La Chronique Agora

L’échec de Ben Bernanke

Les conséquences du quantitative easing décidé par Ben Bernanke en 2010 se font encore sentir une décennie plus tard. Entre temps, la situation s’est encore dégradée et semble désormais impossible à rectifier, notamment sur les marchés boursiers.

Ben Bernanke a annoncé en 2010 le QE2, qu’il a présenté comme un outil essentiel pour promouvoir ce que le président de la Fed de l’époque appelait le « canal de rééquilibrage des portefeuilles ».

Ce canal consiste, pour la banque centrale, à acheter des emprunts longs, qui rapportent donc, à retirer du rendement du portefeuille des actifs financiers mondial – en faisant le pari que ce portefeuille, après l’opération, cherchera à se rééquilibrer et à retrouver son rendement antérieur en se débarrassant des liquidités ainsi créées et en achetant des actifs à risques qui rapportent plus.

Cette opération crée un effet d’entonnoir qui fait que les liquidités que la banque centrale injecte en contrepartie de ses achats vont être considérées comme non désirées ; elles vont donc aller sur les marchés se convertir en achats de titres à rendement plus élevés, et donc plus risqués.

L’entonnoir fait monter dans l’échelle du risque – ou plutôt dans l’échelle de l’appétit pour le jeu, devrait-on dire.

Un canal qui doit rester ouvert

Les achats de titres à long terme par la banque centrale modifient donc la composition du portefeuille mondial en retirant du rendement. Le but est de forcer les détenteurs de capitaux à se faire concurrence entre eux pour accaparer le rendement des actifs disponibles sur les marchés boursiers, ce qui détermine/produit une hausse des cours de Bourse.

Et si vous continuez les achats de titres à long terme, vous continuez la hausse de la Bourse – du moins tant que les détenteurs de capitaux croient que la possession de liquidités est non désirable et qu’ils se débarrassent de ces liquidités au plus vite.

S’ils changeaient d’avis et considéraient que les liquidités sont désirables alors le fameux canal de Bernanke ne marcherait plus, il se boucherait, il se colmaterait.

D’où la nécessité pour Bernanke et ses suiveurs de toujours dire que jamais on ne manquera de liquidités ; les conditions financières ne se resserreront jamais, disent-ils.

Tout repose sur un mythe : les liquidités sont un mistigri, elles ne sont pas désirables. Il faut les employer. Posez-vous la question de ce qui se passera lorsque ce mythe des liquidités non désirables s’effondrera…

Le fond du problème

L’économie américaine et mondiale souffrait d’une faible demande des consommateurs – et bien sûr d’un manque d’investissement suite aux ravages de l’endettement et du surendettement provoqué par la chute de profitabilité du système.

Notre Bernanke croyait qu’en faisant de la monnaie un mistigri, elle allait se précipiter dans l’économie réelle, alimenter la consommation par les plus-values boursières et stimuler l’investissement par la baisse des taux et l’appétit pour le risque.

Il s’est totalement trompé. L’argent, au lieu d’aller fertiliser l’économie réelle, est allé tourner en Bourse, spéculer, s’auto-engrosser. La fameuse transmission du magique, c’est-à-dire le pognon digital passant au réel économique n’a pas eu lieu, voilà le fond du problème.

La Bourse a fait concurrence au monde réel ; elle a été tellement attrayante et a tellement enrichi les détenteurs de capitaux qu’ils n’ont plus aucune raison de procéder à des dépenses d’équipement productifs. Ils ont joué, ils ont fait de la finance, des rachats d’actions, des fusions-acquisitions, du private equity, des cryptos etc.

Chut !

L’échec de Bernanke, c’est le fait que l’argent est resté dans la sphère financière au lieu d’aller irriguer la sphère réelle. C’est à la fois évident et simple… mais c’est dissimulé : chut, il ne faut pas le dire.

On cache ce phénomène sous un nom qui ne veut rien dire : on affirme que l’on « pousse sur une corde ».

On a donc construit une pyramide d’actifs financiers sur les marchés boursiers… et finalement, cette pyramide boursière a imposé sa loi par la peur du chaos. La politique monétaire est otage, elle ne vise quasi plus qu’à une chose : empêcher l’écroulement de la pyramide, empêcher que la bulle ne crève, empêcher que le château de cartes des collatéraux des dettes ne s’effondre.

L’argent n’étant pas allé dans la sphère réelle, il est allé gonfler la valeur fictive des actifs financiers, il en a gonflé considérablement la masse.

Cette masse est fragile, instable, et elle crée un risque colossal pour la stabilité financière et monétaire du monde. La priorité est donc d’empêcher cette masse de se contracter, de craquer et de plonger le monde dans une déflation noire.

L’échec a provoqué la lévitation des actifs boursiers et cet échec paralyse les autorités. Elles ne peuvent plus gérer sainement, elles doivent avoir les yeux rivés sur les indices boursiers : il ne faut jamais que la boule de neige fatidique des ventes ne commence à dévaler la pente.

Le bas de la pente, l’arrêt normal, spontané est en effet à plus de -55% plus bas que les cours actuels… or dès -20%, le système saute !

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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