La Chronique Agora

L’effondrement du marché obligataire

A close-up of the US Treasury Department seal on a US $100 bill

Les marchés américains restent très sensibles aux signes de ralentissement, aux hausses de taux et à l’inflation. Et dans le sillage des baisses de taux de la Fed le mois dernier, les rendements ont augmenté, pas baissé.

Que se passerait-il si nous nous avions loupé le coche ? Et si la route nous menait vers le Japon ?

Supposons que la fin de la tendance primaire ne soit pas survenue en 2020-2022. Et s’il ne s’agissait que d’un autre pic intermédiaire dans le grand marché haussier des obligations qui a débuté en 1980 ? Dans ce cas, ne devrions-nous pas nous attendre à des taux d’intérêt plus bas à l’avenir, et non plus à des taux plus élevés ? Et à une inflation plus faible ? Et à plus d’endettement… voire beaucoup plus d’endettement ?

Cette hypothèse a l’avantage d’être très contrariante et difficile à suivre. L’idée est que, dans le monde entier, les grands pools d’investissement – tels que les compagnies d’assurance, les fonds de pension et les gouvernements eux-mêmes – utilisent les obligations du Trésor américain comme un refuge, un actif à long terme.

Certes, ils ont pris une raclée sur ces obligations en 2020-2022… mais ils croient maintenant que la crise de l’inflation est terminée. Ils pensent qu’elle a été causée par un événement unique, la crise du COVID. Elle ne se reproduira pas de sitôt… du moins c’est ce qu’ils croient.

Aujourd’hui, le monde a plus de 300 000 milliards de dollars de dettes, et plus de 400 000 milliards de dollars d’actifs. Mais il n’y a que 14 000 milliards de dollars de bons du Trésor américain à 2, 3, 5, 7 ou 10 ans en circulation. Toute crise non inflationniste – un marché baissier des actions, par exemple – devrait entraîner un achat massif de ces bons du Trésor, ce qui ferait grimper les prix et baisser les rendements.

Nous avons même un exemple… un modèle de ce qui pourrait arriver : le Japon.

Le marché boursier japonais s’est effondré en 1990. Il est entré dans un marché baissier qui a duré 22 ans. Les gens étaient heureux d’accepter les rendements très bas des obligations pour se protéger. Cela a permis au gouvernement de dépenser, d’emprunter et d’imprimer à une échelle presque inimaginable. Sa dette brute représente aujourd’hui 260% du PIB, soit plus du double de celle des Etats-Unis.

En 2009, le Japon affichait déjà un ratio dette-PIB de 200%. C’est à cette époque que le Financial Times a fait état de ce qui semblait être un naufrage imminent :

« Le Japon se lance dans une orgie de dépenses publiques, le gouvernement ayant annoncé mardi son intention d’émettre des obligations supplémentaires d’une valeur de 10 820 milliards de yens (110 milliards de dollars) pour financer son plan de relance de 15 400 milliards de yens (155 milliards de dollars), annoncé au début du mois. Les questions qui se posent sont les suivantes : cela fonctionnera-t-il et l’émission d’obligations sera-t-elle durable ? Comme le note Reuters, les obligations supplémentaires, bien qu’attendues, augmenteront les nouvelles émissions d’un tiers au cours de cette année fiscale pour atteindre un record de 44 000 milliards de ¥ (448 milliards de dollars), suscitant des inquiétudes parmi les investisseurs sur la façon dont le marché fera face à l’offre supplémentaire, et contribuant à augmenter les écarts de rendement des obligations.

En fait, le total des nouvelles émissions pourrait finalement atteindre 16 900 ¥ (172 milliards de dollars) d’obligations, selon un projet de plan gouvernemental obtenu par Reuters. C’est beaucoup pour une économie dont le ratio dette/PIB frôle déjà les 200% (même si elle dispose de l’un des plus grands gisements d’épargne au monde).« 

Mais l’accident n’a jamais eu lieu.

Nous ne prétendons pas savoir pourquoi. Le Japon est peut-être spécial. Il nous a donné le hara-kiri, les kamikazes et les sushis. Au moins deux soldats japonais de la Seconde Guerre mondiale ont tenu bon dans la jungle pendant trente ans après la fin de la guerre. Et pourtant, ses habitants n’ont pas eu d’enfants. JapanTimes rapporte :

« La population japonaise a diminué pour la quinzième année consécutive, le pays continuant à se débattre avec un taux de natalité chroniquement bas, selon un rapport annuel publié mercredi par le ministère des Affaires intérieures. Le nombre de résidents japonais a diminué de 861 000 (0,7 %) par rapport à l’année précédente, ce qui représente la plus forte baisse jamais enregistrée, pour atteindre 121 561 801. »

De nombreux experts du Japon estiment que son économie est tout aussi étrange. En d’autres termes, elle ne fonctionne pas comme les autres économies développées. Mais le Japon n’est pas en crise. Les Japonais continuent de manger du poisson cru. Ils fabriquent toujours de bonnes voitures. La criminalité est très faible. Et le marché boursier, après 34 ans, est revenu à son niveau de 1990 (à peu près).

Les Etats-Unis pourraient-ils suivre ce modèle ?

Probablement pas.

Les dernières actualités indiquent que les marchés américains sont toujours très sensibles aux signes de ralentissement, aux hausses de taux et à l’inflation. Et dans le sillage des réductions de taux de la Fed le mois dernier, les rendements ont augmenté, et non diminué. MarketWatch explique :

« La dette publique s’est vendue pour la troisième séance consécutive mercredi, poussant les rendements du Trésor à long terme vers des sommets de trois mois, alors que les investisseurs restent préoccupés par le fait que l’élection du 5 novembre pourrait exacerber le déficit fiscal du gouvernement… »

Cela nous montre que les spécialistes des obligations ne vont pas rester inactifs pendant que les décideurs politiques augmentent la dette. Entre juillet 2020 et octobre 2023, le rendement d’un bon du Trésor à 10 ans a été multiplié par dix, tandis que la valeur réelle des bons du Trésor américain à 10 ans a chuté de près de 15% au cours du seul premier trimestre 2021.

Les investisseurs ne sont pas près d’oublier cette grande perte…

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