La Chronique Agora

La dictature du profit (1/2)

profit, capitalisme, dette

Même si le problème est souvent ignoré, et que ceux qui s’y attaquaient ont en général laissé tomber l’idée, le profit reste l’élément clé qui détermine la santé du système.

Je suis l’un des très rares observateurs à vous parler régulièrement du profit.

Dans la littérature et les médias, on n’en parle pas.

Pourquoi ? Parce que le profit, en régime capitaliste, est au centre du système. C’est l’éléphant dans la pièce, et c’est lui qui commande tout.

Or, pour durer, le système besoin d’être non compris, non-su, enfoui.

Vous pour être ce que vous êtes, vous avez besoin de ne pas vous connaitre, de ne pas connaitre vos déterminations ultimes. Il faut qu’elles vous apparaissent comme naturelles, comme des données sur lesquelles vous ne pouvez rien. Tout cela vous constitue, à votre insu. Comme l’ordinateur qui peut faire beaucoup de choses, mais qui ne connait pas sa propre logique.

La logique du système, ses structures, et son agencement ne doivent pas être perçus. Carl Jung disait : tout système ne peut durer que dans l’obscurité, bien à l’abri de la connaissance. Tout système ne peut durer que si et seulement si, il est inconscient. S’il était conscient, on pourrait agir dessus et donc le corriger, le modifier. Il faut, pour durer, que le système s’impose comme une donnée tombée du ciel, inexpliquée et inexplicable.

Dans l’ombre du système

Il faut que le système s’articule autour d’une multitude de « il faut », avec le fameux « il » non défini et bien sûr non définissable.

C’est ainsi que le système religieux, qui est le système opaque par excellence, a pu s’imposer et se perpétuer.

C’est ainsi que fonctionne la monarchie britannique, dont on a encore vu les ravages ces derniers jours, puisque on a réintroduit le sacré : on ne peut critiquer la monarchie sous peine de prison immédiate sans jugement.

C’est ainsi que fonctionne l‘Etat et cette fameuse république : dans l’obscurité. On n’a pas le droit de les soumettre à l’analyse critique… ces abstractions ont tous les pouvoirs, car elles bénéficient de l’héritage, du transfert du sacré de la monarchie et de la religion.

Et on a fait la même chose avec les riches, l’argent et le profit : ils sont hors de portée.

Le système met en pratique le fameux « pour vivre heureux, vivons cachés ».

Le rôle central du profit en régime capitaliste doit être escamoté ; même les soi-disant « gauches » n’en parlent plus. Elles préfèrent parler des inégalités, comme si c’était équivalent !

Non, ce n’est pas équivalent, car les inégalités se réfèrent aux personnes et aux groupes, tandis que le profit se réfère aux facteurs objectifs de production, c’est-à-dire au facteur travail et au facteur capital accumulé.

Toujours croître

Vous pouvez faire semblant de lutter contre les inégalités, par exemple par l’impôt, tout en laissant intacte la problématique du profit.

La question du profit se pose en regard, en relation, avec la masse de capital accumulée. Elle ne se pose pas en termes de marge bénéficiaire sur le chiffre d’affaires, comme souvent on essaie de vous le faire croire. Pourquoi ? Parce que le même profit peut être réalisé avec des masses de capital engagé très différentes.

Ce que l’on appelle l’intensité capitalistique détermine le ratio de profit attendu par le capitaliste : plus il engage de capital, plus il en attend de profit.

La dictature du profit a à voir avec le besoin de rendre profitable tout le capital accumulé, le productif comme le fictif, et même celui qui n’est pas défini, ce capital maintenant diffus et non nommé qui donne droit à prélever sur la production sans rien produire, sans travailler.

Nos sociétés font croître exponentiellement la masse de droits à prélever sur la production sans fournir d’efforts et sans contribuer à quoi que ce soit. Cela fait galoper la masse de capital qui tire sur la valeur ajoutée des travailleurs.

N’oubliez jamais que le capital est un rapport social. C’est un droit à prélever sur le produit du travail, sur la richesse produite par le travail vivant. Et, si vous donnez des droits à prélever sans production en contrepartie, vous avez créé un capital !

Eh oui. Vous commencez à comprendre le problème de la suraccumulation : c’est le fait de créer toujours plus de droits à prélever, plus de droits que l’on ne crée de vraies richesses, plus de droits que l’on ne peut honorer.

Face à la rareté

Vous comprenez aussi que pour tricher face à la difficulté à honorer tout ce capital d’une part, on pèse sur les salaires des salariés actifs mais aussi on triche en reportant dans le futur c’est à dire que l’on créée sans cesse plus de dettes ! Le système de la dette – c’est-à-dire le système de la financiarisation – a à voir avec ces fausses solutions face à l’insuffisance de profit. Le système de la dette, la financiarisation, c’est la création d’un univers imaginaire à l’intérieur duquel on peut honorer toutes les promesses, même les plus intenables !

Face à l’excès de promesses, face à l’excès de droits et face à l’insuffisance de vraies richesses réelles pour honorer ces droits, le système a choisi de s’envoyer en l’air, dans l’imaginaire, là où on est dans l’infini, dans l’illimité.

On voit aussi en ce moment que le système peut aussi choisir le pillage et la guerre, et c’est ce qui se passe ; l’Occident en crise a provoqué la Russie afin de tenter de lui faire faire la guerre et ainsi la mettre en position, si elle perd, d’être pillée ! La domination de la Russie est le dernier horizon du profit. Et dire que Mélenchon soutient cela…

Mais bien sûr, tout cela doit rester non compris, non analysé, car si cela était évident le pot aux roses serait découvert, à savoir que tous nos maux proviennent d’un excès de capital, d’un excès de droits à prélever sans contribuer à la production de richesses.

La crise du système est une crise de rareté relative, rareté de la plus-value produite face à un excès colossal de capital accumulé.

La crise du système est une crise d’excès de capital face à une insuffisance de profit, de cash-flow, de plus-value, et c’est cette crise qui explique la paupérisation des travailleurs, les dettes, les déficits, les tensions sociales, l’inflation monétaire, la guerre actuelle, les guerres futures, etc.

La crise du système est une crise d’excès de capital de tous ordres. Il y a trop de droits à prélever sur la production mondiale, alors que la plus-value, le surplus, l’excédent répartissable ne croissent pas assez vite. En plus, cet excédent va se réduire considérablement avec la transition climatique.

En glissant du profit scientifique, tel que je l’expose, et du capital aux inégalités, on passe d’une analyse cohérente objective à une analyse politicienne, idéologique, réformiste sociale-démocrate selon laquelle le système fonctionne bien, mais qu’il suffit de le raboter en corrigeant ou faisant semblant de corriger les inégalités.

La sociale démocratie permet d’escamoter l’essentiel à savoir la formidable accumulation de capital de toute sorte qui est intervenus ces dernières dizaines d’années.

Elle permet d’éviter les sujets qui fâchent comme le glissement du capital productif au capital financier, l’occultation du capital fictif bullaire de la bourse et le scandale des politiques monétaires qui visent à enrichir les déjà riches en créant de la monnaie, de la dette, pour faire gonfler continuellement les portefeuilles boursiers.

A suivre…

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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