La Chronique Agora

Edimbourg, Bernanke et Volcker

▪ Ceux qui pensent que le monde se réchauffe devraient faire un tour à Edimbourg, où nous avons passé le week-end. C’est une ville faite de pierre. De la pierre jaune. De la pierre brune. De la pierre presque noire. Quasiment tous les bâtiments sont faits de pierre. Et la ville entière repose sur un rocher…

Un visiteur minéralomane est ravi. Il peut admirer toutes les pierres qu’il veut.

Un enthousiaste du réchauffement climatique, en revanche, aurait été déçu. Même les pierres frissonnaient, le week-end dernier. A mi-juin, les journées sont aussi longues qu’une nuit arctique… et aussi froides.

Le vent balayait le Royal Mile. La pluie tombait à angle droit. Les touristes, pliés en deux, essayaient de poursuivre leur chemin. Emmitouflés dans des pulls, des écharpes, des chapeaux et des manteaux, ils se pressaient dans le château et les salons de thé.

Les pauvres Américains ne comprenaient rien. En short et en t-shirt, ils devaient se demander s’il ne s’était pas produit une étrange rupture du continuum spatio-temporel. Ils n’avaient plus six heures de décalage horaire… mais six mois. On se serait cru en plein décembre plutôt qu’au milieu de l’été.

"Bien entendu, tout le monde s’inquiète désormais de la manière dont nous allons nous en sortir," a déclaré Jillian Tett.

▪ Et le crédit facile, dans tout ça ?
Nous étions sur scène vendredi avec Jillian, du Financial Times. Elle ne parlait pas de quitter Edimbourg ou des moyens de se protéger contre une météo pourrie. Elle s’exprimait sur l’assouplissement quantitatif et les zéro — les politiques d’argent facile de la Fed… qui augmentent actuellement la masse monétaire américaine environ 100 fois plus rapidement que la croissance de l’économie.

Nous étions à une conférence financière organisée par le Prince’s Trust à Edimbourg. Le comité avait demandé à Jillian… et à votre correspondant… d’intervenir.

Vous savez déjà ce que votre correspondant a dit. Nous avons souligné que les politiques des banques centrales étaient devenues une sorte de machine d’Apocalypse. Appuyez trop longtemps sur le bouton et il est presque impossible d’arrêter. Parce que plus la Fed distribue de crédit et de cash… plus l’économie s’organise pour en profiter. A mesure que le temps passe, de plus en plus de gens veulent voir le programme se poursuivre… et de moins en moins peuvent survivre si ce n’est pas le cas.

Certains dépendent des taux zéro pour renouveler leurs dettes.

Certains comptent sur des taux bas pour construire, vendre ou acheter des maisons.

Certains dépendent de la Fed pour financer les déficits gouvernementaux et faire en sorte que l’argent continue de s’écouler vers les zombies.

Personne ou presque ne veut éteindre le robinet.

Le point de vue de Jillian était plus mesuré.

▪ Paul Volcker/Alan Greenspan, la rencontre
"J’ai rencontré Alan Greenspan et Paul Volcker à Washington la semaine dernière", a-t-elle commencé.

Voilà qui devait être intéressant, avons-nous pensé. Un vrai contraste. Un homme honnête et droit et un crétin pleurnicheur dans la même pièce.

"La vraie question qui occupe tous les esprits est la même. Comment revenir à la normale ? Les niveaux de dette vont devoir baisser. Il faudra que ça arrive un jour. Mais comment ?"

"La bonne nouvelle, c’est que cela peut se produire sans calamité majeure. C’est déjà arrivé une fois — après la Deuxième guerre mondiale. A l’époque, le ratio moyen dette souveraine/PIB était de près de 100%".

"Ce qui est arrivé ensuite était une forme de répression… mais c’est à peine si on s’en est aperçu. Les taux d’inflation ont grimpé tandis que les rendements obligataires sont restés au plancher et que l’économie se développait. Cela a eu pour effet de réduire la valeur réelle de la dette sans déclencher de crise économique. Ce n’était pas le but intentionnel ou exprimé des banquiers centraux de l’époque. Mais grâce à cela, une bonne partie de la dette de guerre a été effacée par l’inflation. Les niveaux de dette sont devenus normaux après quelques années. Et ensuite, les taux d’intérêt ont pu grimper".

Voilà qui est intéressant, nous sommes-nous dit ; la Fed a réussi par accident. C’est probablement la seule manière dont elle peut réussir. Jillian a continué…

"Les calculs que j’ai vus suggèrent qu’il pourrait se produire la même chose aujourd’hui. Mais il faudra au moins sept ans pour parvenir à cette sorte d »atterrissage en douceur’."

"Le problème, c’est que faire atterrir un avion sur une période de sept ans est très difficile. Il y aura deux campagnes présidentielles sur cette période. Il est difficile d’imaginer que l’économie, les marchés, la Fed et le gouvernement fédéral réussiront à se maintenir dans la bonne direction pendant aussi longtemps. Ce serait bien si cet atterrissage en douceur pouvait se produire. Mais je ne pense pas que ce soit très réaliste."

Jillian n’en a rien dit, mais "l’atterrissage en douceur" qu’elle a décrit ne peut se produire que si le pilote est volontaire et compétent. Sauf que Ben Bernanke et son équipe ne sont ni l’un ni l’autre. Comme nous l’avons souligné durant notre intervention, la dernière fois que la Fed a volontairement réussi un atterrissage — de quelque sorte que ce soit –, c’était quand Paul Volcker était aux commandes. Or Volcker était un président de Fed exceptionnellement sûr de lui et courageux, et il avait le soutien de Ronald Reagan.

Même ainsi, il s’en est tiré de justesse. L’économie américaine est entrée dans sa pire récession depuis la Deuxième guerre mondiale. La douleur… et la fureur contre Volcker étaient telles qu’on brûla son effigie à Washington.

M. Bernanke — s’il avait le cerveau et les cojones de "faire un Volcker" — serait probablement brûlé en place publique à New York.

Mais tout est possible. Comme nous l’avons souligné hier, M. le Marché est un type extrêmement imprévisible. C’est précisément quand on pense qu’on a tout compris qu’il se glisse derrière vous… et fait quelque chose d’entièrement inattendu.

 

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