La Chronique Agora

En cas de panne de liquidités… faites le plein avec VISA

** Si vous tentez d’expliquer à un analyste technique que tout ce que vous avez lu dans nos Chroniques concernant les difficultés des Etats-Unis est en dessous de la vérité, il aura beaucoup de mal à vous croire. Ses graphiques lui démontrent que rien de très fâcheux ne semble perturber Wall Street au sortir de l’hiver 2008 : le Dow Jones se retrouve très précisément au même niveau que le 19 mars 2007, à 12 230 points — et même un peu plus hier soir, à 12 280 points avant le communiqué de la Fed.

Le Dow Jones n’a donc jamais vraiment menacé son plancher du 14 mars 2007, à 11 940 points. Comment dès lors se figurer que l’Amérique est « au bord » de la récession pour la version officielle, puisqu’elle est largement avérée depuis décembre 2007 ? Comment imaginer que les glorieuses banques d’affaires de Wall Street et les maisons presque centenaires comme Bear Stearns sont au bord du dépôt de bilan ? Cinq années de délire dans le secteur des dérivés de crédit ont suffi à ruiner les 75 années d’efforts et de croissance qui ont suivi le krach de 1929.

Avec hier des gains compris entre 1,5% en Asie et 3,5% en moyenne en Europe et aux Etats-Unis, c’est à se demander si les stratèges ne viennent pas soudain de réaliser qu’ils faisaient fausse route en propulsant le CAC 40 vers les -21,5% depuis le 1er janvier tandis que le Dow Jones refusait obstinément de passer le cap des -10% et le S&P 500 celui des -15%.

La Fed a donc jugé que la situation n’était pas à ce point critique qu’il lui faille abaisser son taux directeur de 100 points. Elle s’est contentée de le réduire dans les proportions que les marchés prévoyaient encore jeudi dernier — c’est-à-dire de 75 points, à 2,25% — avant l’annonce de la faillite puis du rachat en catastrophe de Bear Stearns.

** Ben Bernanke indique que le risque principal demeure à ses yeux — qui ne doivent pas être dotés des mêmes pupilles que la BCE — celui du ralentissement économique. Il continuera donc de combattre non pas l’inflation, mais la récession et la crise de liquidités. Wall Street s’est montré quelque peu déçu sur le coup ; l’avance du Dow Jones est passée en quelques secondes de 2,5% à 1,5% (pour tout reprendre en moins d’une heure et gagner au final 420 points) tandis que le S&P explosait à la hausse de 4,25%.

La Fed observe avec attention les chiffres de l’inflation mais en anticipe un tassement progressif au cours des prochains mois. Les prix à la production ont augmenté en février de 0,3%, comme attendu (soit +6,4% sur un an)…Hors alimentation et énergie, cependant, l’indice n’a progressé que de 2,5% en rythme annuel malgré un bond de 0,5% par rapport au mois de janvier, soit la plus forte hausse depuis le mois de novembre 2006.

Sur le front de la crise immobilière, pas d’embellie en vue avec une nouvelle chute de 7,8% des demandes de permis de construire en février (en rythme séquentiel) : en année pleine, elles s’effondrent de 36,5%. Les mises en chantier sont ressorties en baisse de 0,6% (à 1,065 million d’unités) le mois dernier aux Etats-Unis : elles s’inscrivent ainsi en chute de 28,4% par rapport à février 2007.

Henry Paulson — qui s’exprimait en marge de sa réunion avec George Bush — ne mentionne même pas le danger d’une instabilité des prix. Il reconnaît que l’économie américaine est en net ralentissement mais se garde bien de prononcer le mot « récession » : ce qui importe, pour lui, c’est de limiter les retombées de la crise financière actuelle à l’économie réelle.

De telles déclarations et les dernières mesures d’allocations d’urgence de liquidités par la Fed alimentent les spéculations d’un assouplissement des taux directeurs américains à 1,50% d’ici la fin du premier semestre 2007. De notre côté, le taux « repo » pourrait être envisagé à 3,5% si la BCE consentait à s’autoriser de penser que cette option devait être mise à l’étude… avant que ne lui parvienne le fracas d’une économie européenne qui va droit dans le mur.

** Le fol espoir d’un geste de la BCE a probablement fortifié la main des acheteurs sur le marché parisien hier. Le CAC 40 n’est pas parvenu à effacer la totalité de ses pertes de la veille, mais il affichait tout de même un score de +3,42% (contre -3,51% lundi) après avoir culminé vers 4 593 points à moins d’une heure de la clôture.

Lundi dernier (journée traditionnellement creuse) pas moins de 8,5 milliards d’euros s’étaient échangés contre « seulement » 7,2 milliards mardi (journée souvent plus active). Le rebond du CAC 40 reste d’ordre technique et ne s’apparente pas encore à une lame de fond. L’Eurotop 100, qui s’était effondré de 4,45% la veille, n’a repris que 3,7% et demeure en fâcheuse posture.

Si la cassure collective des supports biannuels (2007 et 2008, et même de juin 2006) n’a pas débouché sur une spirale baissière, l’alerte reste à prendre au sérieux. En effet, le 17 mars, l’Eurotop 100 a enfoncé très nettement son palier de soutien des 13 et 14 juin 2006 à 2 630 points, puis son plancher de clôture des 10 et 13 mars 2008 (2 625 points) et enfin son plus bas annuel du 21 janvier à 2 570 points. On pourrait même envisager un rebond immédiat sur son plus-haut du 12 mars, voire du 22 janvier (2 740 points). Le zénith de fin janvier et fin février (2 870 points environ) semblent pour l’instant hors d’atteinte. D’un autre côté, la cassure du corridor 2850/2620 pourrait nous ramener sur les 2 390 — la résistance testée du 15 février au 26 mai 2005.

L’indice phare paneuropéen avait même ouvert un gap sous les 2 608 points le 14 mars avant de plonger en quelques heures sur les 2 506 points, une zone qui n’avait plus été testée depuis le 29 août 2005. Il clôturait à 2 508,5 points, sa plus basse clôture depuis le 12 juillet 2005.

Un rebond immédiat en direction des 2 710 points (zénith du 12 mars) se dessine. L’indice pourrait même retracer les 2 740 points (clôture du 22 janvier)… mais les 2 876/2 870 points (zénith de toute fin janvier puis de fin février) semblent hors d’atteinte, sauf en cas de débordement des 2 750 points (résistance oblique baissière de moyen terme).

La cassure de la base du corridor 2 850/2 620 points induit un risque de déclenchement d’une seconde vague de correction jusqu’aux 2 400 points (plancher intraday du 7 juillet 2005, et ex-zénith du 8 juillet 2002) ou des 2 390 points (résistance testée du 15 février au 26 mai 2005).

** Mais cette perspective est remise à plus tard car outre le rebond explosif des indices américains mardi, les opérateurs vont pouvoir s’extasier sur l’introduction (IPO) très réussie du numéro 1 mondial de cartes de crédit VISA — en pleine tourmente financière et crise de confiance planétaire.

VISA a levé mardi soir 18 milliards de dollars (11,5 milliards d’euros), les investisseurs se sont arrachés les 406 millions d’actions, émises à un prix de 44 $ — au-delà de la fourchette indicative de 37 à 42 $.

Avec l’exercice d’une option de surallocation, VISA pourrait engranger un peu plus de 19,7 milliards de dollars… et prétendre au titre de vice-champion mondial des IPO, juste derrière ICBC (Industrial & Commercial Bank of China) en 2007.

Vous avez dit crise de liquidités ?

Philippe Béchade,
Paris

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