La Chronique Agora

En 1987 au moins, la Fed avait un plan et des munitions !

** Le Congrès américain aurait donc voulu signifier à l’administration Bush qu’une nouvelle ère venait de s’ouvrir ? En tout cas, il a rejeté de façon cinglante un plan de sauvetage mal ficelé, présenté comme le seul rempart face à une catastrophe longtemps niée mais qui devient soudain la plus impérieuse des menaces.
 
D’après un tout récent sondage datant du week-end, 75% des citoyens américains sont opposés au plan Paulson : non parce qu’il représente un sacré paquet d’argent (3 750 $ par contribuable)… mais parce qu’il est destiné à regarnir les coffres d’entreprises financières qui ont poussé une partie de leur clientèle dans le piège des subprime et nombre de gérants de fonds de retraite dans celui des rendements monétaires ou obligataires mirobolants et soi-disant "sans risques".
 
Ainsi, en ce lundi 29 septembre, le vieux ressort de la peur, le recours au mécanisme de la réaction instinctive et viscérale aurait cessé de fonctionner. Plus question de bombarder les plus prestigieuses firmes de Wall Street de liquidités comme les palais et casernes de Saddam Hussein de missiles à la mi-mars 2003.
 
L’Irak fut pris sous un déluge de feu suite à la production de faux rapports sur des armes de destruction massive menaçant les Etats-Unis. Imaginez-vous un seul instant que l’ex-allié des USA ait jamais eu les moyens de faire trembler simultanément Wall Street, la City de Londres, Hong Kong et les piliers de la finance helvétique ou germanique sur leurs bases ?
 
Les banques américaines, en revanche, possédaient tout un arsenal de "destruction massive de valeur" d’une puissance jamais égalée dans l’histoire du capitalisme… Il n’y a qu’à voir les dégâts infligés à la finance mondiale jusqu’à 20 000 kilomètres de distance de Wall Street : c’était des vecteurs furtifs mais à très longue portée !
 
Le peuple américain ne se sent soudain plus très rassuré d’être gouverné par une administration qui n’a non seulement pas su prévenir "la pire crise depuis 29" mais qui a menti sur son caractère contagieux. Les Américains sont surtout inquiets de constater que si la planète se réchauffe du fait de la surconsommation d’énergie aux Etats-Unis, le gel du marché du crédit risque de les précipiter soudain vers l’âge de pierre du capitalisme, sans passer par la phase "ralentissement progressif du cycle économique".
 
** Il devient clair pour la majorité des investisseurs que le krach d’octobre 1987 ne constitue plus une référence pertinente. Le Dow Jones avait perdu 522 points ce jour-là… il a plongé ce lundi 29 septembre d’un montant algébrique sans précédent de 777 points (-7%). Le Nasdaq affichait de son côté un score jamais observé de -200 points, à 1 983 — soit -9,15%, la plus forte chute de son histoire. Le S&P 500 a dévissé de 106 points, à 1 106 points, soit -8,8%.
 
Contrairement au scénario observé le 18 puis le 23 septembre, les opérateurs ne sont pas venus chercher leur salut sur le marché des commodities — des actifs "tangibles" et non virtuels. Là aussi, les liquidations ont pris une tournure apocalyptique et le baril s’est effondré de 11%, passant à 95,50 $.
 
D’après les impressions glanées auprès des professionnels opérant à Wall Street, de nombreux hedge funds seraient en train de liquider leurs positions "à tout prix", compte tenu du risque de ne plus trouver le moindre financement pour financer leurs activités au cours des toutes prochaines heures.
 
Et en face des ventes panique… il n’y a plus aucun vendeur pour se racheter (les shorts ayant été bannis) et stopper la débâcle des cours. L’interdiction des ventes à découvert — présentée comme nécessaire tant sur le plan technique que le plan éthique — s’avère sans aucune efficacité pour prévenir une série de faillites qui ne se limite plus cette fois-ci au seul territoire américain.
 
** La journée de lundi a été marquée dès les premières heures du jour par l’effondrement de Wachovia aux Etats-Unis, de Bradford & Bingley à la City, d’Hypo Real Estate en Allemagne, de Fortis et Dexia au Benelux, de Natixis en France… Telle est la longue liste des banques en situation de dépôt de bilan de retour du week-end des 27/28 septembre.
 
Chacune d’entre elles a été secourue dans l’urgence, soit par le biais d’une nationalisation, soit d’une reprise de certaines activités bancaires et d’un montant de dettes garanties par l’Etat, soit d’une injection massive de capitaux, soit de l’engagement formel des actionnaires de référence à garantir une continuation opérationnelle ainsi que les dépôts des épargnants.
 
Contrairement au cas Lehman qui a fait faillite à la mi-septembre — avec la bénédiction de la Fed, du Trésor US et la FDIC — chacune des banques en déconfiture en cette fin septembre représente un "risque systémique majeur" qui doit être traité avec énergie et détermination (comme ce fut le cas pour AIG, Washington Mutual et Merrill Lynch la semaine précédente).
 
Alors que le monde de la finance était secoué tous les cinq ou 10 ans par une faillite retentissante (Drexel Burnham, Crédit Lyonnais, Banco Ambrosiano, LTCM, Barings) assimilable à un accident industriel, voici que le rythme s’accélère pour passer à plusieurs banqueroutes potentielles chaque semaine.

** Cette fois-ci, toutefois, trop c’est trop ; nombre de bourses européennes se sont effondrées dans des proportions jamais observées depuis le 19 octobre 1987 : Bruxelles affichait -8%, Amsterdam -8,9% et  la bourse de Dublin… -12,7%.

A Paris, une dernière rafale de ventes de précaution survenant au moment du "fixing" faisait définitivement rechuter le CAC 40 sous les 4 000 points, le score final basculant en quelques secondes de -4,5% vers -5,03% (plus forte baisse depuis le 21 janvier dernier). Une chute de -5%, c’est une correction majeure — la précédente remontait au 21 janvier, en pleine tourmente Kerviel — mais pas encore un vent de panique.
 
Qu’en sera-t-il ce mardi en Europe au lendemain du rejet par le Congrès américain du plan Paulson ? Les taux interbancaires continuent de se tendre, signe que le système s’est totalement figé. Les banques centrales s’avèrent incapables d’y remédier en prêtant (à 38 jours) des montants de liquidités jamais observés : 120 milliards d’euros rien que pour la BCE ce lundi.

La BCE a-t-elle jamais averti les marchés contre les périls de la bulle du crédit ? A-t-elle jamais prétendu combattre autre chose que l’inflation — sur laquelle son action n’a aucune prise dans un système globalisé ?
 
Comment imaginer qu’elle propose une riposte efficace contre un désastre financier qu’elle n’a jamais cru bon de dénoncer (à supposer qu’elle l’ait diagnostiqué) ?

Compte tenu de ce que nous constatons aujourd’hui, il est évident que la hausse du taux directeur de la BCE de 4% à 4,25% du début de l’été s’imposait pour nous éviter de "sérieux ennuis" en cas de non-respect des critères de Maastricht.
 
** Rendons grâces à Jean-Claude Trichet et à Ben Bernanke d’avoir entretenu l’illusion de leur compétence et de leur maîtrise des rouages de l’économie mondiale. Au moins, l’écrasante majorité de tous ceux qui ne nous lisent pas ont vécu heureux jusqu’aux ultimes moments du naufrage.
 
Seule la sensation de l’eau glacée s’engouffrant dans le Titanic les a soudain tirés d’une rêverie placée sous le signe de "la dérégulation qui est mère de la création de richesse", de "l’équilibre naturel qui s’instaure entre les intérêts égoïstes des individus et le bien de la collectivité"…
 
L’insouciance, cela n’a pas de prix… D’ailleurs les marchés — si arrogants dans tant de domaines — n’ont jamais prétendu être en mesure de le fixer !

Philippe Béchade,
Paris

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