La Chronique Agora

Entendez-vous ces joyeux coassements ?

** La bourse de Paris a amorcé hier une consolidation sans grande intensité (-0,5%) après deux tests consécutifs des 4 920 points en moins de 24 heures, ce qui apparaissait comme largement prévisible après une envolée de 440 points en l’espace de six séances.

Wall Street avait marqué le pas mercredi soir, après bien des hésitations. Les opérateurs s’étaient, en effet, montrés peu déstabilisés par les propos de Ben Bernanke au sujet de la « contraction » de l’activité économique et du grand péril systémique qu’il avait su écarter en orchestrant le rachat de Bear Stearns par J.P. Morgan car « les conséquences d’une banqueroute de Bear Stearns auraient pu s’avérer… désastreuses ».

Nos Chroniques sont parfois jugée exagérément alarmistes au sujet de la crise des subprime mais nous prenons garde de ne pas faire usage du mot désastre à tort et à travers ! Si le patron de la Fed l’a publiquement employé sur la colline du Capitole, c’est qu’il a dû estimer que les termes « désagréable », « indésirable », « fâcheux » étaient un peu trop faibles, tandis que « cataclysmique » ou « apocalyptique » — quoique parfaitement pertinents en la circonstance — auraient été jugés déplacés ou un brin excessifs dans la bouche du premier banquier de la planète.

Le scénario d’une récession s’étendant sur deux ou trois trimestres consécutifs étant largement intégré, la question cruciale concerne désormais son intensité. Si les chiffres de l’emploi constituent un des mètres étalon de la conjoncture, la journée d’aujourd’hui permettra d’y voir plus clair car des signaux contradictoires se sont succédés au cours des dernières 48 heures.

Après la diffusion de l’enquête d’ADP mercredi dernier — qui recense 8 000 créations de postes dans le secteur privé — l’optimisme est brusquement retombé hier avec la révélation aux Etats-Unis d’une spectaculaire hausse des inscriptions au chômage. Elles ont augmenté de 38 000 (à 407 000) à l’issue la semaine du 29 mars et la moyenne mensuelle a fait un bond inattendu de 15 400.

La déception causée par ces chiffres n’a été que partiellement compensée par un redressement inattendu de l’indice ISM des services. Le baromètre de l’activité dans le secteur tertiaire — qui représente 80% du PIB américain — a en effet rebondi à un niveau de 49,6 soit une amélioration de 0,3 point par rapport au mois de février, au lieu d’une dégradation anticipée en direction de 49.

** En Europe, nous ne fondons guère d’espoirs sur une embellie dans le secteur des services. Les signes de ralentissement économique se multiplient et nous en voulons pour preuve le net recul de 0,5% des ventes de détail en Zone euro (-0,8% hors alimentation).

Voilà qui contredit la thèse du découplage défendue par la BCE, mais également par Christine Lagarde. Notre ministre de l’économie s’est ainsi lancée hier dans un vibrant hommage rendu à la rigueur dont fait preuve J.C. Trichet en matière d’inflation et à sa maestria dans la mise en oeuvre de mesures de soutien au système financier.

Elle s’est félicitée de la coordination des efforts des banques centrales ; elle non plus n’ose pas employer de terme de coopération entre la BCE et la Fed… de toute façon, vous n’y croiriez pas compte tenu de ce que vous savez du « couac » du 22 janvier dernier.

** Si les craintes d’un effondrement du système financier se sont progressivement apaisées depuis le 17 mars dernier, l’euphorie consécutive à l’augmentation de capital d’UBS et Lehman, mardi dernier, s’est largement dissipée hier.

Le secteur bancaire européen a souffert dans son ensemble des commentaires pessimistes des analystes de Citigroup, qui indiquaient dans une note diffusée jeudi matin que les banques françaises pourraient être amenées à enregistrer 4,2 milliards d’euros de provisions supplémentaires après les 9,5 milliards d’euros de provisions déjà comptabilisés en 2007.

Les analystes de Lehman Brothers — nullement dissuadés d’appuyer là ou ça fait mal au lendemain de l’augmentation de capital en catastrophe de quatre milliards de dollars annoncée par leur firme le 1er avril — ont revu à la baisse leurs objectifs de cours et leurs prévisions de résultats sur les banques d’affaires Goldman Sachs, Morgan Stanley, Merrill Lynch et Bear Stearns. Cette baisse a pour causes la perte de gros clients au cours des derniers jours et le constat que les revenus provenant des activités liées au secteur des crédits structurés et du financement des LBO ont chuté de 75% à 90% en un an, alors qu’aucun rebond n’est anticipé en 2008.

** Wall Street ne s’en est pas laissé compter et s’est empressé de reprendre le terrain perdu à l’ouverture (pas plus de 0,3%). Le compartiment des valeurs bancaires américaines a suivi le mouvement et clôturait à l’équilibre, tout comme le reste de la cote.

Après une demi-douzaine de séances boursières placées sous le signe de puissantes rafales de rachats à bon compte et entrecoupées de quelques brèves giboulées de mauvaises nouvelles macroéconomiques, un ciel de traîne, mêlant timides éclaircies et passages nuageux, s’est instauré sur le NYSE depuis mercredi.

Hier, affectés par l’instauration d’une sorte de marais barométrique et l’évaporation de la volatilité, les écarts maximums observés en séance furent anecdotiques ; ils apparaissaient comme carrément infinitésimaux au coup de cloche final puisque le Dow Jones grappillait 0,15% alors que le S&P 50 et le Nasdaq flirtaient avec les +0,1%.

** La petite grenouille que nous avons capturée samedi dernier dans un bassin décoratif creusé en face de l’Espace Cardin — il fallait bien ramener un souvenir un peu décalé du Salon de l’Analyse Technique — émet de joyeux coassements dès que nous lui montrons la courbe haussière du CAC 40 depuis le 17 mars dernier. Par contre, elle se contente d’émettre quelques petites bulles gluantes lorsque nous présentons le graphique de l’once d’or qui vient de chuter de 150 $ avant de refranchir de peu les 900 $ mercredi soir.

En fait nous ne savons pas si notre grenouille reste verte tant que les marchés montent et si elle devient rouge lorsqu’ils baissent — nous savons que certains batraciens sont doués de la faculté de camouflage chromatique.

Philippe Béchade,
Paris

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