La Chronique Agora

Elections US, G20, BCE : trois rendez-vous historiques en moins de 48 heures

** D’ici moins de 24 heures, place au rêve… au rêve américain — qui serait de retour avec Barack Obama, si l’on en croit les bookmakers britanniques : ils donnent le candidat démocrate largement vainqueur et son rival McCain à huit contre un… la plus faible cote pour un présidentiable républicain depuis la Seconde Guerre mondiale. Wall Street semble avoir "posé ses carnets" lundi soir pour aller voter ce mardi : les indices américains ont clôturé à l’équilibre et le Nasdaq 100 affichait un score final de très exactement 0,00% de variation.

Comme rien n’est plus pareil en cette année où l’économie comme les esprits sont bouleversés par la crise, les parieurs pourraient avoir tout faux et le ticket McCain/Palin ressortir gagnant… Cependant, cela paraît aussi improbable que de voir la colistière du vétéran du Viêtnam écrire une thèse faisant l’apologie du darwinisme ou un essai critique des ouvrages majeurs de Milton Friedman publiés entre 1950 et 1980 (lesquels ont converti les Etats-Unis et l’Angleterre à la version la plus radicale de l’ultralibéralisme dérégulé).

Nous regardons assez peu Fox-TV News — juste assez pour découvrir que l’équipe de campagne de John McCain continue d’user des procédés les plus malhonnêtes pour discréditer Barack Obama et son entourage (notamment des vidéos de déclarations de députés démocrates tripatouillées au montage, visant à accréditer l’athéisme ou des penchants vers l’islamisme du candidat démocrate).

Les "communiquants" qui soutiennent John McCain tentent de surpasser en matière de coups tordus, de spots diffamatoires et de sous-entendus nauséabonds tout ce que Karl Rove n’avait jamais osé pour faire réélire G.W. Bush en 2004.

Les démocrates ne sont pas des enfants de coeur non plus… mais pas au point de produire des spots aussi mensongers que leurs adversaires. Peut-être faut-il y voir un aveu d’impuissance et une fuite en avant qui s’inscrit dans la longue liste de manquements à l’intégrité et d’entorses à l’honnêteté intellectuelle qui ont caractérisé les deux mandats républicains qui s’achèveront fin janvier prochain.

Le discrédit des Etats-Unis est tel, sur le plan diplomatique et économique, qu’un état de grâce passager — ou un choc d’image — ne saurait y remédier en quelques semaines. "Quel que soit le vainqueur des élections de ce mardi, la tâche sera immense pour redresser l’Amérique", affirment la plupart des éditoriaux. Cependant, un examen lucide — voire décapant comme celui de Bill Bonner lundi — suffit à nous convaincre qu’il s’agit hélas d’une mission impossible.

** Examinons les faits — en commençant par le dernier indice des directeurs d’achats dévoilé lundi par l’Institute for Supply Management (ISM). Le baromètre chute de pratiquement 5 points, jusqu’à 38,9 en octobre contre 43,5 en septembre (au plus bas depuis 26 ans), alors que les économistes anticipaient en moyenne un score voisin de 41.

Les autres chiffres du jour aux Etats-Unis concernaient les dépenses de construction : elles ont reculé de 0,3% en septembre (mais le chiffre du mois d’août a été révisé à la hausse à +0,3%).

Le tableau n’est guère plus réjouissant en Europe : l’activité manufacturière s’y est une nouvelle fois contractée en octobre, les indices PMI s’inscrivant à leurs plus bas niveaux historiques en France et dans la Zone euro depuis 15 ans.

De son côté, la Commission européenne vient d’abaisser ses estimations de croissance pour les pays de l’Eurozone en 2008. Elle anticipe une récession en fin d’année, soit deux trimestres de recul de l’activité pour l’Union européenne et trois pour la Zone euro.

En 2009, en France, la croissance pourrait de nouveau être très proche du zéro pointé (et le déficit atteindra ou dépassera sans doute les 3%)… mais de telles perspectives confortent les anticipations de baisses successives des taux par la BCE.

Un premier geste semble acquis dès après-demain ; J.C. Trichet peut difficilement faire moins que son homologue Ben Bernanke, d’autant que la BCE dispose d’une marge de manoeuvre nettement plus importante.

La Banque centrale d’Angleterre pourrait également agir ce jeudi, alors que les baisses de taux se succèdent dans tous les pays : après la Fed, il y a eu la Banque de Chine (-27 points), celle de Norvège (-50 points), la Banque du Japon la semaine dernière (-20 points) et l’Inde aujourd’hui.

** Le vrai problème qui va se poser pour nos économies concerne le degré de répercussion des baisses de taux consenties par les instituts d’émission : les banques vont-elles en faire bénéficier les candidats à l’investissement immobilier ?

Pour se limiter à un marché que vous connaissez bien, c’est-à-dire le marché du crédit dans l’Hexagone, il est clair qu’au-delà de la frilosité des banques en termes quantitatifs, les conditions de taux pour l’accession à la propriété se dégradent sérieusement. Les prêts sont assortis de rendements de 5,15% en octobre contre 5,08% en septembre… alors que les marchés anticipaient déjà une réduction de 50 points de base début octobre et de 100 points de base d’ici la fin de l’année. Sans nous avancer beaucoup, il semble raisonnable d’anticiper des taux directeurs flirtant avec les 3% avant mars prochain.

Comme la solvabilité des emprunteurs est mise à mal par les conditions que nous venons de décrire, la durée des prêts s’allonge, pour atteindre 221 mois en octobre contre 219 mois en septembre.

Le poids des mensualités s’est alourdi parallèlement de 7,5% en l’espace de 10 mois. A budget égal, cela représente l’équivalent d’un parking et d’une cave en moins pour l’acquéreur… ou des frais de notaires doublés (ce n’est heureusement pas le cas mais le budget s’en trouve amputé d’autant).

L’encours de crédits immobiliers s’est effondré à un niveau jamais observé en France au troisième trimestre : -26,5% par à la période correspondante en 2007… qui était déjà en net retrait par rapport à 2006, de -13% si notre mémoire est bonne.

Pour les neuf premiers mois de 2008, le volume de crédits immobiliers plonge de 16,5% par rapport aux trois premiers trimestres de 2007. Le taux de rejet de dossiers — qui avoisine 50% dans certains établissements — pulvérise un bien triste record historique.

Vous pourriez penser qu’aux Etats-Unis, c’est pire… mais s’il devient vraiment très difficile de trouver du crédit à New York, d’autres zones bénéficient de conditions plus clémentes (sud-est, centre, nord-ouest), alors qu’en France, le coup de frein est national.

** Les investisseurs font le pari que le gouvernement ne restera pas les bras croisés et que face à la menace d’une implosion sociale généralisée en Europe, les autorités de Bruxelles et la BCE lâcheront du lest sur la question des déficits.

Le strict respect des critères de Maastricht — censés nous épargner les turbulences économiques — est désormais sans objet : le monde d’où ont émergé les cadres économiques régissant l’action de la BCE n’existe plus.

Une nouvelle ère est d’ores et déjà en gestation et ses contours sont encore très flous. La réunion du G20 ce jeudi jettera peut-être les bases d’un nouvel ordre mondial, mieux régulé, auquel les Américains n’auront guère le loisir de s’opposer.

Le proche avenir s’annonce plein d’incertitudes, ce dont les marchés ont généralement horreur. Cependant, chacun est désormais convaincu que le pire serait de poursuivre dans la direction actuelle. La grande leçon de ces dernières heures sur les marchés financiers, c’est la soudaine chute de la volatilité, comme si le changement politique anticipé aux Etats-Unis avait désormais une vertu apaisante plutôt que l’inverse.

** Le Dow Jones a évolué dans une fourchette de 150 points contre plus de 300 vendredi et jeudi derniers et près de 400 points le mercredi 29 octobre — inutile de revenir sur les 900 points de variation du 28 octobre, c’était une journée totalement hors norme.

Si l’indice nikkei a repris plus de 6,25% ce mardi matin, c’est tout simplement par ce que la bourse de Tokyo était fermée lundi.

En Europe, la tendance pourrait demeurer positive pour une sixième séance consécutive aujourd’hui, du jamais vu depuis la mi-juillet 2008 et surtout depuis la période du 14 au 23 mars 2007 — et une série de hausses demeurée inégalée depuis 18 mois.

Philippe Béchade,
Paris

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