valablement contesté par personne.

▪ L’autre mouvement de cours qui a attiré notre attention concernait l’or. A peine le FMI avait-il annoncé son intention de céder un solde de 191,3 tonnes d’or sur un programme de vente de 403 tonnes que le métal précieux rebondissait très vite sur les 1 100 $ l’once pour regrimper vers 1 120 $ (et terminait la séance en hausse de 1%).

Le fonds présidé par Dominique Strauss-Kahn a déjà vendu un total de 212 tonnes que se sont partagé l’Inde, l’Ile Maurice et le Sri Lanka, pour un montant total d’environ 7,2 milliards de dollars. Cela fait apparaître une plus-value de quatre milliards et demi de dollars… encore faudrait-il corriger la valeur du billet vert de l’inflation, ce qui pourrait faire apparaître l’opération moins mirobolante que le suggère le montant brut.

Comme nous l’avons déjà souligné, 200 tonnes d’or à l’échelle des besoins de diversification des réserves de la Chine (2 250 milliards de dollars), c’est une « Opération pièces jaunes » ! A 35 000 $ le kilo (35 millions de dollars la tonne et 3,5 milliards les 100 tonnes), Pékin pourrait préempter 20 fois le montant vendu par le FMI ces prochains jours avant d’atteindre un objectif de 5% des encours détenus par la Banque centrale.

Mais la Chine n’agira certainement de façon aussi voyante. Ce serait envoyer aux marchés un signe de défiance majeure envers le papier monnaie (sous forme de créances diverses libellées en dollars, euros ou yens)… dont elle détient désormais les plus gros stocks mondiaux, loin devant le Japon. Ce dernier venant cependant de récupérer le statut — peu enviable à notre avis — de premier porteur mondial de dette américaine.

▪ Et pendant que quelques centaines de tonnes d’or s’apprêtent à changer de mains, un coup d’Etat se déroule en ce moment même au Niger. Le président en exercice, Mamadou Tandja, ainsi qu’une partie du gouvernement, auraient été capturés par des mutins ayant à leur tête le commandant Amadou Arouna.

L’actuel président, après 10 ans passés à la tête du pays, aurait dû laisser les rênes du pouvoir à un successeur en décembre dernier. Il avait toutefois fait passer au mois d’août dernier un amendement à la constitution lui permettant de se maintenir à son poste durant trois années supplémentaires.

Il faut dire qu’à l’issue d’âpres négociations — et après bien des brouilles entre Paris et Niamey — le géant du nucléaire Areva avait annoncé début janvier la conclusion d’un accord d’exploitation semi-exclusif des énormes gisements d’uranium d’Imouraren (sous forme de co-entreprise avec l’Etat nigérian). Ces gisements valent largement autant qu’une grosse mine d’or en Afrique du Sud en termes de revenus annuels.

L’affaire est sérieuse : Areva a déjà investi des centaines de millions d’euros, et le Quai d’Orsay n’a pas ménagé ses efforts depuis deux ans pour dissuader Mamadou Tandja de se jeter dans les bras de la Chine ou de l’Iran. Il s’agissait également d’ apaiser les tensions au sujet des suspicions — assez paradoxales — de soutien aux rebelles touaregs qui revendiquent une part des revenus et des emplois générés par la mine d’Arlit (laquelle procure une bonne partie de l’uranium consommé par la France depuis 50 ans).

La nouvelle compagnie, détenue à 66,65% par Areva et 33,35% par le Niger, devrait démarrer l’exploitation du gisement d’Imouraren en 2012. La production annuelle est estimée à 5 000 tonnes durant au minimum 20 ans et plus probablement 35 ans ; le Niger accéderait ainsi rapidement au rang de deuxième producteur mondial.

Lorsqu’un coup d’Etat survient en Afrique et que des richesses d’un intérêt stratégique sont en jeu, il est toujours très difficile de savoir qui tire les ficelles. Il s’agit toujours de périodes diplomatiquement très délicates… en l’occurrence, la France joue rien moins que son indépendance énergétique !

Compte tenu du premier geste inattendu de la Fed, du rebond tout aussi imprévu de l’or et du coup d’Etat qui a pris tout le monde par surprise au Niger, la séance d’aujourd’hui pourrait donner lieu à un scénario qui, pour une fois, ne donnera pas l’impression d’avoir été écrit à l’avance par les initiés.

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